Le Parti Communiste, de ses origines communistes au parti de gouvernement
Au sommaire de cet exposé
Sommaire
- 1917-1920 La vague révolutionnaire
- 1921 - Naissance du Parti Communiste à Tours
- 1934-1936 - Le Parti Communiste devient un parti de masse
- La remise en cause des acquis
- 1941 - Le Parti Communiste se range derrière De Gaulle
- 1944-1947 - Le Parti Communiste au gouvernement
- 1947 - Avec le début de la guerre froide, de nouveau l'isolement
- 1981 - Des ministres du Parti Communiste pour cautionner l'austérité
Quand on voit le Parti Communiste français d'aujourd'hui, avec ses ministres cautionnant la politique anti-ouvrière de Mitterrand, on a du mal à imaginer que ce grand parti, ouvrier certes, mais conservateur, a été un jour, sinon un parti révolutionnaire aguerri, du moins un parti qui se proposait de le devenir.
Car, le Parti Communiste est né justement de la volonté de quelques milliers de militants, de donner à la classe ouvrière un état-major capable de diriger ses luttes pour renverser le capitalisme, c'est-à-dire un parti international capable de coordonner la lutte des travailleurs dans tous les pays.
A cette époque-là, c'est-à-dire au lendemain de la Première Guerre mondiale, et au lendemain de la Révolution Russe victorieuse, être communiste, c'était contester et combattre les frontières que la bourgeoisie dresse entre les peuples et pour le maintien desquelles des millions d'hommes étaient morts. C'était combattre ceux qui, par leur politique chauvine avaient contribué à envoyer les travailleurs s'entre-tuer sur les champs de bataille. C'était combattre pour l'émancipation de la classe ouvrière et de toute l'humanité.
Ce parti peut sembler bien loin du parti d'aujourd'hui.
Mais il n'est pas si lointain dans le temps. Soixante trois ans, c'est moins que la vie moyenne d'un homme.
C'est en voyant comment il s'est forgé dans ses vingt premières années, et comment il s'est ancré depuis quarante ans dans la société de ce pays, qu'on peut comprendre pourquoi le Parti Communiste, malgré ses compromissions et ses trahisons, reste aujourd'hui encore le principal, sinon le seul, parti à attirer des travailleurs qui veulent changer la société, combattre les injustices ou, tout simplement, défendre leurs intérêts de travailleurs.
1917-1920 La vague révolutionnaire
Le Parti Communiste, en France, n'a jamais été un parti révolutionnaire.
Quand il est né officiellement, en décembre 1920, à Tours, il se proposait de le devenir. Mais il ne l'était pas encore. Dans les premières années de son existence l'occasion ne lui en fut pas donnée. Et quand, 14 ans plus tard, dans les années 1934-1936, la situation pouvait peut-être déboucher sur une crise révolutionnaire, sa direction n'avait plus la volonté de diriger les luttes de la classe ouvrière vers le renversement du système capitaliste.
Mais pour revenir à ses débuts, le Parti Communiste est né dans une période de crise révolutionnaire en Europe. La guerre de 1914 avait bouleversé le continent. Elle avait fait au total huit millions de morts et autant de blessés, gazés, invalides à vie. En France, un des pays les plus touchés, on comptait trois millions de victimes sur les huit millions de mobilisés, dont un million et demi de morts.
Dans le cours de la guerre et surtout à la fin, des révoltes éclatèrent. Il y eut des mutineries, des révolutions.
En Russie, en février 1917, les ouvriers et les paysans déterminés avaient fait basculer le tsarisme. En octobre 1917, ils avaient mis en place leur propre pouvoir. La Révolution russe allait ébranler le monde, mais l'onde de choc partie de l'Est, qui avait sérieusement heurté l'Allemagne, la Hongrie, la Finlande et aussi l'Italie, fut en France nettement plus amortie.
Or partout les dirigeants de la vieille social-démocratie qui avaient trahi la classe ouvrière au moment du déclenchement de la guerre, la trahissaient à nouveau.
Là où, comme en Allemagne, une révolution éclata, les dirigeants sociaux-démocrates après avoir pris la tête des mouvements, prirent la tête de la répression pour les écraser.
Là où la montée prit la forme de vagues de grèves, comme en Espagne, en Italie, en France, les dirigeants sociaux-démocrates tirèrent là classe ouvrière en arrière.
A l'exception de la Russie, la classe ouvrière dans tous les pays manquait cruellement d'une direction révolutionnaire.
Les dirigeants bolchéviks qui avaient conduit à la victoire le prolétariat russe, firent tout pour créer, le plus rapidement possible, des partis susceptibles d'ouvrir au prolétariat international, d'autres perspectives que celle de reconstruire l'économie et la société sur les bases du système capitaliste. Un système qui, ils le savaient déjà, engendrerait d'autres crises et d'autres conflits mondiaux.
Ils firent tout pour créer partout des partis communistes.
Mais ils étaient contraints de le faire avec les militants que produisait le mouvement ouvrier dans chaque pays.
Les deux grands courants qui organisaient la classe ouvrière, le Parti Socialiste et la CGT, avaient ouvertement trahi en août 1914. En effet, dès la déclaration de guerre, le premier avait fourni à la bourgeoisie des ministres, et la seconde des conseillers de ministres. Et cette politique d'Union Sacrée avait porté un coup très dur au mouvement ouvrier français.
Néanmoins, à partir du printemps 1917, le mécontentement ouvrier avait commencé à se manifester. Sur les fronts, par une vague de mutineries durement réprimées. A l'arrière, par des grèves revendicatives sporadiques, mais marquées par une politisation croissante.
Le 1er mai 1917 avait été imposant. Le 1er mai 1918 lui aussi avait été immédiatement suivi par la grève de 100 000 salariés de la région parisienne, puis par une grève à Firminy et dans tout le bassin de la Loire.
C'était de premières réactions, faibles encore. Et c'est à la fin de le guerre, quand la paix sortie de l'armistice de 1918 engendra une misère nouvelle pour les classes populaires, que la réaction ouvrière prit son élan, minoritaire mais souvent violente.
Ainsi, tout au long de l'année 1919, la vie chère, les loyers en hausse, la crise des transports et de l'approvisionnement, les lenteurs de la démobilisation engendrèrent des mouvements sociaux.
Mais cette radicalisation restait cantonnée à certains secteurs de la classe ouvrière. Cela se vit aux élections législatives qui eurent lieu à la fin de l'année 1919, les premières depuis la guerre. Ce fut une déception pour le Parti Socialiste. Il eut 1 700 000 voix, soit 300 000 seulement de plus qu'en 1914. Mais ce gain de voix correspondait en fait à un recul, car le Parti Socialiste présentait 150 candidats de plus qu'en 1914 et il obtint une quarantaine de sièges en moins. Aucune poussée à gauche ne s'exprimait sur le terrain électoral.
Tout au contraire, ce fut un raz-de-marée en faveur de la droite : il sortit de ces élections la chambre « bleu horizon », de la couleur de l'uniforme des poilus, de la couleur aussi de cette ligne bleue des Vosges au-delà de laquelle se dessinait désormais l'horizon national.
Alors qu'avant 1914, les majorités parlementaires penchaient plutôt à gauche, désormais la majorité était de droite, d'une droite regroupée sous le drapeau national, contre le socialisme, contre la Révolution russe, contre l'internationalisme, contre le « bolchévik le couteau entre les dents », dont la caricature date de l'époque.
Et la vague gréviste allait se briser contre la résistance patronale et gouvernementale.
La grève des cheminots de 1920
Cette vague gréviste culmina en mai 1920 avec une grève presque générale, qui débuta par celle des cheminots sur le problème des salaires et du statut du personnel.
Après qu'il y ait eu plusieurs mouvements partiels, la fédération syndicale CGT des cheminots, très influencée par des syndicalistes révolutionnaires et des anarchistes, décidait de relancer l'action et d'appeler à la grève générale des chemins de fer, le 30 avril, pour la nationalisation, la réintégration des révoqués, l'arrêt de toutes les poursuites, la reconnaissance du fait syndical.
La direction syndicale cheminote forçait ainsi la main des dirigeants confédéraux réformistes de la CGT. Ceux-ci prirent le train en marche, acceptèrent de le conduire, pour bientôt l'arrêter.
Dès le début mai, les cheminots en grève furent rejoints par les mineurs, les dockers, les marins, puis par les métaux, le bâtiment, les transports, l'éclairage, l'ameublement. Mais les dirigeants réformistes firent tout pour que le mouvement ne devienne pas un mouvement général coordonné.
Le 11 mai 1920, il y avait 1 500 000 grévistes dans le pays.
Mais les patrons des chemins de fer, mis en garde par les mouvements précédents avaient sérieusement préparé la parade avec l'aide du gouvernement. Ils mobilisèrent des briseurs de grève recrutés chez les anciens combattants, les retraités, les élèves des grandes écoles. Et la police et l'armée vinrent à la rescousse.
Alors, la direction confédérale réformiste de la CGT donna l'ordre de reprise du travail pour le 22 mai à toutes les corporations qui étaient entrées en lutte aux côtés des cheminots.
La Fédération des Cheminots resta seule jusqu'au 29 mai, fin de la grève.
Une répression très dure s'abattit sur les grévistes. Quelques 20 000 révocations furent prononcées, ce qui signifiait la perte du travail, du salaire, mais aussi du logement et d'une multitude d'avantages pour ceux qui appartenaient avec leur famille à la communauté cheminote.
Le coup fut très dur pour les cheminots. Et ce fut aussi le coup d'arrêt de la vague ouvrière montante, le début du reflux du mouvement.
Les travailleurs quittèrent en nombre les syndicats auxquels, après la coupure de la guerre, ils venaient de réadhérer.
La social-démocratie s'était une nouvelle fois discréditée. Elle avait détourné la combativité de la classe ouvrière. Une fraction des travailleurs se découragea.
Seuls les plus militants en tirèrent des leçons positives. Et l'échec de la grève générale de 1920 cristallisa les divergences dans le mouvement ouvrier ; il précipita la cassure, la légitima, entre un courant qui se disait révolutionnaire mais qui manquait de direction, qui ne savait pas trop ce qu'il voulait et ce qu'il pouvait, et un courant réformiste qui savait ce qu'il ne voulait pas.
1921 - Naissance du Parti Communiste à Tours
C'est dans ces circonstances donc que, sept mois plus tard, en décembre 1920, se tint à Tours, le Congrès de ce qui était encore le Parti Socialiste.
La question centrale qui domina le Congrès était celle du rattachement à la IIIe Internationale. La majorité des délégués du parti s'y rallièrent.
La minorité scissionna. Il existait désormais en France deux partis ouvriers. L'un, le Parti Communiste, qui comptait de 120 000 à 130 000 membres, et l'autre, le Parti Socialiste de 30 000 à 40 000 membres.
Du côté syndical, le fossé creusé allait conduire à la rupture. Le dirigeants réformistes de la CGT firent la guerre aux révolutionnaires qui militaient en son sein. Ceux-ci, -exclus, créèrent une nouvelle confédération syndicale qu'ils appelèrent CGT-U - « U » pour Unitaire - marquant ainsi symboliquement leur volonté unitaire.
Il existait désormais deux syndicats la CGT et la CGT-U qui comptaient chacun environ 300 000 adhérents.
Mais les scissions ne séparaient pas d'un côté les réformistes et de l'autre les révolutionnaires confirmés. Car ceux qui se disaient désormais communistes étaient sans doute pleins de bonnes intentions, mais ils n'avaient pas eu l'occasion de s'aguerrir, de se tremper, d'apprendre dans les luttes, dans la période de montée et d'offensive ouvrières. Et maintenant qu'ils s'organisaient dans un parti, ils n'en avaient plus l'occasion car cette période était passée ; le reflux était sérieusement entamé et les masses n'étaient plus là.
Ainsi cette scission et les débats qu'elle occasionna ne concernèrent seulement, au mieux, que quelques centaines de milliers de travailleurs au sein d'une classe ouvrière qui en comptait sept ou huit millions.
Ces militants du jeune Parti Communiste, qui étaient-ils ?
Certains avaient déjà milité au Parti Socialiste ou dans la CGT d'avant-guerre.
La plus grande part étaient des « démobilisés ». Dont beaucoup de jeunes ouvriers, souvent issus des campagnes, qui avaient travaillé dans les usines et les chantiers quelques années ou quelques mois avant de devenir de la chair à canon. Et ils en étaient revenus avec au coeur, une sacrée haine de la guerre.
C'était aussi des paysans que la guerre avait tirés de leur isolement politique.
Mais c'était bien sûr dans les villes des régions industrielles, la région parisienne, le Nord, que le jeune Parti Communiste avait ses plus forts effectifs.
Et cela donnait déjà son image au parti.
Les instituteurs, les petits fonctionnaires, les petits et moyens bourgeois plus aisés étaient nombreux aussi. Mais contrairement au Parti Socialiste, ce n'était pas eux qui donnaient au Parti son vrai visage. Son vrai visage, c'étaient les ouvriers combatifs qui le lui donnaient ; les ouvriers conscients qui osaient parler du communisme, de la Révolution et qui disaient que c'était dans cette voie que l'humanité devait construire son avenir.
Oh, bien sûr, cela ne voulait pas dire que le Parti Communiste était un parti révolutionnaire. Cela ne voulait pas dire qu'il y avait en son sein des dirigeants révolutionnaires au sens où l'entendaient Lénine et Trotsky. C'est-à-dire des dirigeants prolétariens non seulement liés à la classe ouvrière, non seulement totalement dévoués à elle, mais des dirigeants habitués à déjouer les manoeuvres des faux amis des travailleurs ; des militants conscients et habitués à mesurer à chaque moment ce que la classe ouvrière pouvait faire pour se protéger des coups, pour être plus forte, pour attaquer quand il le fallait.
Cette expérience-là, personne ne l'avait parmi ceux qui se retrouvèrent à la tête du Parti Communiste.
En effet, ceux qui n'avaient appris à militer qu'à l'école de la social-démocratie, n'avaient pas pu en dépasser les habitudes, les modes de pensée et d'organisation. Ils étaient plus habitués à penser la politique en fonction des combinaisons électoralistes qu'en fonction des rapports de forces de la lutte de classe.
Quant à ceux qui avaient appris à militer à l'école de l'anarcho-syndicalisme, ils avaient le courage et le sens de classe, mais ils n'avaient pas la compétence et les réflexes sans lesquels il n'y a pas de dirigeants révolutionnaires.
En même temps qu'ils rejetaient les dirigeants compromis et trop politiciens de la social-démocratie, ils rejetaient la nécessité de l'intervention politique.
Ces militants-là, savaient en réalité être dans les mouvements et même entraîner les masses, mais pas vraiment les conduire à la victoire.
Alors c'est vrai, le Parti Communiste d'alors n'avait pas de dirigeants révolutionnaires. Mais il avait dans ses rangs des milliers d'hommes susceptibles de devenir des révolutionnaires ; des milliers de militants ouvriers qui intervenaient dans toutes les luttes de la classe ouvrière, comme ils le firent dans la grève du Havre qui éclata en 1922 et qui dura plus de 110 jours. Une grève qui montre bien quels étaient les problèmes du mouvement ouvrier de l'époque.
1922 - La grève du Havre
Le 20 janvier 1922, les ouvriers métallurgistes des Chantiers et Ateliers de la Gironde du Havre se mettent en grève. Ils refusent une diminution des salaires de 10 %. Très vite la grève s'étend à l'ensemble des établissements de la métallurgie. Puis des ouvriers d'autres professions, des ouvriers du Port, du Livre, du Gaz et de l'Electricité, des Textiles se joignent à eux. La CGT-U coordonne cette lutte et le 25 août, 66 jours après le début du mouvement, la grève générale est décrétée au Havre. Il y a 22 000 grévistes dans la ville.
Le patronat, dur, est décidé à tenir coûte que coûte.
Le 26 août, des affrontements ont lieu. Les forces de l'ordre pour se dégager, tirent les premiers coups de feu. Et c'est une soirée et une nuit d'émeute qui commencent. Quatre travailleurs sont tués. Des manifestants, des membres du Comité de grève sont arrêtés. Un mandat d'arrêt est lancé contre Gaston Monmousseau, secrétaire général de la CGT-U.
Mais cela n'arrête pas les grévistes. Le conflit continue. Mais ailleurs cela ne suit pas. La tentative de grève générale à l'échelle du pays mal préparée, non soutenue par la CGT réformiste est un échec. Et le patronat se montre inflexible, la grève se termine sans résultat au bout de 110 jours.
L'Humanité de l'époque ne cache pas que c'est une défaite. Mais dans ce mouvement, défensif, acharné, radical, les dirigeants de la CGT-U n'ont pas perdu la confiance des travailleurs. A l'issue du conflit, le nombre de syndiqués à la CGT-U augmente dans la Métallurgie. Les travailleurs qui ont fait la grève ont peut-être eu le sentiment d'avoir mené un combat inégal, mais pas celui d'avoir été trahis.
Dans d'autres interventions semblables, les militants du Parti Communiste et de la CGT-U se forgeaient une image méritée de militants hardis, dévoués, courageux, combatifs qui se retrouvaient au premier rang des luttes ouvrières.
C'était pour que naissent de ces expériences des dirigeants expérimentés et compétents qu'inlassablement les dirigeants de l'Internationale d'alors, Lénine et Trotsky - Trotsky était très lié au mouvement communiste français - intervenaient dans les discussions pour tenter de transmettre leur expérience irremplaçable de dirigeants d'une révolution victorieuse et pour former dans chaque parti une direction révolutionnaire.
Mais, à partir de ces années 1922-1923 et jusqu'au début des années 1930, le nouveau Parti Communiste abordait une nouvelle période de son histoire, une période difficile qui allait profondément marquer son évolution.
La montée révolutionnaire avait vraiment reflué en Europe. La Russie soviétique restait seule, isolée. La bourgeoisie à l'échelle internationale reprenait les choses en main ; la situation se stabilisait en sa faveur. La classe ouvrière était acculée à la défensive.
Jusqu'à la remontée des années 1934-1935, le rapport des forces ne devait plus être à son avantage.
Alors, la situation n'y était pas de toute façon, pour que le nouveau Parti Communiste puisse développer avec succès une politique révolutionnaire.
Mais ce parti de plusieurs dizaines de milliers de militants dévoués à leur classe, courageux et, on le verra, souvent téméraires, prêts à tous les sacrifices aurait pu, dans cette période, se donner une direction aguerrie, formée de cadres révolutionnaires ; une direction prête pour la montée ouvrière.
Le Parti Communiste aurait pu constituer une telle direction dans cette période. Mais il ne la pas fait. Il s'est donné des combattants, mais pas des dirigeants révolutionnaires. Et ce ne fut pas vraiment sa faute car un glissement s'opérait, qui venait de l'URSS.
En effet, dans l'URSS isolée, les dirigeants staliniens qui en quelques années s'emparèrent de l'État et de l'Internationale, cessèrent d'avoir comme préoccupation première de faire des partis communistes de vrais partis révolutionnaires.
Ils ne cherchèrent plus à former des révolutionnaires prolétariens. Au contraire, ils se sont mis à les combattre.
Ils n'ont plus considéré les partis communistes de l'Internationale que comme des appendices de l'État russe dont le rôle était de défendre auprès des États des divers pays, les intérêts diplomatiques de l'URSS.
Ils n'ont plus cherché à former des cadres à l'écoute de la classe ouvrière de leur pays, misant sur la conscience des travailleurs.
En fin de compte, l'Internationale Communiste allait apprendre à ces cadres le dévouement, les valeurs de discipline, d'obéissance, de sacrifice. Mais ceux dont le rôle était de diriger, allaient mettre ces qualités au service des intérêts à courte vue de la diplomatie russe et de ses retournements à 180°.
Cela ne s'est pas fait en un jour. Le phénomène s'étala sur plusieurs années.
La campagne contre l'invasion de la Rhur et contre la guerre du Rif
En réalité, en 1923, 1924 et dans les années qui suivirent, les militants et les dirigeants communistes continuèrent sur la lancée des années 1920-21. Bien qu'à contre-courant, ils agissaient, ils intervenaient, ils menaient une politique difficile, risquée. Ils affrontaient la répression. La bourgeoisie française ne tolérait pas qu'on conteste ses profits, son armée, sa police, ni que l'on conteste ses visées impérialistes et colonialistes. Et le Parti Communiste osait le faire.
Ses militants ouvriers participaient aux luttes dures, défensives de la classe ouvrière. Mais le jeune Parti Communiste ne se battait pas seulement dans les usines. Il se lançait dans des batailles politiques. C'est ce qu'il fit au moment de l'invasion de la Rhur par l'armée française.
En 1923, la bourgeoisie française tenta de contraindre l'Allemagne à payer ses réparations. Une mission franco-italo-belge pénétrait dans le bassin de la Rhur pour y prendre possession des usines et des mines, épaulée par deux divisions de l'armée française. Le Parti Communiste mena campagne contre cette invasion. Il invoqua la solidarité avec la classe ouvrière allemande.
La Jeunesse Communiste y joua un rôle de premier plan à la fois par le geste et par l'écrit.
Dans un manifeste de la Jeunesse Communiste, on pouvait lire :
« Tant que la Rhur sera occupée, tant qu'une baïonnette française menacera la poitrine d'un ouvrier allemand, nous devrons propager notre mot d'ordre : Fraternisez ! ».
Un ton que l'on retrouve chaque jour dans l'Humanité, chaque semaine dans L'Avant-Garde, l'hebdomadaire des jeunesses Communistes et aussi dans les tracts et dans les discours.
Le gouvernement français réagit en faisant arrêter un certain nombre de dirigeants du Parti Communiste ainsi que des Jeunesses Communistes. La Chambre des Députés vota la levée de l'immunité parlementaire de Cachin. Les dirigeants ne restèrent que deux mois en prison. Mais ils avaient agi en sachant ce qu'ils risquaient.
En 1925, le Parti Communiste continua sur la même lancée à propos de la guerre du Rif, au Maroc, que l'Espagne et la France s'étaient partagé en 1912.
Le Cartel des Gauches - une coalition des socialistes et des radicaux - alors au pouvoir, envoyait au Maroc en avril 1925, un corps expéditionnaire commandé par le Maréchal Pétain.
Il s'agissait de réprimer une révolte nationaliste conduite par Abd-El-Krim, qui avait commencé au Maroc espagnol en 1921. L'armée espagnole battue, une République marocaine indépendante avait été créée. Le mouvement menaçait de s'étendre au Maroc français.
Le Parti Communiste et les jeunesses Communistes fidèles aux traditions anti-colonialistes, défièrent le pouvoir. Ils envoyèrent à Abd-El-Krim, un télégramme qui, lui aussi donnait le ton de cette nouvelle campagne :
« Groupe Parlementaire, comité directeur du Parti Communiste et du Comité National des Jeunesses Communistes saluent la brillante victoire du peuple marocain sur les impérialistes espagnols. Ils félicitent son vaillant chef Abd-El-Krim. Espèrent qu'après la victoire définitive sur l'impérialisme espagnol il continuera en liaison avec le prolétariat français et européen, la lutte contre tous les impérialistes, français compris, jusqu'à la libération complète du sol marocain ».
Les députés communistes interpellèrent violemment le gouvernement à plusieurs reprises.
Mais cette. campagne ne se borna pas à des prises de position à l'Assemblée Nationale. Elle se prolongeait aussi sur le terrain. L'agitation aboutit à une grève, le 24 octobre 1925, qui fut surtout suivie dans la région parisienne. Beaucoup moins en province. Mais selon « L'Humanité » et les journaux de l'époque, on estima qu'elle avait entraîné 900 000 travailleurs.
Les Jeunesses Communistes appelaient au refus de la guerre. Des unités de l'armée touchées par la propagande des jeunesses Communistes durent être retirées du Rif. Des équipages de bateaux de guerre se mirent en grève. La répression fut dure là encore : en un an et demi, 1371 condamnations à des mois, voire des années de prison ou de bagne.
Parallèlement, durant toute cette période le Parti Communiste menait une agitation anti-militariste parmi les soldats, dans les casernes. Il éditait des journaux spécialisés dans cette activité. Il menait des campagnes contre la hiérarchie militaire.
Un exemple parmi d'autres : la campagne dite des « gueules de vache » (GDV), avec un concours qui avait pour but de faire reconnaître par les soldats, à partir d'une caricature, la tête d'un gradé bien-aimé.
Cette propagande anti-militariste et anti-colonialiste n'attirait qu'une toute petite partie de la jeunesse. Mais elle contribua à former une génération de militants hardis et courageux.
L'anti-militarisme, l'anti-colonialisme ne furent pas les seuls terrains sur lesquels le Parti Communiste tentait d'intervenir. Il avait pour préoccupation de s'implanter dans les entreprises. Et toutes les fois qu'il le pouvait, il prenait l'initiative de luttes revendicatives. Et cela malgré l'absence de montée ouvrière.
C'est que l'exploitation était toujours aussi féroce. Les bourgeois français pour reconstruire leur économie, s'en prenaient de plus en plus durement aux conditions de travail et de vie de la classe ouvrière.
Ainsi, en 1926, une crise économique et financière qui vit la chute du franc, se traduisit par une hausse importante des prix. La CGT-U lança une campagne pour une échelle mobile qui ferait varier automatiquement les salaires avec le coût de la vie. Et elle organisa des grèves. Le patronat réagit durement. Les militants étaient jetés à la rue. Pour entraîner le gouvernement à la répression et créer des incidents, des groupes fascisants montaient des provocations ou manifestaient devant la Chambre des Députés.
Les grèves, souvent minoritaires, se concluaient par des échecs. Mais les militants de la CGT-U, les militants communistes faisaient la démonstration qu'un combat même perdu pour ceux qui l'ont mené, n'est pas inutile pour l'ensemble de la classe ouvrière, ne serait-ce que parce qu'il freine les attaques des patrons.
Autre exemple, début 1927 : les patrons tentaient de rationaliser leur production. Ils amélioraient le rendement... et licenciaient. Des ouvriers étaient jetés à la rue. La CGT-U organisa une campagne d'agitation contre les licenciements, mettant sur pied des comités de chômeurs.
1928-1933 - « Classe contre classe »
A partir de 1928, la politique du Parti Communiste devint plus offensive, plus agressive vis-à-vis du gouvernement, et plus sectaire vis-à-vis des socialistes. Mais cette radicalisation n'avait pas ses racines dans une radicalisation de la classe ouvrière. Elle avait ses racines en URSS et dans les sommets dirigeants de la bureaucratie et de l'Internationale Communiste.
L'Union Soviétique traversait une crise grave. Staline, après s'être appuyé sur la couche des paysans aisés dont il avait favorisé la réapparition, décida de les éliminer.
Dans le même temps, la politique que la direction de l'Internationale Communiste avait fait mener au Parti chinois s'avéra un échec tragique. La Révolution chinoise fut étranglée. Le Parti Communiste chinois fut décimé par Tchang-Kaï-Chek derrière lequel l'Internationale avait demandé aux communistes chinois de se ranger.
Par ailleurs, les États capitalistes menaient une diplomatie qui isolait l'URSS.
L'Internationale Communiste réagit à cet isolement en lançant les partis communistes dans une politique verbalement radicale mais gauchiste. Une politique qui, en Chine, se traduisit par des coups de forces putschistes à contre-temps. Une politique qui, en Allemagne, se traduisit par un cours sectaire qui paralysa la classe ouvrière allemande face à la montée du fascisme.
En France, ce cours ultra-gauche, dit « classe contre classe », se traduisit par une série de grèves, de manifestations aventuristes décidées à contretemps, indépendamment des masses, qui valurent au Parti Communiste un isolement croissant.
Mais cette politique ne fit pas perdre au parti ses militants les plus déterminés qui voyaient toujours en lui un parti de combat, un parti révolutionnaire, porteur des idéaux de la Révolution Russe.
Et cela d'autant plus que, durant cette période, plus encore que dans les périodes précédentes, le Parti Communiste devint pour les politiciens bourgeois, l'ennemi à abattre. Ainsi par exemple, pour contrer les manifestations de rue, on arrêtait préventivement les militants par centaines.
Pour empêcher la manifestation du 1er août 1929, « Contre la menace de guerre anti-soviétique » tous les membres du Comité Central du Parti Communiste furent arrêtés.
Mais cela n'empêcha pas des dizaines de milliers d'ouvriers de descendre dans la rue. Pas plus d'ailleurs que l'énorme déploiement policier mis en place pour la circonstance. Car la répression dont leur parti était victime, tout autant que la politique radicale - même si de fait elle était sectaire - confortaient ses militants dans l'idée que leur parti était résolument contre l'ordre établi, contre le système capitaliste, puisque tout le monde se liguait contre lui.
Le Parti Communiste au terme de ces années était devenu un parti de quelques 30 000 membres. Et même si ses effectifs étaient nettement plus faibles que ceux qu'il avait en 1920, au Congrès de Tours, il avait gagné en vitalité, en dynamisme, ce qu'il avait perdu en effectifs.
Car les chiffres ne rendent pas compte d'un phénomène bien réel et plus profond : le Parti Communiste était parvenu à s'enraciner dans la classe ouvrière, dans sa fraction la plus radicale. Dans sa fraction la plus exploitée aussi.
Mais cette influence due à l'énergie, au courage, au dévouement de ces milliers de militants ouvriers, a été dévoyée, nous l'avons déjà évoqué, par l'Internationale Communiste. Quant aux cadres du Parti qui avaient incontestablement appris à être des combattants, ils ne se déterminaient plus en fonction des intérêts de la classe ouvrière, mais en fonction des directives de l'Internationale stalinienne.
Ce fut sans doute là, la plus grande trahison que le stalinisme ait commise. Car à ce moment-là, alors que débutait la crise qui enclenchait la marche vers la guerre, ces cadres allaient cruellement faire défaut au mouvement ouvrier.
La crise touche la France... Les premiers signes de la montée ouvrière
Oui, en ce début des années 30, le monde capitaliste entrait dans une crise profonde, qui avait débuté aux USA, en 1929, et qui de proche en proche allait toucher tous les pays. La France n'y échappa pas.
Dans le domaine économique, la production s'effondra, tous les secteurs étaient touchés.
Sur le plan social, le chômage, faible dans les années 20, s'accrut considérablement. En 1933, les chiffres officiels donnaient 313 000 chômeurs et en 1935, 432 900. Mais ces statistiques ne rendaient pas compte de la réalité. Car le nombre réel de chômeurs à cette date atteignait le million.
Durant cette période, les patrons lancèrent une offensive contre les salaires, qui furent réduits parfois de 10, 20, voire 30 %. Ils suspendirent des primes, déclassèrent des travailleurs. Ainsi, par exemple, en 1933 dans le Gard, le salaire des mineurs descendait de 30 F pour 6 berlines à 28 F pour 12 berlines. Le salaire journalier des métallurgistes tombait de 35 F à 25 F.
Par décret-loi, Laval diminua les traitements des fonctionnaires et une « réforme administrative » prévoyait des licenciements.
Ces attaques contre le niveau de vie des travailleurs, s'accompagnèrent d'une répression accrue. A l'embauchage, les militants, voire de simples adhérents de la CGT-U, étaient systématiquement refusés. Il fallait donc militer en se cachant. On se recrutait, on s'organisait dans les quartiers, dans les trains en se méfiant des mouchards que les patrons multipliaient.
Mais la classe ouvrière ne se laissait pas faire sans réagir. Dans cette période où elle était attaquée, où elle était sur la défensive, la montée ouvrière se développa.
Le début de l'année 1933 fut marqué par divers conflits : grève totale à Armentières ; arrêt de travail avec manifestation de fonctionnaires ;.,en mars il y eut une grève chez Citroën ; en avril une grève des mineurs encore avec un mouvement de 4000 ouvriers agricoles dans le midi.
Petit à petit, on ne se contentait plus de se défendre, on réclama l'augmentation des salaires, la révision des temps, de la durée du travail. y eut des affrontements durs avec la police et parfois, ils furent victorieux.
Oui, malgré le chômage, les travailleurs se battaient, et par gagnaient. D'ailleurs, les chômeurs organisés en comités luttaient aussi. firent des manifestations, des « marches de la faim ».
Cette montée des luttes ouvrières, se doublait d'une radicalisation politique.
En effet, en même temps que la bourgeoisie menait une offensive contre la classe ouvrière sur le plan économique, il se produisait une montée de la droite et de l'extrême-droite.
Depuis des années déjà, des groupes fascistes se développaient, faisaient le coup de poing contre des réunions du Parti Communiste.
Les plus nombreux et les plus puissants étaient les « Croix de Feu » du colonel de la Rocque. Ils s'appuyaient sur des anciens combattants pleins de rancoeurs contre les gouvernements successifs qui n'avaient pas tenu leurs promesses.
Ils avaient des organisations de combat entraînées militairement, telles « Les fils des Croix de Feu » et les « Volontaires nationaux ».
Ils espéraient rallier à eux la petite bourgeoisie mise en difficulté par la crise. En effet les faillites d'artisans, de petits commerçants se multipliaient pendant que nombre d'exploitations agricoles familiales étaient ruinées.
Certes en France, le mouvement fasciste était loin d'avoir la base sociale et la puissance du mouvement fasciste allemand, mais ses dirigeants étaient encouragés par les succès de leurs homologues d'outre-Rhin. Ils espéraient bénéficier du discrédit qui frappait le gouvernement au pouvoir, dirigé par le Radical Chautemps compromis dans un sombre scandale, l'affaire Stavisky. Stavisky, juif russe, homme d'affaires-escroc, était parvenu à mettre la main sur le Crédit Municipal de Bayonne en bénéficiant de complicités au Parlement et dans l'administration. Des proches de Chautemps étaient impliqués. Alors, la droite la plus décidée et l'extrême droite se déchaînèrent et, à travers Chautemps, menèrent campagne contre le parlementarisme.
Le Ministère Chautemps tomba. Puis le gouvernement prétendit éloigner le préfet de police Chiappe sympathisant avec les ligues fascistes. Et le 6 février 1934, le jour où un nouveau gouvernement se présentait à l'investiture devant l'Assemblée, les ligues fascistes tentèrent d'organiser un coup de force. C'est ainsi que le 6 février 1934, quelques milliers de fascistes et de royalistes armés de revolvers, de matraques et de rasoirs essayèrent de franchir le pont de la Concorde. Ils voulaient s'emparer du Palais Bourbon et disperser l'Assemblée.
Ils se heurtèrent à la police et aux gendarmes mobiles. Les affrontements furent très violents. Il y eut une vingtaine de morts. Le coup de force était sans doute prématuré.
Cet événement déclencha la réaction de la classe ouvrière contre cette démonstration fasciste. Nous étions, rappelons-le, dans une période de montée ouvrière et la victoire de Hitler inquiétait les militants et nombre de travailleurs.
Depuis un moment dans le cadre de cette montée, une volonté unitaire se faisait sentir parmi les militants et parmi les travailleurs.
Le Parti Communiste qui en était encore à son cours sectaire, se fit forcer la main. Dans un premier temps, il lança seul avec la CGT-U - sans les socialistes-, une manifestation pour le 9 février 1934. Des bagarres sanglantes eurent lieu avec les forces de l'ordre qui firent 9 morts. Mais dans les jours suivants, sous la pression de sa base, le Parti Communiste appela à la manifestation du 12 février, organisée à l'initiative de la CGT réformiste et des socialistes.
Ce fut une formidable démonstration de la force de la classe ouvrière, qui donna un coup d'arrêt à la montée fasciste.
La classe ouvrière venait de faire la preuve qu'elle était prête à passer à l'offensive. Elle se révélait intacte, réactive, malgré la crise.
La montée ouvrière qui se dessinait pouvait être grosse d'une situation révolutionnaire. Mais celle-ci fut stoppée, rendue inopérante, inoffensive pour la bourgeoisie. Elle fut conduite sur une voie de garage. Celle du Front Populaire, un cartel électoral destiné à dévoyer la combativité ouvrière vers les urnes.
Et les dirigeants du Parti Communiste participèrent à ce dévoiement, en France comme en Espagne, main dans la main avec les dirigeants socialistes et les radicaux.
C'est que ce fut à ce moment-là que les dirigeants du Parti Communiste opéraient un virage à 180°, un virage décidé par Staline.
1934-1936 - Le Parti Communiste devient un parti de masse
En effet, à partir de 1934, alors que l'Allemagne se préparait ouvertement à la guerre, une guerre qu'Hitler annonçait aussi comme une croisade contre le bolchévisme, les dirigeants de l'URSS, sentant la menace, se rapprochèrent des puissances occidentales, rivales de l'Allemagne.
De son côté, le gouvernement français chercha à se rapprocher de l'URSS pour contrecarrer l'influence de l'Allemagne. En mai 1935 un pacte d'assistance mutuelle entre la France et l'URSS, le pacte Laval-Staline, était signé.
Désormais, pour les dirigeants de l'Internationale Communiste, il n'y avait plus d'un côté l'URSS et de l'autre les États représentant la bourgeoisie. Les pays se divisaient en deux catégories : les pays démocratiques et les pays fascistes. Les dirigeants de l'Internationale Communiste et les dirigeants du Parti Communiste abandonnaient d'un coup, sans explication, la politique « classe contre classe ». Le Parti Communiste se fit donc le défenseur inconditionnel de la « démocratie française ».
Finie l'époque où l'on rejetait tout soutien à un gouvernement bourgeois, où l'on dénonçait sans la moindre nuance les socialistes, où l'on combattait l'armée et ses gueules de vaches.
Désormais, le Parti Communiste cherchait l'alliance avec les dirigeants socialistes et avec les radicaux, pas seulement pour l'action, pas seulement pour se protéger contre les fascistes. Mais au nom de la défense de la démocratie bourgeoise. Le Parti Socialiste au gouvernement, et le Parti Communiste l'appuyant de l'extérieur, voilà ce que préconisait le Parti Communiste !
Et comme cela n'arrangeait plus Staline que le Parti Communiste en France s'en prenne à la défense nationale, le Parti Communiste que l'on avait vu quelques années plus tôt s'en prendre à l'armée, aux guerres coloniales, troquait maintenant le drapeau rouge pour le drapeau tricolore, l'Internationale pour la Marseillaise.
Le Parti Communiste cherchait désormais à démontrer son enracinement dans la réalité française. Dans l'Humanité on pouvait lire un article intitulé « Des capétiens aux communistes ». Paul Vaillant-Couturier qui en était l'auteur écrivait : « Nous sommes des gens bien enracinés à la terre de France », et plus loin, « Notre discipline, notre amour de l'ordre, répondent, dans ce pays si facilement et parfois si dangereusement individualiste, à ce dont il a le plus besoin pour trouver son équilibre : la mesure. »
Un langage qui tranchait radicalement avec celui des périodes précédentes. Choquait-il les militants qui avaient connu ces périodes ? Peut-être. Mais pas au point de remettre en question la politique décidée par leur parti. Ils avaient tout lieu de croire que cette politique n'était après tout qu'une adaptation à la situation, et que de plus, elle leur permettait d'élargir leur audience.
Car ces militants sortaient d'une période difficile où l'on devait se cacher pour organiser ses camarades de travail. Eh bien là, puisque désormais on pouvait être communiste au grand jour, il fallait en profiter, gagner du monde, trouver des alliés.
Les militants communistes défilaient avec le drapeau bleu-blanc-rouge, et il est vrai que cela ne plaisait pas à ceux qui avaient fait campagne contre la guerre du Rif en 1926. Soit. Eh bien, certains de ces militants-là trichaient un peu. Quand on était entre ouvriers, on roulait le blanc et le bleu, et seul le rouge dépassait !
De plus, ils constataient l'apparente efficacité d'une politique qui semblait profitable au Parti. Il y avait des luttes. Il y avait de grands rassemblements populaires. Et la fusion syndicale réalisée en 1935 renforçait le moral des travailleurs.
Les élections de 1936 furent une victoire. Et qui plus est, au sein du Front Populaire, le Parti Communiste faisait une percée : avec 1 487 336 voix, il doublait ses voix par rapport à 1932 et progressait de 420 000 voix par rapport à 1928. Alors que les scores de la SFIO, eux, restaient stables.
Le Parti Communiste avait désormais 72 députés, sept fois plus qu'en 1932.
Les grèves de 1936 : le Front Populaire dévoie la montée ouvrière
Alors ce fut la grande vague de grèves de juin 36. Une grève que les dirigeants du Parti Communiste n'avaient pas voulue, pas cherchée mais dont le Parti Communiste prit vite la tête. Ce fut un mouvement ample et profond qui toucha non seulement des secteurs traditionnellement combatifs de la classe ouvrière, mais aussi ceux d'ordinaire en retrait.
Voilà comment Trotsky commentait ce mouvement :
« S'arrachant aux cadres corporatifs et locaux, le mouvement gréviste est devenu redoutable non seulement pour la société bourgeoise, mais aussi pour ses propres représentants parlementaires ou syndicaux, qui sont actuellement avant tout préoccupés de ne pas voir la réalité. Selon la légende, à la question de Louis XVI, « Mais c'est une révolte ? », un des courtisans répondit « Non sire, c'est une révolution ». Actuellement, à la question de la bourgeoisie « C'est une révolte ? », ses courtisans répondent, « Non, ce ne sont que des grèves corporatives » en rassurant les capitalistes... Ce qui s'est passé, ce ne sont pas des grèves corporatives, ce ne sont même pas des grèves. C'est LA GRÈVE. C'est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c'est le début classique de la révolution ».
Pourquoi la classe ouvrière était-elle entrée en lutte alors même que les élections portaient au pouvoir un gouvernement de gauche ? Là aussi Trotsky analyse la situation :
« Le déclenchement de la grève est provoqué, dit-on, par les « espoirs » que suscite le gouvernement de Front Populaire. Ce n'est là qu'un quart de la vérité, et même moins. S'il ne s'était agi que de pieux espoirs, les ouvriers n'auraient pas couru le risque de la lutte. Ce qui s'exprime avant tout dans la grève, c'est la MÉFIANCE ou tout au moins LE MANQUE DE CONFIANCE des ouvriers, sinon dans la bonne volonté du gouvernement, du moins dans sa capacité à briser les obstacles et à venir à bout des tâches qui l'attendent.
Les prolétaires veulent « aider » le gouvernement mais à leur façon, à leur façon prolétarienne. Mais ce serait les caricaturer grossièrement que de présenter les choses comme si la masse n'était inspirée que par des « espoirs » en Blum ».
Au début juin, 12 000 établissements étaient en grève dont plus de 1 000 étaient occupés. Il y avait 2 millions de grévistes. Le pays était paralysé.
Dans cette situation qui faisait trembler la bourgeoisie, la politique du Parti Communiste consista à contenir le mouvement dans des limites qui ne remettaient pas en cause l'ordre bourgeois.
Mais dans les usines, les militants ne voyaient pas les choses forcément de la même façon.
Les militants ouvriers communistes étaient en grève, ils les déclenchaient, les organisaient, les dirigeaient. Le Parti Communiste revendiquait le mouvement, l'accompagnait, l'approuvait tout en le conduisant doucement vers le tapis vert de Matignon.
Dans la nuit du 7 au 8 juin, les « accords Matignon » furent signés. Mais le mouvement était trop profond pour s'arrêter là.
Une deuxième vague déferla et s'élargit.
Et c'est là que le Parti Communiste fit à la bourgeoisie la démonstration de sa capacité à maintenir l'ordre. Il prêcha la modération, Thorez fut le premier à dire : « Il faut savoir terminer une grève ». Et les dirigeants du Parti bagarrèrent contre certains militants qui sentaient tout de même que le mouvement était porteur d'autres possibilités, et que la classe ouvrière pourrait faire un meilleur usage de sa formidable force.
La reprise ne fut pas partout facile. Mais le Parti Communiste allait user de tout son poids, de tout son crédit, pour faire croire que l'avenir c'était la semaine de 40 heures, les congés payés et les quelques mesures sociales concédées par les accords Matignon.
C'était la première fois qu'il prenait ouvertement dans l'histoire le parti de la bourgeoisie contre la classe ouvrière.
Et cela traduisait une nouvelle étape dans l'évolution du Parti Communiste.
La remise en cause des acquis
Les dirigeants de la SFIO, ceux du Parti Communiste et ceux de la CGT avaient, en juin 36, rendu un fier service à la bourgeoisie française. Mais, la grande peur de juin 36 passée où, en quelques heures, à Matignon, des représentants du patronat cédèrent en bloc aux principales revendications des syndicats pour que la grève s'arrête, la bourgeoisie ne fut pas pour autant reconnaissante à ceux qui l'avaient sauvée. Elle englobait dans la même haine et la classe ouvrière et ceux qui disposaient de sa confiance. Hitler était l'adversaire impérialiste de la bourgeoisie française, mais l'immense majorité de celle-ci voyait d'un très bon oeil la politique intérieure de Hitler envers la classe ouvrière, ses syndicats et ses parti.
Une campagne de la presse de droite conduisit le Ministre socialiste Salengro à se suicider. Celui-ci aspirait tellement à être honorablement connu de la bourgeoisie qu'il ne put supporter qu'on insinue qu'il avait déserté en 1918. Ce n'était pas aux yeux des travailleurs qu'il voulait garder son honneur, c'était à ceux de la bourgeoisie. Mais la bourgeoisie n'était pas plus reconnaissante pour l'Union Sacrée de 14-18, que pour ce que firent pour elle les sociaux-démocrates en 1936.
Aussi, dès que le gouvernement Blum ne fut plus nécessaire, il démissionna de lui-même. Après d'ailleurs qu'il se soit déconsidéré par sa politique aux yeux des travailleurs parce qu'il était incapable, et pour cause, d'enrayer le chômage et la hausse des prix qui en quelques mois réduisirent à néant les augmentations de salaires de 36. Il ne fut ferme qu'envers les travailleurs, et faible envers la bourgeoisie et son mur d'argent qui fut pour lui un obstacle insurmontable. Comme on voit, l'histoire se répète en bégayant.
Le Parti Communiste durant toute cette période s'alignait pourtant sur la politique que lui imposait l'Internationale, que lui imposait Staline. Staline était l'allié des démocraties contre Hitler, donc il fallait qu'en France le Parti Communiste soutienne le gouvernement, que ce soit celui de Blum ou celui de Daladier son successeur. Et il le fit sans faille.
Il ne mobilisa pas la classe ouvrière pour résister à la contre-offensive du patronat. Et lorsque la CGT appela à une grève générale en novembre 1938, c'était après avoir laissé les travailleurs démoralisés se battre sans plan, sans coordination, sans soutien. L'appel à la grève générale arriva trop tard, alors que la vague de grèves était retombée et les travailleurs démoralisés. Les militants, les travailleurs, les syndicalistes qui répondirent à l'ordre de grève de la CGT du 30 novembre 1938 se lancèrent dans un combat d'arrière-garde, vaincu d'avance.
Malgré les deux millions de grévistes, cette grève fut un échec.
La répression s'abattit sur la classe ouvrière. 800 000 travailleurs furent lock-outés ; des dizaines de milliers furent licenciés. Dans les arsenaux et dans l'aéronautique, comme dans d'autres branches d'ailleurs, aucun délégué d'atelier ou responsable syndical ne fut réembauché. Plus de 500 syndicalistes furent traînés en correctionnelle pour fait de grève La plupart étaient des militants ou des sympathisants communistes.
Dès lors, la voie était ouverte pour l'application des décrets remettant en cause des acquis de 1936. Finis les 40 heures et les congés payés. Le 20 mars 1939, un nouveau décret autorisait les 60 heures de travail dans les usines d'armement.
1939 - Le Parti Communiste dans la clandestinité
Malgré tout cela, le Parti Communiste soutenait encore le gouvernement et les députés communistes lui apportaient leurs voix, bien que la guerre se faisait de plus en plus menaçante.
En 1938, le pacte de Munich entre l'Angleterre, Hitler et la France avait semblé repousser l'échéance. Mais tout le monde savait, tout le monde sentait que ce n'était qu'un sursis. Et la veille de la déclaration de guerre, les députés communistes votaient les crédits militaires au gouvernement Daladier.
Cela se passait le 2 septembre. La guerre fut déclarée le 3 septembre 1939.
Pourtant, là, il venait d'y avoir un renversement d'alliances à 180° tel que les pratiquait Staline. Et les dirigeants du groupe parlementaire du Parti Communiste, en votant les crédits de guerre, montraient soit qu'ils étaient hésitants à prendre le virage, soit tout simplement qu'ils ne l'avaient pas encore pris.
En effet, moins de dix jours auparavant, le 23 août avait éclaté comme une bombe l'annonce d'un pacte de non-agression entre l'URSS et l'Allemagne, et toute la presse mondiale avait publié des photos de la poignée de mains et des sourires échangés entre Von Ribbentrop et Molotov, les signataires du pacte. Dans le même temps, les troupes allemandes entraient par un côté en Pologne, pendant que de l'autre côté, les troupes russes en faisaient autant.
En un mois, du 26 août 1939, date du pacte germano-soviétique, au 26 septembre 1939, date de la dissolution et de l'interdiction du Parti Communiste, fut mis fin, provisoirement mais violemment, au possible processus de social-démocratisation du Parti Communiste. Adieu les responsabilités syndicales, adieu les municipalités, les coopératives, tout ce tissu social où les militants du Parti Communiste auraient pu s'intégrer à l'ordre social comme la social-démocratie l'avait fait depuis le début du siècle.
De toutes façons, la haine et la crainte qu'avait la bourgeoisie française de la classe ouvrière et de tout ce qui venait d'elle étaient telles que l'on ne peut pas savoir si la direction du Parti Communiste aurait eu le choix de refuser de défendre les intérêts diplomatiques de la politique imposée à l'URSS Par Staline. Même s'il l'avait voulu, le Parti Communiste n'aurait sans doute pas rompu avec l'URSS pour jouer la carte de l'union sacrée qu'il tentait de jouer depuis 1936. Car la bourgeoisie française et la droite française avaient remporté, en novembre 1938, une victoire contre la classe ouvrière, et ne jugeaient pas spécialement utiles les services du Parti Communiste dans ce domaine, dans la mesure où elles pouvaient s'en passer.
Le Parti Communiste entrait donc, en septembre 1939, dans l'illégalité pour cinq ans.
Ce fut une période très dure pour les militants qui lui étaient restés fidèles. D'abord, la démoralisation fut grande. Le retournement de la politique de l'URSS, dix jours à peine avant la mobilisation générale, désorienta les militants et les sympathisants du Parti Communiste et vida ses rangs. La mobilisation générale le désorganisa. Car, en 24 heures, tous les hommes de 20 à 45 ans se retrouvèrent dans les casernes. Les militants furent coupés de leur milieu, séparés, sans directives, sans liaisons, sans contact. Et c'est dans ces conditions que l'interdiction frappa le Parti Communiste.
27 des 72 députés communistes rompirent ouvertement avec le Parti. Des responsables aussi, dont le responsable à l'organisation, Gitton...
Mais des militants restèrent fidèles au Parti. Combien, parmi ces trois cents et quelques mille adhérents de 1936 ? Bien peu sans doute. Mais des militants dévoués, prêts à tous les sacrifices, et pas à prendre des postes. Des militants pour lesquels la fidélité avec la politique de l'URSS était la fidélité à la lutte anti-capitaliste. On n'a pas de chiffres autres que ceux de la répression. En effet, les statistiques du Ministre de l'Intérieur, établies en mars 1940, font état, en six mois, de 4 300 arrestations de communistes. Comme la répression ne touchait que ceux qui continuèrent à militer dans cette période-là, cela veut dire que quelques dizaines de milliers de militants furent fidèles au Parti et à leurs idéaux.
Cela, malgré la désorganisation, malgré la démoralisation, malgré le mépris dans lequel Staline avait traité tous les partis communistes et toutes les classes ouvrières du inonde entier. Notons, en passant, que le Ministre de l'Intérieur du gouvernement Daladier, auteur de cette répression, s'appelait Sérol, et qu'il était membre du Parti Socialiste.
Il faut dire, malgré tout, que la politique du Parti Communiste dans cette période qui va de la déclaration de guerre à juin 1940 - l'exode et l'armistice - trouvait un certain écho chez les travailleurs et les catégories les plus pauvres de la population, parmi lesquelles la guerre était loin d'être populaire. On n'était pas en 1914 et les soldats n'étaient pas partis la fleur au fusil. La guerre de 14-18, ses horreurs, étaient encore très proches dans les mémoires populaires. C'était quasiment la même génération, et certains combattants avaient d'ailleurs eu le privilège d'être mobilisés les deux fois.
Non, les travailleurs de 1939 ne voulaient pas mourir pour Dantzig (c'est comme cela que s'appelait la ville de Gdansk). La propagande du Parti Communiste retrouvait quelques accents internationalistes - mais point trop.
La guerre était bien sûr une guerre impérialiste, mais c'était la faute de l'Angleterre si on avait la guerre, pas celle de l'impérialisme français. Il fallait bien affirmer une certaine logique avec la politique antérieure de soutien au gouvernement Daladier des dirigeants du Parti.
Il rien demeurait pas moins que la guerre n'était pas populaire. Et le nom de « drôle de guerre » que lui donna le langage populaire dans cette période, ne rend pas bien le fait que personne ne la considérait vraiment comme drôle. Et lorsque l'offensive allemande eut lieu, qu'en trois semaines les troupes anglaises et françaises furent enfoncées, anéanties, et qu'en juin 1940 toute la population du nord de la France se jeta sur les routes, disputant le passage aux bribes de l'armée en déroute, la guerre ne fut pas plus populaire.
A ce moment se déroula une période assez trouble de la part de la direction du Parti Communiste, qu'il contesta longtemps. On dit que la direction du Parti Communiste sollicita des Allemands l'autorisation de faire reparaître « L'Humanité ». Des militants, des maires communistes tentèrent de sortir de la clandestinité. De fait, non seulement les Allemands n'autorisèrent pas la reparution de « L'Humanité », sur la demande du gouvernement de Pétain dit-on, mais la répression ne cessa pas contre les militants communistes. Et certains passèrent sans transition des geôles de Daladier à celles de Pétain et aux camps allemands.
La propagande du Parti Communiste à cette époque, pendant l'année qui s'écoula de juin 1940 à juin 1941, parla de fraternisation avec les soldats allemands et, ce qui faisait un peu plus internationaliste, renvoyait dos à dos les impérialismes allemands et anglais. La presse du Parti parlait des agents gaullistes de la City de Londres. Les militants du Parti dans cette période continuèrent à militer dans les entreprises car il existait dans la classe ouvrière de petites réactions. En zone libre, existaient des syndicats officiels, corporatistes, où les militants du Parti Communiste trouvèrent la possibilité de travailler clandestinement.
1941 - Le Parti Communiste se range derrière De Gaulle
Mais le 22 juin 194 1, ce fut un nouveau virage à 180° de la politique extérieure de l'Union Soviétique, pas du fait de Staline cette fois-ci. Celui qui fut le plus surpris, ce fut justement Staline lui-même. Le 22 juin 1941 en effet, l'armée allemande attaqua l'Union Soviétique, plus exactement attaqua les territoires polonais occupés par l'Armée Rouge.
L'armée allemande ne trouva devant elle qu'une Armée Rouge absolument impréparée à son offensive. Staline avait d'ailleurs fait exécuter, quatre ans auparavant, tout l'État-major de l'Armée Rouge lors des purges sanguinaires de 1937.
Les nouveaux promus devaient leur avancement à la servilité plus qu'à leur initiative. Et bien que de toutes parts, des hommes aient risqué leur vie pour avertir l'URSS de l'attaque imminente des armées hitlériennes, l'État-major n'avait absolument pas préparé l'Armée Rouge à cette attaque. Des soldats allemands, des communistes allemands, avaient déserté et traversé les lignes pour avertir l'Armée Rouge de l'imminence de l'attaque. Mais Staline s'était contenté de faire fusiller ces déserteurs et de jeter à la corbeille les messages de ses espions les plus capables.
Staline croyait Hitler trop occupé par sa guerre avec l'Angleterre en Afrique, et par la menace de l'entrée en guerre des États-Unis pour se compliquer les choses en se mettant, en plus, sur les bras un adversaire de la taille de l'Union Soviétique. Le blé de l'Ukraine ou le pétrole de Bakou, Hitler aurait pu les avoir puisque Staline était prêt à les lui vendre. Mais non, Hitler fut plus logique avec les rapports de classe et avec la logique politique qu'avec ses intérêts militaires apparents.
Alors, à partir de ce 22 juin 1941, plus question pour le Parti Communiste de renvoyer dos à dos les impérialismes allemand et anglais, plus question de fraternisation avec les soldats allemands. Et la presse du Parti d'écrire que le peuple de France « comprend la nécessité de s'unir contre l'envahisseur hitlérien et que désormais communistes et gaullistes ont pour devoir de lutter côte à côte ».
Sur le plan intérieur, cela ne changeait pas grand-chose aux rapports du Parti Communiste avec la classe ouvrière, mais ce n'est pas cela qui amena à lui de nombreux militants, dans ces sombres années 1941-42-43. Les militants du Parti Communiste sont certes à l'origine d'un certain nombre de petites grèves, de petites actions de protestation aussi, dans la zone libre comme dans la zone d'occupation, contre les brimades, le ravitaillement insuffisant, les accidents du travail, les sanctions ou surtout les réquisitions de travailleurs pour le Service du Travail Obligatoire en Allemagne, mais ces mouvements étaient très faibles, très limités, très sporadiques et, dans les conditions de l'Occupation, ne pouvaient pas aller loin.
Cela a suffi cependant pour que le Parti Communiste se maintienne, principalement dans la classe ouvrière et dans les entreprises. Bien sûr, il participait activement à ce qu'on appela la Résistance, mais la Résistance, ce fut loin d'être un mouvement de masse.
Par contre, ce qui changeait beaucoup pour le Parti Communiste, c'était sa situation par rapport à la bourgeoisie française. Pas à l'intérieur de l'Hexagone. A l'intérieur de l'Hexagone, la bourgeoisie française était en paix avec l'occupant et s'employait à essayer de tirer profit des besoins de l'Allemagne en guerre. Tous ceux, industriels, cimentiers (fournisseurs du mur de l'Atlantique), intermédiaires en tous genres pour qui l'argent bien gagné n'a pas d'odeur et qui s'employaient à fournir à la machine de guerre allemande de quoi tourner, n'avaient que faire de voir le Parti Communiste se faire le champion du patriotisme jusqu'au-boutiste. Et les membres de la classe politique qui représentaient les intérêts de la bourgeoisie française auprès de la puissance occupante au travers de l'État français, ne pouvaient voir dans le Parti Communiste qu'un adversaire.
Mais par contre, à l'extérieur de l'Hexagone, un homme qui se sentait très seul, a vu dans le Parti Communiste l'instrument possible de la politique qu'il envisageait de jouer.
Ni en France, ni à l'étranger, personne ne connaissait vraiment De Gaulle. Il avait été, juste avant la débâcle, quelque chose dans le dernier gouvernement de Paul Reynaud, mais trop peu de temps pour que les Français, les Anglais, les Américains retiennent son nom. Mais lui, à Londres, il avait saisi que la chance de sa vie serait de pouvoir représenter les intérêts de la bourgeoisie française auprès des Alliés, ou contre les Alliés pourrait-on dire.
C'est que les Alliés, anglais, puis américains à partir de décembre 1941, ne se seraient pas privés de faire main basse sur l'empire colonial français, les Anglais l'ont fait d'ailleurs en partie en Syrie et au Liban. Et si les Alliés ne reconnaissaient pas le gouvernement de Vichy, et pour cause, ils pouvaient dans le décours de la guerre traiter la France comme un adversaire et non comme un allié et lui imposer une administration militaire une fois le territoire occupé par les anglo-américains.
Toute la politique de De Gaulle fut donc d'essayer de se faire reconnaître comme un gouvernement représentatif par les Alliés et qui plus est un gouvernement dont ils ne pourraient pas se passer, lors d'une débâcle allemande, sans risquer des troubles avec la population, ce qui était leur crainte la plus fondamentale.
Mais pour cela, il fallait à De Gaulle pouvoir faire la preuve d'une assise populaire en France. Et à vrai dire, ni les Anglais, ni surtout les Américains, jusqu'au dernier moment, jusqu'en 1944 après le débarquement, ne l'ont vraiment reconnu comme tel.
De Gaulle a donc compris qu'il pourrait se servir du Parti Communiste pour l'aider à trouver cette assise populaire, pour l'aider à se faire plébisciter par le peuple français à la Libération. Et les milliers de militants qui se sont sacrifiés pendant l'Occupation, qui ont fait vivre le Parti, qui l'ont maintenu, ont servi à créditer le Parti de leurs sacrifices aux yeux des masses populaires et ont servi finalement à faire plébisciter De Gaulle.
De Gaulle avait besoin, lors de la libération du territoire, d'un consensus populaire, d'une absence de troubles sociaux, que seul le Parti Communiste était capable de lui assurer. Parce que lui seul était capable d'avoir les cadres et les structures susceptibles de maintenir un certain ordre social au moment de la Libération, au moment où le gouvernement de Vichy et son appareil d'État se saborderaient ou partiraient dans les bagages de l'armée allemande. Pour donner à De Gaulle le temps de mettre en place d'autres préfets, d'autres structures.
Il fallait en effet éviter tout désordre, prouver que De Gaulle était capable, seul capable, de maintenir l'ordre en France dans la période troublée de l'entre-deux-règnes, sans que les Alliés aient à le faire par l'intermédiaire de leur puissance militaire.
Aussi De Gaulle associa-t-il officiellement le Parti Communiste au gouvernement provisoire qu'il créa en 1943 à Alger. C'était la première participation du Parti Communiste dans un gouvernement bourgeois - qui ne gouvernait encore pas beaucoup - mais ce n'était pas la dernière.
1944-1947 - Le Parti Communiste au gouvernement
A partir de là, tout était en place pour que le Parti Communiste connaisse un essor et une influence sans précédent... à partir de la Libération.
Durant toutes les sombres années de l'occupation, cette politique n'a pas amené de forces considérables au Parti Communiste, car, encore une fois, la Résistance ne fut pas un mouvement de masse. Mais, lors de ce qu'on appela « la Libération », le Parti bénéficia de l'immense prestige de ces années de sacrifices et de luttes de ses militants dans la clandestinité depuis 1939. Sans compter que si ses militants étaient relativement peu nombreux, et donc qu'on les rencontrait peu -à part dans les entreprises - par contre la presse, la presse de l'Occupation, elle, en voyait partout.
Et quand il y avait des noms de fusillés sur les affiches, il y avait presque toujours la mention « communiste » à côté.
Le Parti Communiste bénéficiait de l'image et du crédit d'un parti dont les militants avaient consenti d'immenses sacrifices durant cinq ans, avaient été - et de loin - les plus persécutés et les plus pourchassés, ceux qui avaient fourni le plus gros lot de déportés et de fusillés. Un parti qui avait tenu, contrairement à tous les autres partis français, durant toutes ces années, qui n'avait jamais disparu malgré la répression. Mais de plus, comme en 1936 et bien plus qu'en 1936, il était devenu un parti gouvernemental.
Dans l'enthousiasme de la Libération que toute la population a confondue avec la fin de la guerre et avec la fin des privations, le Parti Communiste vit venir à lui un afflux sans précédent d'adhérents et de sympathisants, encore plus qu'en 1936. Il y avait une grande partie de tout cet afflux de 1936 qui revint dans cette période car cela ne se passait que 8 ans après. Mais il y en eut aussi bien d'autres. D'autres attirés, bien sûr, parce que les militants du Parti avaient lutté, s'étaient battus, s'étaient sacrifiés. Mais beaucoup aussi parce que c'était un parti de gouvernement, un parti gaulliste, situé tout à gauche de la coalition gaulliste, mais un parti qui se situait dans le camp de la victoire.
Tous les partis qui se créèrent ou qui se recréèrent à l'époque, dans le cadre de cette coalition victorieuse, connurent eux aussi un afflux considérable. Les seuls partis antérieurs à la guerre furent le Parti Socialiste et le Parti Communiste. Les autres apparurent sous de nouveaux noms même si c'était avec d'anciens hommes.
En quelques mois, des milliers de nouveaux adhérents affluèrent au Parti qui en comptait 500 000 en 1945. L'ampleur de son attrait était confirmée par les résultats électoraux.
Aux élections à l'Assemblée Constituante d'octobre 1945, les candidats du Parti Communiste recueillaient 5 millions de voix, près de 27 % des suffrages contre 4 500 000 et 23,5 % à ceux de la SFIO.
Cette tendance se maintint, s'amplifia même un an plus tard à l'occasion des élections législatives de novembre 1946. Avec 5 millions et demi d'électeurs et près de 28,3 % des suffrages, le Parti Communiste distançait cette fois largement la SFIO qui, elle, régressait avec 3 500 000 voix et 17,9 % des suffrages. Le rapport de force entre le Parti Socialiste et le Parti Communiste qui était depuis 25 ans constamment favorable aux socialistes, s'était inversé.
Alors que le Parti comptait 150 municipalités en 1939, 324 en 1935, il en dirigeait plus de 2 000 en 1945.
Le Parti Communiste était devenu, comme il le proclamait à la Une de « L'Humanité » : « Le premier parti de France ». Ses militants étaient à la tête d'organisations qui regroupaient des dizaines de milliers de membres, organisations de jeunes, de femmes, organisations sportives, d'anciens combattants. Son influence s'était considérablement accrue dans la classe ouvrière.
La CGT comptait 5 millions d'adhérents. Mais en son sein, là encore, le rapport de force avait changé. Alors qu'en 1935, les réformistes y étaient majoritaires, c'étaient maintenant les communistes qui l'étaient devenus.
Mais le Parti Communiste recrutait aussi dans des catégories sociales petites-bourgeoises qui voyaient en lui le champion de la patrie et l'artisan de sa reconstruction.
Ces catégories ne lui reprochaient plus ses liens avec l'URSS, puisque l'URSS, alliée de la France, de la Grande-Bretagne et des États-Unis, était dorénavant une puissance amie. Et puis le Parti Communiste avait désormais des ministres. Ses membres étaient à la direction d'un grand nombre d'organismes étatiques. Et de ce fait, le Parti Communiste était devenu non seulement un parti respectable, un parti comme les autres, officiel en quelque sorte, mais aussi un parti au travers duquel il était possible de faire carrière, d'obtenir des postes ou des titres. Et beaucoup de carriéristes, d'opportunistes qui considéraient qu'être au Parti Communiste c'était être du côté du manche, le rejoignirent durant cette période pour le quitter deux années plus tard, lorsque le Parti Communiste fut éjecté de ses fauteuils ministériels.
Oui, le Parti Communiste était devenu un grand parti national comme aimaient à le répéter ses dirigeants. Un parti dans lequel se reconnaissaient sans doute ceux des travailleurs qui aspiraient à une amélioration du sort de la classe ouvrière. Mais aussi, et peut-être plus encore, un parti qui satisfaisait ceux qui, à l'époque, n'avaient qu'une seule envie : remettre le capitalisme en selle.
Il faut dire que la politique que menaient ses dirigeants avait tout pour satisfaire ces derniers.
Au gouvernement, mais aussi dans le pays, dans les usines, il menait une politique au service de la bourgeoisie. Et encore une fois, il avait d'autant plus de latitude pour le faire que cette politique n'entrait pas, durant cette période, en contradiction avec celle des dirigeants russes.
Il avait utilisé son influence pour restaurer l'autorité de l'État bourgeois. Il allait l'utiliser pour obtenir aussi que les travailleurs se serrent la ceinture, tout en s'éreintant au travail. Priorité était donnée à la « bataille de la production ». Thorez ne déclarait-il pas que « la bataille de la production est l'aspect déterminant de la lutte de la nation contre les trusts, ennemis de la nation et saboteurs de la renaissance nationale », et encore, « hier on spéculait sur la lâcheté, aujourd'hui, on spécule sur la paresse. Aujourd'hui, on pratique l'encouragement au moindre effort ».
Toute cette période est jalonnée d'appels de la même eau. De la même sueur pourrait-on dire. Appel aux mineurs, appel aux cheminots, appels aux métallurgistes, etc... etc... Oui, une chose primait dans la propagande du Parti Communiste, produire, produire sans rechigner, produire sans revendiquer. Et ceux qui faisaient grève à l'époque, ou simplement rouspétaient, étaient accusés d'être des agents des trusts ou de l'Allemagne, les deux étant d'ailleurs généralement confondus dans une même injure.
Pour la classe ouvrière, la vie était difficile. Aux privations de la guerre s'ajoutaient celles qu'on lui imposait au nom de la reconstruction du pays.
La carte d'alimentation, qui réglementait le ravitaillement, créée pendant la guerre, avait toujours cours, et entre 1945 et 1946, quand une récolte de blé insuffisante aggrava la pénurie de pain, la ration tomba alors à 250 g par jour.
Et on ne peut pas dire que dans les usines, la politique du PCF était accueillie avec enthousiasme, à l'exception sans doute des membres de l'appareil du parti, en particulier des militants qui jouaient, avec un zèle non dissimulé, le rôle de contremaîtres ou de chefs d'atelier. Mais elle était acceptée parce que beaucoup y voyaient la seule politique possible.
Et lorsque le dirigeant du syndicat CGT des mineurs déclarait qu'il fallait « produire 100 000 tonnes de charbon cette année » et qu'il expliquait « Il le faut, camarades, pour que le froid, la misère et les morts qui ont plus que doublé pendant l'hiver 44-45 ne retombent pas sur nos épaules, pour qu'il n'y ait pas de mamans qui puissent nous reprocher, à nous mineurs, d'être la cause de la mort de leur petit gosse parce qu'il avait froid », les mineurs étaient sans doute les seuls à se rendre compte de l'hypocrisie du discours.
Finalement, 1945-47 fut sans doute la période où le Parti Communiste se rapprocha le plus du modèle social-démocrate. Toutes les conditions étaient réunies pour qu'il le devienne. Et s'il avait été un parti plus démocratique, plus sensible aux aspirations de sa base, il le serait peut-être devenu en cette période où il contribua à remettre le capitalisme français en selle. Mais en réalité, ni les circonstances internationales, ni les choix de la bourgeoisie ne lui en laissèrent le temps. Car tout changea brutalement en 1947.
En effet, fin 1946, la situation de la classe ouvrière française est devenue intolérable. Des grèves éclatent, que les militants du Parti Communiste et de la CGT arrivent à contenir. Mais, en avril 1947, une grève débute chez Renault, que ni la pression du Parti Communiste, ni la CGT n'arrivent à empêcher de se prolonger et de s'étendre.
En quelques jours, tout Renault est en grève. D'autres usines de la métallurgie suivent.
Après s'être violemment opposés au grévistes, le Parti Communiste et la CGT sont débordés. Du coup, le parti se voit en situation de risquer de perdre tout son crédit sur la classe ouvrière. Et qui plus est, de façon visible. Car si, malgré ses efforts, les grèves s'étendent ouvertement contre les militants du Parti Communiste et de la CGT, c'en est fait du rôle exclusif, c'en est fait de la possibilité d'être le seul à pouvoir parler au nom des travailleurs, c'en est fait du rôle qu'il joue auprès de la bourgeoisie, et même du rôle qu'il joue au gouvernement. Il est mis en demeure de choisir : ou se solidariser, au moins en parole, avec les grévistes, ou rester solidaire du gouvernement. Il adjure le gouvernement de renoncer à sa politique des salaires et des prix. Duclos dit aux parlementaires qu'ils jouent avec le feu, qu'ils devraient permettre au Parti Communiste plus de possibilités de manoeuvres. Peine perdue.
Alors le Parti Communiste décida de faire voter ses ministres et ses députés contre la politique du gouvernement. Il faut dire que les dirigeants du Parti voyaient de toute façon leur participation gouvernementale menacée d'un autre côté.
1947 - Avec le début de la guerre froide, de nouveau l'isolement
C'est que, en effet, le début de l'année 1947 fut le début de ce que l'on appela plus tard « la guerre froide », c'est-à-dire la fin de l'alliance entre les USA et l'URSS. Les USA resserrèrent leurs liens économiques et politiques avec les pays européens occidentaux, tandis que l'URSS en faisait autant de son côté avec les pays de l'Europe de l'Est qui devinrent des « Démocraties populaires ».
Les dirigeants communistes, dans cette situation, ont pu craindre que de toute façon, une fois qu'ils se seraient totalement déconsidérés aux yeux de la classe ouvrière, ils seraient rejetés, et cette fois dans la pire situation qui soit, celle qu'ils avaient déjà connue en 39, en perdant et ceux qui étaient venus à eux parce qu'ils étaient un parti gouvernemental, et ceux qui constituaient au parti la base militante au sein de la classe ouvrière.
C'est pourquoi le Parti Communiste choisit la rupture, plus exactement le risque de rupture, car tous ses efforts furent alors de convaincre la bourgeoisie et tous ses gouvernements successifs, qu'il pourrait à nouveau être un parti de gouvernement.
Mais la bourgeoisie, dans cette période ne se laissa pas convaincre.
Toute la période 1947 1948 fut marquée par des grèves où le Parti ne joua pas le rôle initiateur et coordinateur que la presse de droite lui reprocha d'avoir joué. Bien au contraire, durant toute cette période où la classe ouvrière livra des combats défensifs pour son niveau de vie, ses salaires, le Parti Communiste ne fit rien pour coordonner les luttes et leur donner des chances d'emporter la victoire. Par contre, ses militants purent être de toutes les grèves, et le Parti Communiste put reconquérir alors, auprès de la classe ouvrière, l'image d'un parti ouvrier militant, dur.
Les grèves culminèrent en novembre et décembre 1947 ; trois millions de travailleurs y participèrent, ville après ville, profession après profession. La CGT ne fit rien pour que cette vague de grève se transforme en grève générale, susceptible de mettre en danger le gouvernement.
Mais les militants du PCF, ceux de la CGT, se retrouvaient en première ligne.
Le gouvernement Schuman, et son ministre de l'Intérieur, le socialiste Jules Moch, envoyèrent alors les CRS et l'armée contre les grévistes et les manifestants. Ils rappelèrent plusieurs dizaines de milliers de réservistes à cet effet.
Cela se traduisit par quatre morts, des centaines de blessés, 200 militants ouvriers furent emprisonnés, de nombreux autres inculpés et poursuivis.
Le 9 décembre 1947, alors qu'il restait encore un million et demi de grévistes, la CGT appelait à la reprise.
La note fut lourde. Les licenciements se comptaient par centaines. L'année 1948 fut marquée par de nouvelles grèves et en particulier par celles des mineurs. En août 1948, les salaires réels avaient atteint leur niveau le plus bas depuis la guerre. Et c'est dans ce contexte que le socialiste Robert Lacoste engagea « la reprise en main des bassins miniers », ce qui se traduisait entre autre par le licenciement de 10 % des travailleurs en surface. La CGT appela alors à la grève de tous les bassins miniers. Jules Moch, toujours ministre de l'Intérieur, ordonna la réquisition des mineurs de Lorraine. La police intervint contre les manifestants. Il y eut un mort. Dans le Nord, ce fut ville par ville, village par village, puits par puits, que 45 000 soldats et gendarmes, avec chars, automitrailleuses, entreprirent « la reconquête ».
A Alès, 800 mineurs furent arrêtés. Dans le Nord et le Pas-de-Calais, les prisons se remplirent. Les policiers allaient chercher les militants, malades ou blessés, chez eux.
Le 29 novembre, la fédération CGT du sous-sol appela à reprendre le travail sans que les mineurs obtiennent quoi que ce soit. 1 800 d'entre eux furent licenciés.
CGT et Parti Communiste avaient fait ce qu'il fallait pour conduire les mineurs à l'isolement et à l'échec, en poussant à la grève alors que les autres corporations s'étaient épuisées les unes après les autres.
Mais leurs militants, ceux qu'ils avaient gardés, avaient de nouveau dû connaître les affrontements avec la police, avec l'armée, avec aussi ce que signifiaient la prison et les licenciements.
S'il se garde d'offrir à la classe ouvrière une politique susceptible de la défendre sur le plan social et économique, le Parti Communiste n'en ménage pas pour autant ses militants sur le plan politique, là où les travailleurs ne risquent pas de suivre ou surtout de le déborder.
C'est ainsi que le Parti Communiste Français mène dans les années suivantes une violente campagne anti-américaine. Elle prend parfois des aspects ridicules, allant jusqu'à mettre à sac les camions de livraison de Coca-Cola.
En 1952, le Parti Communiste organisé, successivement, en février, des grèves pour protester contre l'interdiction de la traditionnelle manifestation anti-fasciste de commémoration des événements de février 1934. Puis il organise, en mai, une manifestation contre la venue du général Ridgway, qui, de retour de Corée, vient prendre le commandement des forces de l'OTAN en France.
Une violente campagne fut menée dans la presse du parti contre « Ridgway la peste » que l'on accusait d'avoir eu l'intention de mener la guerre bactériologique. Le 2 mai, André Stil, rédacteur en chef de l'Humanité était arrêté pour avoir incité dans ses articles à l'émeute.
A Paris, les manifestations du 28 mai se soldent par 718 arrestations, plus de 200 blessés, un mort.
Dans les entreprises, le Parti Communiste appelle à de nouvelles grèves contre la répression et l'emprisonnement de Jacques Duclos. Il y a de nouveaux licenciements, qui s'ajoutent à ceux qui ont suivi les manifestations contre Ridgway (plusieurs milliers dans toute la France : 600 à la SIOP, 500 à Lavalette et plusieurs centaines à la SNCF et aux PTT). Les militants n'étaient pas ménagés par leur parti.
Cette politique était suicidaire, mais les militants qui la menaient étaient dévoués. Les travailleurs se gardèrent bien de les suivre mais la direction du Parti Communiste faisait le calcul que son radicalisme sur ce terrain ferait oublier son absence de politique offensive dans le domaine économique et social.
A partir de cette année 1953, des choses importantes vont se passer pour les partis communistes, dont le Parti Communiste Français.
En mars 1953, Staline est mort. Une direction collégiale est mise sur pied dont émerge Krouchtchev. La fin de l'été 1953 marque le début d'une certaine détente. En juillet 1953, l'armistice est signé en Corée. En fait, c'est le début de ce qu'on appellera plus tard la « coexistence pacifique » entre l'URSS et les USA. On va aller, chaotiquement sans doute mais bien sûrement, vers une normalisation des rapports entre le monde impérialiste et l'URSS.
D'autres relations s'instaurent entre l'URSS et les différents Partis Communistes.
Alors, va-t-il y avoir une nouvelle occasion pour le PCF de profiter des forces qu'il a gardées et musclées dans l'adversité pour se déployer et s'installer dans la société française ?
Plusieurs fins de non-recevoir pour le Parti Communiste
Eh bien non, cela ne se fait pas. Non pas à cause des réticences du PCF. Le PCF, durant toute la période, ne cesse de frapper à la porte. Mais quoi que fasse le Parti Communiste, la bourgeoisie française et son personnel politique classique, de la droite au Parti Socialiste, ne veut pas intégrer le Parti Communiste, ne veut pas recommencer à associer le Parti Communiste au pouvoir.
Ainsi, le Parti Communiste soutient-il Mendès France quand celui-ci, en 1954, se présente à l'investiture comme Président du Conseil pour faire la paix en Indochine. Mais Mendès-France annonce à l'avance qu'il refusera de compter les voix des députés communistes dans le total nécessaire à son investiture.
Ainsi en 1956, le Parti Communiste décide de voter l'investiture de Guy Mollet à la présidence du Conseil, sans demander de contrepartie, et le 12 mars, il vote les « pleins pouvoirs civils et militaires » en Algérie à ce même Guy Mollet, soi-disant pour qu'il y fasse la paix. Il y intensifiera la guerre en y envoyant le contingent.
Le retour de De Gaulle au pouvoir, en juin 1958, n'allait pas contribuer à sortir le Parti Communiste de cet isolement. Bien au contraire, il se traduisit même par la première baisse importante de son audience électorale, et surtout par la chute spectaculaire de sa représentation parlementaire due , pour une grande part, à l'introduction d'un nouveau système électoral.
L'occasion de sortir de son isolement ne fut même pas fournie au Parti Communiste lors de l'élection présidentielle de 1965, lorsqu'il dut se rallier sans condition à la candidature de Mitterrand.
Et ce n'est qu'en 1972, que Mitterrand à la tête du Parti Socialiste, ce même Mitterrand à qui le Parti Communiste avait façonné une auréole d'homme de gauche en le soutenant en 1965, accepta le Parti Communiste comme allié, alliance conclue par la signature du Programme Commun.
Cette alliance allait permettre finalement au PCF de revenir au gouvernement sept ans plus tard. Sans revenir en détail sur les péripéties qui marquèrent cette période, on peut constater qu'elle a été marquée par l'érosion de son influence électorale tandis que le Parti Socialiste, lui, voyait son influence électorale croître et même dépasser celle du Parti Communiste, en 1978, et bien plus notablement encore en 1981.
1981 - Des ministres du Parti Communiste pour cautionner l'austérité
Mitterrand élu, il octroya - c'est bien le mot - quatre fauteuils ministériels ou plutôt quatre strapontins au Parti Communiste. Aussi les dirigeants de ce parti ont atteint enfin leur objectif. Ils siègent de nouveau au gouvernement, comme durant la période 1945-1947. Oui, ils ont de nouveau des ministres ! Mais pas comme en 1945.
La situation n'est plus la même. Ils ne sont plus « le premier parti de France ». Ils ne sont même pas au Parlement en position de jouer un rôle d'appoint puisque le Parti Socialiste a la majorité absolue des sièges à lui seul.
Aujourd'hui, leur participation au gouvernement ne dépend que du bon vouloir de Mitterrand ou plutôt de ses calculs politiques.
La seule chose que Mitterrand donne en partage au PCF, ce n'est pas le pouvoir - les quatre ministres communistes ne peuvent faire, au gouvernement, que de la figuration.
Non, ce que le Parti Socialiste leur donne en partage c'est plutôt l'usure du pouvoir. C'est le discrédit que leur vaut la défense d'une politique anti-populaire.
La direction du Parti Communiste espérait réintégrer le gouvernement par la grande porte. Mitterrand l'a fait rentrer par la porte de derrière.
Non ! le temps n'est certainement pas venu où le PCF deviendrait un parti social-démocrate. La situation ne s'y prête pas, son audience électorale se réduit. Il en est aujourd'hui à cautionner des suppressions de postes et des licenciements, et non pas en situation d'en distribuer. Il ne s'appuie pas sur une vaste audience populaire. Au contraire, la politique qu'il mène, met ses militants, dans les entreprises, en porte-à-faux vis-à-vis des travailleurs, sans aucune contrepartie.
Même le Parti Socialiste a du mal à être reconnu par la bourgeoisie, qui se sert de lui, mais avec des pincettes. Alors le Parti Communiste, une fois de plus, vient trop tard.
Alors oui, camarades,
Le Parti Communiste Français, depuis 63 ans qu'il existe, n'a pu réussir à devenir ni un parti révolutionnaire, ni un parti vraiment réformiste, vraiment intégré à la société tout au moins aussi intégré que ses dirigeants y aspirent.
Dans ses premières années, il n'a pu se forger une direction révolutionnaire, malgré tout le dévouement de ses militants, car la politique que lui imposa Staline ne le lui permit pas.
Dans l'autre sens, en 1936 et en 1945, quand il s'approcha du gouvernement de la bourgeoisie ou y participa ouvertement, le phénomène ne dura pas assez longtemps : la guerre la première fois, la guerre froide la seconde, ne lui permirent pas de poursuivre assez longtemps l'expérience pour s'intégrer à la société autant que la social-démocratie l'avait fait.
Aujourd'hui, il n'a pas de chance : après avoir été rejeté pendant 34 ans, il n'est parvenu au gouvernement qu'alors qu'il était électoralement en perte de vitesse et pour gérer la pire crise qu'ait connue la société française depuis la fin de la guerre.
Si Mitterrand a pris des ministres communistes dans le gouvernement Mauroy, ce n'est pas pour récompenser le Parti Communiste de son soutien, c'est parce que la gestion de la crise à laquelle est amené le Parti Socialiste l'oblige à se sacrifier sur l'autel des intérêts de la bourgeoisie, et Mitterrand n'a pas voulu que le Parti Socialiste soit seul à se sacrifier, et que le Parti Communiste puisse conserver intact son crédit pendant que le Parti Socialiste se serait déconsidéré.
La question que tout le monde se pose aujourd'hui, c'est celle de savoir si le Parti Communiste va rester au gouvernement ; si, devant les menaces ouvertes qui pèsent sur la classe ouvrière, le Parti Communiste va accepter de continuer à perdre son audience, son crédit, au risque d'être rejeté comme une outre vide, le jour où il ne pourra plus servir.
A cette question, nous n'apporterons pas de réponse ce soir.
Nous ne pouvons pas lire dans la tête des dirigeants du Parti Communiste. Nous ne pouvons pas non plus sonder les coeurs et les esprits de tous ceux, hommes et femmes, qui le composent. Nous devons l'avouer, nous ne savons pas ce que fera le Parti Communiste dans les mois qui viennent. Pas plus d'ailleurs que nous ne savons ce que fera Mitterrand, si le Parti Communiste recule encore électoralement aux élections européennes par exemple.
La seule réponse que nous puissions apporter, en tant que militants révolutionnaires, en tant que militants de la classe ouvrière, c'est faire en sorte que la classe ouvrière puisse et sache se défendre et même contre-attaquer dans la période qui vient.
Oui, la seule chose que nous puissions essayer de faire, c'est que la classe ouvrière pose elle-même la question aux dirigeants et aux militants du Parti Communiste. Et la seule réponse que nous puissions donner, là, ce soir, c'est que les dirigeants du Parti Communiste ne seront plus jamais dans le camp des travailleurs, mais que par contre, nous comptons bien qu'une fraction importante des militants et des militantes du Parti, celle sur laquelle le Parti a toujours pu compter dans les périodes difficiles, elle, choisira le camp de la classe ouvrière, et peut-être même celui de la révolution.
Mais pour cela, c'est à nous, révolutionnaires, d'être à la hauteur de nos ambitions, et cela va nous demander certainement bien du courage, du dévouement et de l'abnégation si nous voulons être à la hauteur des qualités dont ont fait preuve les militants du Parti Communiste en bien des circonstances.