Les intégrismes religieux, instruments de la réaction politique
Au sommaire de cet exposé
Sommaire
- L'intégrisme : une démarche réactionnaire
- L'intégrisme juif : quand les politiciens laics font le lit des religieux
- L'islamisme : une tradition politique réactionnaire
- Pour les peuples du Maghreb et du Moyen-Orient, des siècles d'histoire commune
- L'islamisme et la création de l'Arabie Saoudite
- Luttes d'émancipation coloniale : les laics et « modernistes » sur le devant de la scène
- L'unité arabe : espoir des peuples et faillite des dirigeants
- Le développement des mouvements islamistes dans les années 70
- Les mouvements islamistes à la conquète d'une base populaire
- La révolution de 1979 en Iran. Quand le drapeau de l'islam sert a détourner les aspirations du peuple à plus de justice
- Une tradition religieuse qui n'explique pas tout
- L'Iran, un pays avec une tradition ouvrière et une tradition de gauche
- Quand les religieux exploitent les reculs et les capitulations politiques de la gauche
- Pologne 1990. La résistible ascension de l'Église catholique
- Les staliniens et l'Eglise catholique
Dans leurs déclarations, les dirigeants de la coalition impérialiste prennent le plus grand soin d'affirmer que le conflit qu'ils mènent au Moyen-Orient n'est dirigé ni contre les Arabes, ni contre l'islam. Nous sommes intervenus pour voler au secours du Koweit, pays arabe et musulman, à l'appel de l'Arabie saoudite, autre pays arabe et musulman, ne cessent-ils de répéter. « Nous n'avons rien contre les Arabes et contre l'islam », proclament-ils.
Et en un sens ils sont sincères. Ils n'ont rien contre les Arabes en général. Ils éprouvent même sans doute de la considération pour le chef d'État détrôné du Koweit, le roi d'Arabie, et tous les émirs de la région ; de la considération sinon pour les hommes, du moins pour leurs comptes en banques.
Ils n'ont rien non plus contre l'islam. Comme tous les dirigeants du monde capitaliste ils sont pleins de respect pour la religion, pour toutes les religions, conscients du rôle social qu'elles jouent pour convaincre les masses qu'il ne faut pas chercher le bonheur sur terre, mais dans l'au-delà. Et ils respectent si bien l'islam que Mitterrand a accepté que les soldats français soient privés durant leur séjour en Arabie saoudite de Kronenbourg, de saucisson à l'ail, d'Eddy Mitchell, et de bien autre chose, pour ne pas faire de peine aux dirigeants saoudiens.
Mais les intentions proclamées des dirigeants occidentaux sont une chose, et la réalité des faits une autre.
Ils proclament qu'ils n'ont aucune intention anti-arabe, et la première conséquence, pourtant bien prévisible, de leur intervention, c'est un nouveau développement en France, et sans doute dans d'autres, pays du racisme anti-arabe.
Ils proclament qu'ils ne sont pas contre l'islam, mais le fait que Saddam Hussein, qui passait naguère pour un dirigeant laïc, ait inscrit « Allah est le plus grand » sur les drapeaux de l'Irak et en ait appelé à la solidarité de tous les musulmans, comme les manifestations de soutien à l'Irak des islamistes d'Algérie, de Palestine et d'ailleurs, prouvent que l'on aurait tort de prétendre que le conflit au Moyen-Orient n'ait aucune dimension religieuse, et ne puisse pas en acquérir une plus grande encore.
C'est un aspect de la situation dont nous ne pouvons pas nous désintéresser, car si nous sommes dans ce conflit sans réserve du côté du peuple irakien, du côté des masses arabes en lutte contre l'impérialisme, nous souhaitons évidemment que ce qui inspire leur combat soit une idéologie de progrès, et non une idéologie réactionnaire. Et en tant que militants révolutionnaires, nous devons tout faire pour que ce soient dans les idées socialistes, les idées communistes, les seules idées anti-impérialistes conséquentes, c'est-à-dire visant la destruction de l'impérialisme, et non dans un fatras d'idées réactionnaires et religieuses, que les masses arabes trouvent un guide pour leur lutte.
Car il ne suffit pas, l'histoire de ce siècle le montre, que les masses populaires se battent pour que leur sort change. Tout le problème est de savoir sur quel terrain de classe elles le font, avec quelles perspectives sociales et politiques.
Or l'intégrisme musulman, même s'il peut circonstanciellement apparaître comme s'opposant aux puissances impérialistes, et dénoncer celles-ci comme des grands ou des petits satans, ne peut être, comme tous les intégrismes religieux, qu'une force réactionnaire. Comme toute tentative d'aller chercher dans des textes vieux de quinze ou vingt siècles, des règles d'organisation de la vie sociale pour notre temps.
Et sur ce plan-là, le danger, pour les masses laborieuses, ne réside pas seulement dans l'emprise de la religion et dans l'influence des religieux. Il réside aussi dans la complaisance que peuvent avoir vis-à-vis de la réaction religieuse des gens qui se prétendent des représentants des intérêts des classes populaires. Sur ce point, l'histoire récente est riche en exemples, et pas seulement en terre d'Islam. Et c'est justement ce rôle réactionnaire de l'intégrisme religieux, y compris quand il revêt un caractère populaire, et le problème de l'attitude que le mouvement ouvrier doit avoir à son encontre, que nous voudrions analyser ce soir.
L'intégrisme : une démarche réactionnaire
Mais la première chose qu'il faut faire, si l'on veut discuter de l'intégrisme, c'est de voir que l'intégrisme n'est pas un phénomène propre à l'islam et aux pays musulmans, ni d'ailleurs aux pays sous-développés.
Si l'on en croit le Larousse encyclopédique, « l'intégrisme » serait « une disposition d'esprit de certains catholiques dits de droite qui veulent intégrer toute la vie dans la vie catholique » .
Quant au mot « fondamentalisme » quelquefois utilisé dans le même sens, il désignait au départ un mouvement d'origine protestante qui s'est développé aux États Unis pendant la Première Guerre mondiale et qui n'admet que le sens littéral des écritures. Sous la pression de ce courant, les USA se sont même offerts en 1925 le ridicule d'un procès intenté à un instituteur du Tennessee qui avait enfreint la loi de cet État, et expliqué à ses élèves l'évolution des êtres vivants. C'est aussi sous son influence qu'un certain nombre d'autres États américains (la Louisiane, le Texas, l'Arkansas) se sont vus dotés de lois favorables à l'enseignement de la science de la création, car comme le déclarait en 1980, au cours de sa première campagne électorale, une certain Ronald Reagan, « Si on se décide à enseigner dans les écoles (la théorie de l'évolution), je pense qu'il faudrait aussi enseigner le récit biblique de la création ».
Les deux aspects de la démarche intégriste, celui qui consiste à vouloir revenir à la lettre des textes dits fondamentaux, et celui qui consiste à vouloir diriger par la religion non seulement les opinions et la morale, mais aussi le pouvoir politique, ne sont donc ni nouveaux, ni propres à la religion musulmane, dont les « intégristes », ou les « fondamentalistes », qui préfèrent se qualifier eux-mêmes « d'islamistes », ont des homologues dans les pays les plus avancés, techniquement et scientifiquement.
Les liens entre l'État et les appareils religieux : une très vieille histoire
C'est que la sacralisation du pouvoir d'État pour inspirer respect ou soumission aux masses est une très vieille histoire.
Nous ne sommes certes plus aux temps des pharaons d'Egypte, prétendant être d'origine divine, ni des empereurs romains ou des rois de France qui affirmaient tenir leur pouvoir de Dieu lui-même. Mais jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l'empereur du Japon se prétendait d'origine divine, en tant que descendant de la déesse du soleil. Et de la guerre civile à 1975, l'Espagne fut gouvernée par Franco, qui s'était proclamé « Caudillo par la grâce de Dieu ». En Espagne, il y a d'ailleurs moins de quinze ans qu'existe un état-civil laïque, et auparavant on ne pouvait ni y naître, ni s'y marier, ni y mourir légalement si l'on n'acceptait pas de passer par l'Eglise catholique.
Ces pays étaient des dictatures ? Certes. Mais dans la très parlementaire Grande-Bretagne, l'anglicanisme est de nos jours encore religion d'État. La Couronne nomme les Evêques. Le Parlement apporte sa sanction aux décisions liturgiques de l'Eglise. Et, lien plus manifeste encore entre l'Eglise et l'État, l'épiscopat anglican est automatiquement représenté à la Chambre des Lords (l'équivalent de notre sénat) par vingt-six évêques.
En Allemagne, pays où coexistent presque à égalité catholiques et protestants, les églises sont financièrement protégées par l'État. La constitution de Weimar après la Première Guerre mondiale, puis celle de 1949 ont maintenu l'impôt d'Eglise que l'on retrouve au Danemark ou dans certains cantons suisses. Les communautés religieuses sont reconnues de droit public. L'État leur reconnait le droit de lever l'impôt par son intermédiaire, pour tous les citoyens ayant déclaré leur religion. L'État allemand prélèverait ainsi de 8 à 10 % de l'impôt sur le revenu pour l'Eglise. On peut évidemment refuser de payer cette taxe. Mais il faut alors déclarer que l'on sort de l'Eglise et la requête est transmise à celle-ci via l'administration des impôts.
La tradition laïque de la France, qui s'est d'ailleurs bien affaiblie depuis quelques dizaines d'années, loin d'être la règle des pays industrialisés, est au contraire une exception, une conséquence de la révolution de 1789, et des traditions qui en sont nées. C'est parce que l'église catholique était dans le camp de l'ancien régime que la révolution à son apogée, en 1793, s'engagea dans une politique de déchristianisation. C'est parce que cette même église, tout au long du XIXº siècle, fut un ennemi déclaré de la république parlementaire, que les bourgeois radicaux français allèrent plus loin qu'ailleurs dans la séparation de l'église et de l'État. Mais, depuis, l'église catholique, en fidèle défenseur de l'ordre établi, a fini par comprendre que le temps de la société féodale était passé, et s'est ralliée aux vertus du capitalisme. Et du coup, l'espèce des radicaux-socialistes libres-penseurs a pratiquement disparu.
Le grand homme de la bourgeoisie française que fut Napoléon Ier, avait parfaitement compris l'intérêt de la religion pour les possédants, quand il expliquait le fondement politique de son attitude vis-à-vis de celle-ci : « On dira que je suis papiste. Je ne suis rien. J'ai été mahométan en Egypte. Je serais catholique ici pour le bien du peuple. Je ne crois pas aux religions. » Mais il ajoutait : « Une société sans religion est comme un vaisseau sans boussole. Il n'y a que la religion qui donne à l'État un appui ferme et durable », en précisant : « une société ne peut exister sans l'inégalité des fortunes et l'inégalité des fortunes ne peut exister sans religion. Quand un homme meurt de faim à côté d'un autre qui regorge, il lui est impossible d'accepter cette différence s'il n'y a pas une autorité qui lui dise : Dieu le veut ainsi, il fait qu'il y a des riches et des pauvres, mais ensuite et pendant l'éternité le partage se fera autrement » .
On ne pouvait exprimer plus clairement le rôle socialement conservateur des idéologies religieuses. Et c'est bien là ce qui explique la place que la bourgeoisie triomphante a laissée aux Eglises dans tous les pays, même dans les pays les plus modernes.
Les églises chrétiennes : une longue tradition au service des classes exploiteuses
Les Eglises ont lutté contre le développement du mouvement socialiste, puis du mouvement communiste. Elles ont béni l'exploitation, béni la colonisation, béni les guerres mondiales. Cela leur a valu de garder partout, oui partout, même en Europe, même en France, un pied dans l'État.
Dans ce pays, la séparation de l'Eglise et de l'État a d'ailleurs été plus d'une fois battue en brèche. Le poids de l'enseignement religieux n'a cessé de s'accroître depuis quarante ans grâce aux subsides de l'État. Et si les politiciens radicaux du début du siècle n'hésitaient pas à s'opposer à l'Eglise, cela n'a pas duré longtemps. Au point que dans trois départements français d'Alsace-Lorraine la séparation entre l'Eglise et l'État n'existe absolument pas et que curés, pasteurs et rabbins y sont salariés de l'État, parce que ces départements n'appartenaient pas à la France dans les premières décennies de la Troisième République, et que les gouvernants français n'ont pas osé y abolir en 1919 le concordat de 1801, sous le régime duquel ils vivent encore.
Les Eglises chrétiennes ont été utiles aux possédants pour maintenir en place l'ordre social basé sur l'exploitation. Et ceci depuis l'antiquité, car sur ce terrain-là, au travers des siècles, l'Eglise ne s'est pas reniée.
Les évangiles chrétiens ont été écrits à la fin du premier siècle de notre ère, à une époque où l'esclavage antique connaissait, dans le monde méditerranéen, sa plus grande extension. Et contrairement à une légende savamment entretenue par la suite, ni le christianisme, ni l'Eglise catholique ne firent rien contre l'esclavage.
Ce qui définit la tradition chrétienne en ce domaine, c'est l'attitude de Saint Paul, quand Onésime, esclave qu'il avait converti, s'enfuit de chez son maître et vint se réfugier auprès de lui. Eh bien, Saint Paul le renvoya à son maître... en sollicitant l'indulgence de celui-ci. C'est dans cette même tradition qu'il y eut un concile, en 324, pour prononcer l'anathème contre tous ceux qui détourneraient les esclaves de leur devoir de servitude.
Un autre père de l'Eglise, Saint Augustin considérait à la fin du IVe siècle l'esclavage comme la conséquence du péché, précisant : « cela n'arrive que par le jugement de Dieu en qui il n'est point d'injustice et qui sait mesurer les peines aux démérites » . « C'est pourquoi, » ajoutait-il, « l'apôtre invite les esclaves à demeurer soumis, à servir de coeur et de bonne volonté » . Pas étonnant que par la suite la religion catholique ait servi l'ordre féodal, puis l'ordre bourgeois.
Et toutes les Eglises issues du christianisme n'ont jamais servi qu'à bénir l'exploitation et à fournir aux colonisateurs de tous les temps des contingents de moines, nonnes et curés au service des puissances colonisatrices. Et s'il y a pu y avoir, ici ou là, quelques prêtres pour protester contre certaines exactions, cela ne change rien au rôle social que les églises auxquelles ils appartenaient ont joué.
Dans le pillage du continent américain au seizième siècle et le massacre d'une grande partie de sa population au nom du Christ, comme dans la traite des Noirs ensuite, et dans le dépeçage de l'Afrique au siècle dernier, les responsabilités du goupillon sont autant engagées que celles du sabre des conquérants et des trafiquants. Et il est bon de rappeler cela, car si la montée de l'intégrisme religieux dans les pays musulmans nous préoccupe, il nous faut dire aussi que nous dénions le droit à la parole, sur ce problème, à ceux qui ne condamnent pas sans réserve le rôle politique joué par les églises dans le monde occidental.
L'intégrisme juif : quand les politiciens laics font le lit des religieux
Pour en venir aux pays du Moyen-Orient, le problème de l'intégrisme religieux ne se pose pas que dans les pays musulmans. Car le fragment d'Occident greffé dans cette partie du monde que représente Israël est bien loin d'être un État laïc. Et il nous faut en parler, car l'exemple d'Israël est significatif de la manière dont des courants politiques se disant laïcs et progressistes peuvent faire le lit des religieux.
Dans le développement de l'idéologie sioniste, qui a trouvé sa consécration avec la création de l'État d'Israël, les religieux n'ont pas joué un rôle très important, car à la fin du XIXe siècle les autorités religieuses israélites n'étaient généralement pas favorables aux projets des sionistes qui voulaient créer en Palestine ou ailleurs des colonies juives et un État juif. Les religieux se contentaient d'espérer la venue du Messie, le salut dans l'au-delà, et dans les pays où l'antisémitisme était virulent, prêchaient en attendant la résignation devant les pogroms.
Le père fondateur du sionisme, Théodore Hertzl, se méfiait des religieux, et écrivait dans son livre : « Nous n'admettrons pas le développement des velléités théocratiques de nos ecclésiastiques, nous saurons les maintenir dans leurs temples ». Les générations de militants sionistes qui allaient fournir les cadres du futur État d'Israël, comptaient d'ailleurs dans leurs rangs beaucoup d'intellectuels, d'hommes et de femmes cultivés. Et si le mouvement sioniste eut dès ses débuts une aile religieuse, il a été principalement animé par des nationalistes laïcs, dont beaucoup se réclamaient du socialisme... dans sa version social-démocrate bien sûr. Ce fut par exemple le cas de Ben Gourion, Moshe Sharett, Lévy Eskhol, Golda Meir et Itzakh Rabin qui se succédèrent à la tête de gouvernements israéliens à majorité social-démocrate de 1948 à 1974.
Et pourtant, Israël est un pays où la séparation de l'église et de l'État est inexistante. Le gouvernement n'y dépend certes pas des autorités religieuses, mais l'état civil par exemple est confié au rabbinat, ce qui signifie que l'on ne peut pas s'y marier autrement que sous le dais traditionnel, avec la bénédiction du rabbin, et que bien sûr tout mariage mixte, entre gens de religion différente, y est impossible. La pression de la religion sur la vie quotidienne y est extrêmement sensible... au point que les avions de El Al ne volent pas le samedi, jour du sabbat. Cette pression de la religion ne recule ni devant le ridicule, ni devant le macabre. Le ridicule, puisque des discussions se déroulent périodiquement sur le problème de savoir si on ne pourrait tout de même pas élever des porcs en Israël, bien qu'ils ne soient pas casher. Il y a quelques années de brillants esprits avaient même trouvé une solution : les élever (à tous les sens du mot) sur des estrades, pour « qu'ils ne foulent pas le sol sacré d'Israël » . Le macabre, puisqu'en 1984 on alla jusqu'à déterrer une femme d'un cimetière juif, parce que, selon les critères orthodoxes, elle n'était pas vraiment juive, étant née d'une mère protestante.
La Bible au service de l'union sacrée
La question qui se pose, c'est de savoir pourquoi les laïcs fondateurs d'Israël ont engendré un État où rien ne peut se faire contre le rabbinat. Et la réponse, elle se trouve dans leurs choix politiques.
La gauche sioniste, puis israélienne, dans ses choix nationalistes, a sans cesse recherché l'union sacrée avec l'ensemble du mouvement sioniste, y compris l'extrême-droite religieuse. Et bien entendu, comme toujours dans ce genre de situation, ce ne sont pas les réactionnaires qui ont fait des concessions. C'est la gauche qui est allée chercher ses justifications de l'établissement en Palestine dans les textes bibliques, en invoquant comme prétendu titre de propriété sur le sol palestinien, le don, par Jéhovah, de la « terre promise » à Moïse.
La gauche aurait pu choisir de souder ces émigrants originaires d'une multitude de pays, dont les langues et les coutumes étaient aussi différentes que pouvaient l'être leurs langues maternelles : yiddish des Polonais, allemand des Juifs de ce pays qui avaient été largement assimilés avant la tragédie du nazisme, arabe des Yéménites, ou judéo-espagnol, en leur proposant un idéal supra-national. Au lieu de cela elle a choisi de faire de l'hébreu biblique enseigné dans les écoles rabbiniques la langue nationale du nouvel État.
Cette utilisation de la Bible pour en faire le ciment du futur État d'Israël, Ben Gourion l'a très bien expliqué : « l'éducation hébraïque basée sur la Bible apportera au coeur de chaque juif la connaissance de l'essence de son judaïsme, qu'il soit religieux ou non. Il comprendra mieux ce qu'il est comme homme et comme juif, et il approfondira ses rapports affectifs avec Israël patrie de la Bible dans le passé et patrie de l'indépendance de son peuple dans le présent et l'avenir » .
Et bien évidemment, les argumentations empruntées à la Bible ne brillaient pas par leur caractère progressiste. Et ce n'est pas étonnant. Il est certes de bon ton aujourd'hui, dans la plupart des milieux cultivés, même non-religieux, de considérer la Bible comme l'un des chefs-d'oeuvre de la spiritualité humaine, comme une référence toujours valable pour les hommes d'aujourd'hui. Mais pour qui ne la lit pas avec les yeux de la foi, ou de la complaisance, la Bible n'a pour vertu que d'être un témoignage sur la société barbare et esclavagiste qui lui a donné naissance.
Parce que, si les hommes ont créé Dieu à leur image, ils ont aussi créé le monde divin à l'image du monde terrestre dans lequel ils vivaient.
Le dieu de la Bible a un sens très particulier de la bonté et de la miséricorde, lui qui n'hésita pas à anéantir tout le genre humain, enfants en bas-âge compris, en dehors de Noé et de sa famille, parce que les hommes ne respectaient pas ses commandements.
Et les héros de la Bible ne sont pas plus reluisants que leur dieu. Abraham, par exemple, vénéré non seulement par le judaïsme, mais aussi par le christianisme et l'islam, chassa dans le désert l'esclave à qui il avait fait un fils, le petit Ismaël, parce que sa femme en était jalouse. Et comme Ismaël serait, selon la tradition, l'ancêtre des Arabes, cela passe aujourd'hui pour une explication du conflit judéo-arabe !
Autre épisode significatif : quand Noé, pour avoir abusé du jus (une peu fermenté) de la vigne eut roulé sous la table, il ne pardonna pas à son fils Cham de s'être moqué de lui, et pour se venger il lança sa malédiction sur... Canaan, le fils de Cham et sur toute sa descendance. Ce qui justifia, d'après la Bible, quelques siècles plus tard, la conquête par Israël du pays de Canaan, autrement dit de la Palestine, promis par Dieu à Moïse. Et ce qui fonderait les droits d'Israël aujourd'hui, plus de deux mille ans plus tard, sur cette même Palestine.
Des capitulations qui tirent toute la société en arrière
Le choix des références bibliques pour justifier la colonisation de la Palestine fut bien antérieur à la création d'Israël. Les hommes et les femmes qui dans les années trente allaient s'installer dans les kibboutz dirigés par des organisations se réclamant du socialisme, et essayer de devenir, dans des conditions difficiles des agriculteurs pionniers, étaient souvent des hommes et des femmes cultivés, pas spécialement religieux, la plupart étaient même athées. Mais les mariages dans les kibboutz, même « socialistes » étaient célébrés par des rabbins.
Mais plus le temps a passé, plus les capitulations de la gauche ont renforcé l'extrême-droite religieuse. Le piège sanglant que le sionisme a constitué pour les centaines de milliers de juifs qui, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, cherchaient un endroit pour refaire leur vie ne consistait donc pas seulement à dresser inéluctablement contre eux les populations arabes de Palestine, mais aussi à les enfermer dans l'un des pays industrialisés le plus soumis à l'obscurantisme religieux.
En 1948, lorsque prit fin le mandat anglais sur la Palestine, l'État d'Israël fut donc proclamé comme un État juif, ouvert à tous les juifs, pourvu qu'ils puissent prouver qu'ils étaient juifs. Or, que pouvait donc être cette preuve, sinon la religion, ou la référence à la religion de ses parents ou grands-parents ? Et tous les partis sionistes signèrent la déclaration d'indépendance, avec ses connotations religieuses, même un parti comme le Mapam (que l'on pourrait qualifier de social-démocrate de gauche, par rapport à celui de Ben Gourion), qui s'était prononcé jusque-là pour un État binational, juif et arabe.
C'est à cause de ce choix politique délibéré de faire appel à la religion pour fonder la légitimité d'Israël, que cette religion pèse si fort dans la vie israélienne. Mais depuis 1967, et l'occupation par l'armée israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, les références bibliques servent de justification au refus de rendre ces territoires, et cette situation a encore accru le poids des intégristes juifs dans le pays.
Quand Jérusalem-est a été occupé, on a vu toute la classe politique, y compris le secrétaire du Parti Communiste (juif) se précipiter au pied du mur des lamentations, et baiser ses pierres. Et c'est au nom du caractère sacré de Jérusalem que les dirigeants israéliens, aussi bien les travaillistes que les dirigeants de droite qui leur ont succédé en 1977, se sont toujours refusé à ne serait-ce qu'envisager sa restitution.
Quant à la droite israélienne, pour elle les territoires conquis en 1967 « font partie intégrante de la terre promise par le Seigneur au peuple juif ». Et la droite « classique » trouve toujours plus à droite qu'elle.
Le parti appelé Goush Emounim, le Bloc de la foi, par exemple, qui est né dans la foulée de la Guerre des six jours d'une scission d'un parti religieux traditionnel, recrute des jeunes, en particulier dans les quartiers pauvres, pour les envoyer fonder des colonies dans les territoires occupés, colonies qui furent autorisées en sous-main par le gouvernement travailliste, avant d'être multipliées par Begin, après 1977, afin d'essayer de rendre irréversible l'installation d'Israël dans ces territoires. Ces jeunes du Goush Emounim ne portent pas les papillottes. Mais ils portent volontiers la mitraillette pour jouer les polices supplétives dans les territoires occupés.
Avec eux, c'est donc un autre type d'intégrisme religieux, plus soucieux d'expansionnisme que de faire respecter les règles religieuses dans la vie quotidienne, qui s'est développé dans les vingt dernières années. Et c'est un intégrisme plus dangereux encore pour l'avenir du peuple palestinien comme du peuple israélien.
Toute l'histoire d'Israël est donc celle d'un pays où les calculs de dirigeants politiques laïcs ont permis à la réaction religieuse d'acquérir un poids qu'elle n'aurait sans doute jamais pu atteindre par ses propres forces. Et c'est un exemple à méditer, parce que cela pourrait tout à fait se reproduire ailleurs, parce que cela s'est reproduit ailleurs.
L'islamisme : une tradition politique réactionnaire
Mais évidemment, les commentateurs occidentaux sont plus discrets sur l'intégrisme juif que sur l'intégrisme musulman. Car on agite aujourd'hui le spectre d'une vague islamique, comme naguère on nous menaçait du péril jaune, et pas seulement dans la propagande lepéniste, mais aussi dans les discours de politiciens qui se prétendent libéraux, dans les commentaires de journalistes et de spécialistes authentiques ou auto-proclamés.Et chacun d'entre nous a pu vérifié, autour de lui, que de tels discours avaient des échos dans la population.
Pour les peuples du Maghreb et du Moyen-Orient, des siècles d'histoire commune
La réalité est d'ailleurs plus complexe que l'égalité entre monde musulman et monde arabe.
L'aire de développement de la religion musulmane ne coïncide pas avec le monde arabe, même si l'on ne considère que les pays situés au pourtour de la Méditerranée et du Golfe arabo-persique. Ainsi, par exemple, l'Iran et la Turquie, tous deux pays musulmans, ne sont pas plus arabes l'un que l'autre.
Quant à l'islam, il est partagé entre diverses obédiences : chiites en Iran, wahhabites en Arabie saoudite, sunnites ailleurs...
Cependant derrière cet amalgame entre arabe et musulman, c'est-à-dire entre des références ethniques et religieuses qui ne se confondent pas, il y a malgré tout une part de réalité.
Et cette réalité, c'est l'histoire commune de tous ces peuples.
Une histoire commune qui remonte sans doute très loin, et qui est en particulier marquée par l'apparition d'un prophète qui a réussi, un prophète qui a été l'inspirateur d'un nouveau livre sacré, le Coran, bien après la Bible, bien après les évangiles, puisque c'était au septième siècle après Jésus-Christ.
Mahomet ne fut pas qu'un simple prophète, le fondateur d'une nouvelle religion ; c'était aussi un chef de guerre et un chef d'État. Car à la différence du christianisme, né en dehors du pouvoir d'État, et qui dut en subir pendant plus de deux siècles les persécutions avant de s'allier à lui, l'islam est né d'emblée comme une théocratie, c'est-à-dire comme une société où pouvoir religieux et pouvoir temporel étaient confondus.
La religion que prêchait Mahomet lui permit en effet de rassembler sous son commandement les tribus nomades du désert, et de canaliser leur énergie guerrière vers l'extérieur. Ses successeurs, marchant sur ses traces, ont pu, en un siècle, conquérir un empire allant de l'Inde à l'Atlantique, un empire dans lequel la culture, la langue arabe se répandirent largement, et il faut bien comprendre que lorsqu'on parle de « pays arabes » à propos de l'Afrique du nord par exemple, il s'agit en fait de pays et de populations arabisés.
Cette expansion arabe fut au moyen-âge un facteur de culture. C'est à travers les universités arabes d'Andalousie que l'Occident chrétien put en particulier renouer avec la pensée de la Grèce antique.
Et si ce monde arabe n'a pas tardé à se disloquer entre États rivaux, si la plus grande partie en a ensuite été soumise à la domination des Turcs (musulmans, mais non arabes) au sein de l'empire ottoman, l'époque de l'expansion arabe a laissé des traces durables sur toute la rive sud du bassin méditerranéen, homogénéisant des populations à qui elle a légué une même culture, une même religion, et dans une large mesure une même langue, du moins une même langue littéraire.
La religion n'était cependant pas seulement un élément d'unification. Car ses diverses interprétations pouvaient aussi être des instruments dans les rivalités étatiques ou tribales, et le retour aux sources de l'islam, ce qu'on appellerait aujourd'hui l'intégrisme, fut bien des fois mis au service des appétits de conquête de tel ou tel prince.
L'islamisme et la création de l'Arabie Saoudite
Pour ne parler que des temps modernes, c'est ainsi qu'au XVIIIº siècle, dans la péninsule arabique alors partie intégrante de l'empire ottoman, un certain Abdul Wahab avait déjà prêché sous prétexte d'un retour à la pureté de l'Islam primitif, une version particulièrement rétrograde de la religion musulmane. Et cette doctrine, le Wahhabisme devint l'arme utilisée par les émirs d'une petite ville de l'Arabie centrale, Ryad, pour justifier leurs ambitions territoriales. C'est ainsi qu'au début de ce siècle, à partir de Ryad, un certain Ibn Seoud, s'appuiera sur l'interprétation wahhabite, la plus réactionnaire, de l'islam, pour unifier à son profit la plus grande partie de la péninsule arabique. Il y réussit d'autant mieux que la Première Guerre mondiale se termina par l'éclatement de l'empire ottoman, qui se trouvait dans le camp des vaincus.
Mais pour se forger son royaume, qui allait devenir en 1932 l'Arabie « saoudite », Ibn Seoud dut non seulement lutter contre les Turcs, mais s'opposer aussi à l'impérialisme anglais qui, à son habitude, entendait diviser pour régner, qui misait aussi sur la famille hachémite (celle qui régna en Irak et règne encore en Jordanie), et qui entendait surtout garder le contrôle du littoral de la péninsule, par l'intermédiaire de petits États (le Koweit, Aden, les futurs Emirats Arabes Unis...) sur lesquels il exerçait son protectorat. Et le Wahhabisme d'Ibn Seoud, prêchant l'expulsion des étrangers des terres sacrées de l'islam, ne l'empêcha pas de trouver des accommodements avec l'impérialisme. Il dut se contenter de ce dont les Anglais voulurent bien lui laisser s'emparer, c'est-à-dire du centre et de l'ouest de la péninsule arabique, et son anti-impérialisme se borna à nouer des liens privilégiés avec l'impérialisme américain, en tant que rival de l'impérialisme anglais, ce qui est resté depuis une constante de la politique saoudienne.
Le Wahhabisme continue par contre à peser d'un poids considérable dans cet état féodal, ce royaume dictatorial, dans lequel les femmes n'ont pratiquement aucun droit. Même celles des classes dominantes se voient obligées de prendre un « homme de paille » (c'est vraiment le mot qui convient) quand elles sont propriétaires d'une entreprise, car elles n'ont pas le droit de la gérer elles-mêmes, et se voient, au nom du Coran, refuser le droit de conduire une automobile (avouez qu'il faut sans doute lire le Coran, rédigé il y a 1200 ans, avec de bien bizarres lunettes pour y trouver cette interdiction)... Et tout cela, entre autres joyeusetés dues au zèle des mutawas, les gardiens de la tradition wahhabite, qui constituent une véritable police des moeurs. Mais ces pratiques ne font pas bondir d'indignation les censeurs occidentaux, si prompts pourtant à dénoncer les horreurs, quand il s'agit de celles de Saddam Hussein.
De cette période de l'après-Première Guerre mondiale, cette région a donc hérité les frontières qui la découpent entre Jordanie, Irak, Arabie Saoudite, Koweit et autres émirats, qui ont été imposées par l'impérialisme, et dont on voudrait nous faire croire aujourd'hui que ce serait une violation du droit des peuples d'y porter atteinte.
Luttes d'émancipation coloniale : les laics et « modernistes » sur le devant de la scène
Mais cette emprise de l'impérialisme sur le Moyen-Orient et sur le monde arabe était d'autant moins facilement acceptée que la période qui suivit la Première Guerre mondiale fut aussi une période d'éveil des peuples coloniaux et semi-coloniaux.
La profonde vague révolutionnaire qui avait porté le prolétariat russe au pouvoir et ébranlé toute l'Europe ne pouvait pas ne pas avoir de conséquences dans les pays dominés par les impérialismes occidentaux. Non seulement par son retentissement parmi les masses populaires, mais aussi en montrant aux leaders bourgeois radicaux qu'il était possible de résister à l'impérialisme.
Dans le monde musulman, l'un des faits les plus notables de l'époque fut la création en Turquie, en 1923, sous la direction de Mustapha Kémal, Ataturk, d'une république laïque, dans laquelle l'appareil religieux musulman ne jouait plus aucun rôle. Ataturk n'avait certes rien d'un leader socialiste. C'était un dirigeant bourgeois, mais un bourgeois qui voulait moderniser son pays, le sortir du sous-développement et de l'obscurantisme, le faire accéder à une indépendance réelle. Et ce n'est pas dans le respect de la tradition, mais dans l'imitation des pays industrialisés (au point, par exemple, de faire adopter à son pays l'alphabet latin en remplacement de l'alphabet arabe) qu'il cherchait des solutions.
Mais Ataturk ne souleva pas que de l'admiration dans le monde musulman, loin s'en faut. C'est aussi en réaction contre ce mouvement d'émancipation qui osait bousculer la tradition que se développèrent un certain nombre de courants islamistes. Certains, comme les Frères musulmans d'Egypte reprenaient bien à leur compte une contestation de la domination britannique, mais ils le faisaient au nom d'un retour au passé, au nom d'une restauration sur tout le Moyen-Orient du pouvoir des religieux. Liés aux couches sociales les plus réactionnaires, ennemis de toute idée de progrès, viscéralement hostiles au mouvement communiste naissant, les Frères musulmans servirent d'instrument de lutte contre le développement du mouvement ouvrier.
Plus tard, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague secoua l'ensemble des pays coloniaux et semi-coloniaux, marquée par l'existence de directions nationalistes-bourgeoises d'autant plus radicales que les trahisons du stalinisme, la disparition de l'Internationale Communiste, celle du prolétariat de la scène politique, levaient pour elle l'hypothèque d'une possible intervention autonome de la classe ouvrière. La manière dont le stalinisme avait mis au pas le prolétariat russe, la manière dont le Parti Communiste Chinois avait remporté la victoire en 1949 sans que la classe ouvrière ait pu jouer le moindre rôle autonome au cours de la lutte, le processus similaire qui s'était déroulé au Vietnam jusqu'à la victoire du Vietminh sur la France, servirent désormais de références, dans le monde entier, à tous les dirigeants nationalistes désireux de desserrer l'étreinte de l'impérialisme, mais craignant que les masses se mettent en mouvement pour leur propre compte.
Le monde arabe n'échappa pas à la règle. Durant les vingt premières années qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, les directions qui y jouèrent un rôle furent des directions bourgeoisies certes, profondément anti-ouvrières, utilisant parfois une certaine démagogie islamiste, mais cherchant tout de même plus leur inspiration du côté des luttes d'émancipation victorieuses que des imams et des ayatollahs de toute sortes.
Nasser, qui incarna pendant tout un temps les espoirs de larges masses arabes est bien significatif de cette période. Ce n'était pas, loin de là, un homme de gauche. Il avait même été lié, de près ou de loin, aux Frères musulmans, et s'était appuyé sur eux dans son ascension vers le pouvoir. Mais il n'hésita pas non plus à s'appuyer un temps sur le Parti Communiste. Et s'il joua ensuite les Frères musulmans contre le PC, une fois celui-ci éliminé, il se retourna contre ses alliés intégristes qu'il trouvait décidément trop encombrants.
Mais c'est en décidant en 1956 de nationaliser le canal de Suez à la barbe des impérialismes français et anglais, pour assurer le financement de la construction du barrage d'Assouan, qu'il se forgea son auréole de dirigeant anti-impérialiste et de leader du monde arabe.
Soit dit en passant, les épithètes dont l'affublèrent alors les politiciens et les journalistes bourgeois français et anglais n'ont d'équivalents que ceux utilisés aujourd'hui pour Saddam Hussein, et les responsables de l'émission de télévision qui posait cette semaine la question « Saddam Hussein, nouveau Nasser ou nouvel Hitler ? » oubliaient simplement que pour leurs homologues de 1956, c'était Nasser le nouvel Hitler !
Mais quoi qu'il en soit, son geste de défi souleva d'espoir et d'enthousiasme les masses arabes.
L'unité arabe : espoir des peuples et faillite des dirigeants
Les dirigeants arabes qui se prétendaient progressistes auraient pu s'appuyer sur ces sentiments pour proposer à leurs peuples d'aller vers la formation de grandes unités politiques dépassant les frontières imposées par l'impérialisme. Et ce ne furent effectivement pas les projets d'union ou de fédérations inter-arabes qui manquèrent entre 1963 et 1984 : projet d'union entre la Jordanie et l'Irak, de fédération Syrie-Egypte-Irak, de fusion entre la Tunisie et la Libye, charte syro-irakienne, projet d'union syro-libyenne, de fusion entre le Maroc et la Libye. Mais aucun ne connurent le moindre début de réalisation.
Et l'abandon de ces projets sans lendemains prouve deux choses :
- la première, c'est que le thème de l'unité arabe est manifestement considéré comme un thème populaire par les dirigeants de ces pays-là, puisqu'ils s'y réfèrent constamment ;
- la seconde, c'est que dans le monde impérialiste cette unité arabe est impossible, parce que les bourgeoisies des pays arabes sont trop faibles, trop dépendantes chacune de leur propre appareil d'État pour prendre le risque d'en perdre le contrôle en le fusionnant avec d'autres. Et de ce point de vue, c'est le projet qui a été le plus loin, celui de la République Arabe Unie qui dura de 1958 à 1961, entre l'Egypte et la Syrie, qui est le plus démonstratif, précisément parce qu'il a connu un début de réalisation, et que l'un des deux partenaires s'est vite empressé de reprendre son indépendance.
En fait, s'il existe manifestement un sentiment national arabe (parmi les masses d'un certain nombre de ces pays du moins), au niveau des classes possédantes et des dirigeants politiques, c'est de nationalismes au pluriel qu'il faut parler, chacun s'accrochant aux frontières nées du découpage impérialiste.
C'est cette faillite du nationalisme tiers-mondiste, qui était tant à la mode dans les années soixante, cette démonstration faite de son incapacité à répondre durablement aux espoirs des masses, à sortir les pays du Tiers monde de leur sous-développement, et même tout simplement à dépasser les frontières imposées par l'impérialisme, qui a ouvert la porte à un développement de l'intégrisme dans le monde musulman.
Le développement des mouvements islamistes dans les années 70
C'est un fait en tout cas que, au cours de ces vingt dernières années qui commencèrent par un recul du mouvement palestinien après les massacres perpétrés par le gouvernement jordanien en septembre 1970, les mouvements d'opposition islamistes aux régimes laïcs à prétentions modernistes ou progressistes, ont connu dans bien des endroits, de nouveaux développements.
Ce renouveau s'était amorcé en Egypte au lendemain de la défaite de l'armée égyptienne dans la Guerre des six jours de 1967. Et un peu partout l'impulsion vint des appareils religieux dont les prérogatives sociales et politiques avaient été rognées. Ils travaillèrent en particulier à reconquérir leur position dans l'enseignement. Et puis l'on vit aussi bien sûr des groupes islamistes de l'époque antérieure qui avaient parfois, comme en Egypte, subi les coups de la répression se développer et se multiplier.
Les islamistes s'étaient toujours faits les porte-parole du mécontentement des propriétaires terriens devant les tentatives, bien souvent avortées, de réformes agraires comme cela avait été le cas en Egypte. Lors de la réforme agraire mise en place par le gouvernement algérien à partir de 1972, les islamistes pourtant marginalisés vont faire entendre leur voix contre cette mesure qui mécontentait les propriétaires fonciers algériens. Les interventions des différents États dans la vie économique, les priorités choisies par les gouvernements furent régulièrement l'objet de critiques dans lesquelles les islamistes épousaient les points de vue des couches les plus conservatrices de la bourgeoisie nationale. Et le thème privilégié était bien sûr celui de la lutte contre la corruption, le relâchement des moeurs, l'usage de l'alcool, et les quelques mesures pries par certains États (la Tunisie, la Libye, l'Algérie) pour limiter l'oppression séculaire dont les femmes sont victimes. Il fallait pour les islamistes en revenir à la charia, la loi coutumière du temps de Mahomet, et l'imposer à toute la société. D'après l'un des maîtres à croire de l'islamisme en Algérie, l'islam est capable de résoudre tous les problèmes car, je cite : « L'islam est une religion céleste, qui existe par elle-même, autonome : la Charia est parfaite et ne manque de rien pour que les lois athées la complètent. Celui qui prétend que l'Islam souffre d'un manque, qu'il est incapable de résoudre des problèmes de l'époque actuelle..., celui-là est un menteur et un incrédule, un apostat et un impie... » . Et c'est au nom de cette même Charia que peu à peu, dans bien des pays, comme la Tunisie, l'Algérie par exemple, on en revint, sous la pression des intégristes, à voir un retour en force du port du voile, ce symbole de l'oppression des femmes, contre lequel des femmes progressistes s'étaient battues pendant des décennies.
Les modes d'existence et les interventions politiques des divers groupes islamistes étaient très variables suivant le pays. Tous se fixaient pour objectif la conquête du pouvoir mais ils préconisaient des formes d'actions différentes en fonction de leurs propres traditions politiques. En Egypte, ou en Syrie, où il existait de longue date un mouvement islamiste multiforme, non seulement les appareils clandestins se reconstituèrent dans le but de préparer des actions terroristes, des assassinats (comme celui de Sadate), ou des coups de force, mais on vit les mouvements islamistes développer leur implantaion dans la population. Dans d'autres pays, comme en Algérie ou en Tunisie, où le mouvement était plus récent, même si certains groupes cherchèrent à constituer des noyaux armés, l'accent était mis sur la constitution d'un vaste mouvement d'opposition capable de peser sur le pouvoir, de l'infléchir. Et dans ces années 70 c'est partout que les mouvements islamistes renaissants cherchèrent àconquérir une base populaire.
Les mouvements islamistes à la conquète d'une base populaire
Une de leur façon d'étendre leur implantation et leur influence fut le développement des mosquées. Dans ces pays de dictature, les mosquées étaient un des rares endroits où les gens pouvaient se réunir, parler et où les intégristes pouvaient donc s'exprimer librement. Les mouvements intégristes en préconisèrent la multiplication. Ils organisaient la lutte pour les imposer et tissaient autour de la mosquée tout un réseau militant et une sphère d'influence. Les religieux organisaient des cours de rattrapage dans les mosquées pour les étudiants issus des classes pauvres. Comme tous les curés du monde, ils mettaient sur pied dans les quartiers pauvres des systèmes d'entraide et s'implantaient.
Par ailleurs les islamistes menèrent une active politique de recrutement dans les universités. La vague moderniste, la répression, l'attirance pour les idées nationalistes inspirées du maoïsme les avaient un temps marginalisés. Ils s'y réimplantèrent d'autant plus aisément que dans la plupart des pays les gouvernements en place favorisèrent au moins un temps leur développement, dans le but de faire pièce aux groupes de gauche et d'extrême-gauche. Propagande anti-communiste, hargne anti-sioniste, attaques physiques contre les militants d'extrême-gauche, vitriolage de femmes qui refusaient de céder aux pressions et de porter le voile, c'est à toutes ces pratiques que furent formés ceux qui sont aujourd'hui les cadres du FIS algérien, et de ses homologues tunisien ou jordanien et de tant d'autres groupes.
Partout les thèmes de propagande étaient les mêmes : puisque les régimes étaient corrompus, corrupteurs, il fallait revenir à la pureté de l'islam, à un pouvoir islamique fondé sur Dieu et le Coran, indépendant de l'Occident aussi bien que de l'URSS. Et l'anti-communisme, la lutte contre l'idée d'une organisation de la classe ouvrière, revenaient comme un leitmotiv.
Les puissances occidentales n'ont d'ailleurs pas vu d'un mauvais oeil le développement des mouvements islamistes. Elles espéraient s'en servir comme d'un contrepoids à l'influence des pro-soviétiques et comme un frein aux luttes sociales.
L'un des chefs de la CIA au Moyen-Orient, Copland, révéla dans son livre le Jeu des Nationsiul qu'à partir des années cinquante la CIA encourageait les Frères Musulmans pour contrer l'influence communiste en Egypte. Et, toujours selon lui, ce phénomène s'est ultérieurement accentué. Quant à Giscard d'Estaing, il avait, au moins en 1980, une petite tendresse pour l'islam, qu'il expliquait en ces termes à l'un des membres de son cabinet : « Pour combattre le communisme nous devons lui opposer un idéologie. A l'Ouest, nous n'avons rien. C'est pourquoi nous devons appuyer l'islam » .
Partisans de l'ordre social, hostiles à la classe ouvrière, les mouvements islamistes l'ont toujours été. Mais c'est le coup de tonnerre de la révolution iranienne de 1979 qui allait leur donner une toute autre dimension.
La révolution de 1979 en Iran. Quand le drapeau de l'islam sert a détourner les aspirations du peuple à plus de justice
Pour l'Occident, c'est la victoire de l'ayatollah Khomeiny en Iran, en février 1979, qui a été le révélateur de la force acquise sur le plan politique par le courant islamiste radical. C'est alors que les médias occidentaux ont commencé à agiter la menace de « l'intégrisme musulman ».
A vrai dire, dans cette attitude, il est difficile de dire quelle était la part de l'aversion envers l'obscurantisme religieux, et quelle était celle de la frayeur devant l'irruption des masses déshéritées sur la scène politique.
Car le fait est que le régime de Khomeiny et de ses successeurs, ce régime théocratique où tout le pouvoir est aux mains d'un clergé dont l'idéal de société politique remonte au 7º siècle, qui pratique une répression barbare contre toute opposition, toute liberté, tout non-conformisme social, ce régime réactionnaire, est surgi directement d'une véritable révolution populaire.
Il s'est mis en place dans les jours qui ont suivi la victoire du soulèvement des masses sur la monarchie - pas sur la base de leur reflux ou de leur découragement. Toute l'année 1978 fut marquée par une mobilisation réelle dans toutes les villes à travers l'Iran - massive - héroïque - acharnée - centrée sur cet unique objectif : le départ, la capitulation du monarque haï, dont le régime ne reposait que sur son armée et sa police politique, et qui, depuis des décennies, nargait la misère populaire par l'ostentation de son opulence et la morgue d'une mince couche de privilégiés.
Pendant toute cette année 1978, les masses populaires des villes se lancèrent dans la rue, encadrées par les religieux - les mollahs - bravant, les mains nues, l'armée et la loi martiale, pour réclamer le départ du Chah, y laissant des morts par milliers.
La classe ouvrière du pétrole, en particulier les travailleurs de la raffinerie d'Abadan, entra à son tour dans la lutte, sur son terrain, celui de la grève, tout en restant, politiquement, derrière Khomeiny, noyée dans le mouvement général. Malgré l'intervention de l'armée contre les grévistes dans les villes et les cités ouvrières, la paralysie des exportations de pétrole donna le coup de grâce au régime impérial.
Le chah fut contraint de quitter l'Iran. Khomeiny, qui était alors en exil en France, revint en Iran, en triomphe, le 1e février 1979, avec le consentement discret des chefs de l'armée. Mais il fallut encore trois journées insurrectionnelles, qui n'avaient été ni préparées ni voulues par l'ayatollah ou ses collègues, pour que soit instauré un gouvernement khomeinyste.
Quelques boucs-émissaires furent sacrifiés à la colère populaire, mais en quelques semaines le régime des religieux donna l'image de ce qu'il allait être : une nouvelle prison. Les corps de répression khomeinystes et l'armée massacrèrent par centaines au sein des minorités nationales, Arabes du Khouzestan puis surtout Kurdes. L'ordre moral des religieux s'imposa quasi immédiatement : les femmes durent désormais obligatoirement porter le voile coranique, ce qui n'était que le prélude à l'instauration d'une « république islamique » - pour Khomeiny, « démocratique » n'était qu'un mot occidental synonyme de corruption.
Les exécutions d'opposants en masse n'allaient pas tarder. Les nervis du parti de Khomeiny se disant « parti de dieu » (les hezbollahi) firent dès lors la loi partout.
Pourtant, lorsque, le 4 novembre 1979, des militants khomeinystes occupèrent l'ambassade américaine de Téhéran, prenant en otage le personnel de ce qu'ils appelaient « le nid d'espions » et réclamant l'extradition du Chah, réfugié à New York, alors Khomeiny fit de nouveau la démonstration que, dans son défi aux États-Unis, au « grand Satan », selon son expression, il avait l'appui massif de la population. Durant la crise qui dura toute l'année 1980, de grandes manifestations anti-américaines secouèrent l'Iran, des manifestations unanimes comme l'avaient été celles de 1978.
Ce défi de Khomeiny eut des répercussions considérables au sein des masses pauvres et humiliées non seulement dans tout le Moyen-Orient, mais aussi plus largement, dans tout le monde musulman, du Pakistan aux pays du Maghreb, jusqu'en Indonésie ou aux Philippines.
Khomeiny exaltait chez les déshérités un sentiment de revanche, non pas en s'en prenant réellement aux détenteurs des richesses, aux véritables responsables de la misère des masses populaires, mais en mettant les plus pauvres au premier plan de sa propagande. C'est parmi eux qu'il a recruté ses miliciens et ses militants. C'est à leur intention qu'il a pratiqué toute une démagogie confondant dans une même exécration les privilégiés pour leurs privilèges matériels et pour leurs moeurs occidentales. L'utilisation du drapeau de l'islam lui a servi à détourner les aspirations à davantage de justice sociale sur une voie sans issue.
Mais, au moins dans un premier temps, il a pu apparaître comme le grand défenseur des misérables, notamment face aux riches émirs et aux monarques du pétrole qui commencèrent à trembler à leur tour pour leurs trônes.
La monarchie des Pahlavi avait été renversée, alors qu'elle était un bras armé de l'impérialisme américain dans la région à cette époque.
Et Khomeiny exaltait un sentiment de revanche politique. Les humbles purent se croire forts chaque fois que Khomeiny défia en leur nom les États-Unis d'Amérique.
Khomeiny ne menait nullement une croisade anti-impérialiste, pas plus que Saddam Hussein aujourd'hui. Il menait simplement une lutte nationaliste plus audacieuse que d'autres dans la mesure où il s'appuyait sur les masses mobilisées dans la rue, mais plus réactionnaire aussi dans la mesure où il l'a menée sous le drapeau de l'inquisition religieuse. Le drame, c'est que ces aspirations profondes au sein des masses, à la considération, à l'égalité, à la justice, pour lesquelles elles ont montré qu'elles étaient capables des plus grands sacrifices, que tout ce potentiel révolutionnaire ait pu être capté, récupéré, par les bandes noires de la réaction.
Une tradition religieuse qui n'explique pas tout
Il s'en est trouvé, bien sûr, pour considérer que ce processus était le résultat d'une espèce de fatalité dans les conditions d'un pays sous-développé, arriéré, aux fortes traditions religieuses. Mais ce n'est pas juste.
Oui, les préjugés religieux sont répandus et enracinés en Iran ; oui, la caste des religieux y a une implantation de longue date. Ces religieux, de la variante dite chiite de l'islam, minoritaire par rapport à sa branche sunnite dominante, ont été pendant longtemps étroitement associés au pouvoir ; le chiisme servit les rois de Perse - qui le firent religion d'État - pour cimenter le sentiment national, unifier leur propre État et le soustraire à la domination des califes de Constantinople, maîtres de l'empire ottoman.
Après la Première Guerre mondiale, la Perse (qui n'est devenue l'Iran qu'en 1934) passa sous la coupe des Britanniques, qui contrôlaient en particulier son pétrole. Ils patronnèrent le pouvoir de Reza Khan, le père du Chah renversé en 1979, qui renforça son autorité en partie au détriment de l'hégémonie traditionnelle du clergé. Mais le clergé se maintint comme un corps vivace, d'autant qu'il ne fut pas porté atteinte à sa richesse en tant que propriétaire foncier et collecteur de dîmes.
Pourtant, bien que son pouvoir économique et social fut demeuré largement intact, il faut constater que, dans la période qui suivit la guerre jusqu'aux années 60, l'influence du clergé chiite n'était pas dominante sur le plan politique.
L'Iran, un pays avec une tradition ouvrière et une tradition de gauche
Une classe ouvrière s'était formée en Iran. En 1945-46, le mécontentement, la situation de crise mais aussi l'espoir de changements la firent se tourner du côté du parti Toudeh (Parti des masses) créé en 1941, successeur indirect du PC d'avant-guerre. Le Toudeh devint le seul parti sérieusement organisé à l'échelle du pays. Il constitua des syndicats, qui eurent jusqu'à 400 000 membres. Il était influent en particulier parmi les travailleurs du pétrole.
Dans la jeunesse petite-bourgeoise de l'Université, les religieux étaient aussi bien loin de tenir le haut du pavé, dans ces années-là. Les années 1951 à 1953 furent celles de la lutte nationaliste sous la direction du grand bourgeois Mossadegh pour le contrôle du pétrole iranien. Quand l'affrontement avec les compagnies pétrolières anglo-saxonnes se durcit, qu'il entraîna une forte mobilisation populaire, les religieux retirèrent tout soutien à Mossadegh pour rentrer entièrement dans le camp du Chah et des Américains.
Ils apparaissaient alors pour ce qu'ils étaient, non seulement réactionnaires, obscurantistes, mais aussi liés aux classes possédantes et au régime impérial, lui-même dépendant de l'impérialisme américain.
Dans les campus, c'était alors le marxisme et le tiers-mondisme progressiste qui étaient à la mode. Le Toudeh stalinien avait fait faillite, mais dans les années 60, il y avait une relève de gauche, qui regardait vers la Chine, Cuba, l'Algérie, etc... L'organisation des Fedayins du peuple, quant à elle, critiquait le Toudeh en se réclamant du marxisme.
Pourtant, plutôt que de développer un travail au sein des masses ouvrières, les Fedayins du peuple prônèrent la lutte de guerilla « de façon » , écrivirent-ils, « à détruire l'atmosphère de répression et à montrer au peuple que la lutte armée était la seule voie de libération possible » . A leurs yeux, une guerre de guerilla était nécessaire « pour mobiliser les masses ». Entre 1971 et 1977, ils déployèrent beaucoup d'héroïsme sur la base de cette politique.
Une autre organisation à base estudiantine et intellectuelle mena aussi des actions de guerilla en Iran dans ces mêmes années 70 : les Moudjaheddines du peuple d'Iran. Ils se voulaient pour leur part musulmans progressistes, considérant le chiisme « comme une source d'inspiration pour amener les masses à rejoindre la révolution », et se posaient en challengers des idées marxistes dans les milieux universitaires. Leur inspirateur, Ali Shariati, visait à ramener la jeunesse cultivée à l'islam en rendant celui-ci plus attrayant à leurs yeux. Cet intellectuel influent, qui partageait la haine du clergé pour tout modernisme et dénonçait tout compromis avec la démocratie laïque, présentait lui-même son radicalisme vis-à-vis du Chah et des privilégiés comme un moyen de détourner les jeunes du marxisme.
Ce courant représenta un « pont » entre la gauche et le clergé chiite. Celui-ci, de son côté, avait amorcé un tournant.
Quand les religieux exploitent les reculs et les capitulations politiques de la gauche
La politique des religieux au cours des années 60-70, si elle n'avait évidemment pas été celle de la guerilla, avait en effet consisté - du moins pour une partie d'entre eux - à se « re-positionner », derrière Khomeiny, par rapport à un régime impérial qui accumulait contre lui un potentiel de haine de plus en plus explosif. Khomeiny, arrêté, puis exilé, faisait figure de martyr.
Bref, à l'heure de la crise et de la montée du soulèvement populaire, en 1977-78, les mollahs étaient présents et militants dans les immenses banlieues misérables, bidonvilles du sud de Téhéran, d'où des bataillons d'hommes et de femmes pauvres et humiliés allaient bientôt « monter » sur la ville de Téhéran proprement dite pour affirmer leur existence et leur dignité, au mépris de leur vie, au besoin.
Il n'y avait personne pour contester la propagande des mollahs dans les masses populaires, aucune autre force politique que le clergé, pour leur proposer d'autres perspectives quand elles entrèrent en révolte.
Les groupes de guerilla décrétèrent la pause de leurs opérations en 1977, pour s'apercevoir alors qu'ils étaient totalement coupés de ces masses.
La carence des groupes qui se disaient marxistes ou progressistes fut confirmée, de manière plus déterminante peut-être, dans le feu de la montée du soulèvement populaire en 1978. Ils avaient subi une dure répression, mais ils avaient survécu en tant que groupes. Ils avaient recruté régulièrement des nouveaux membres, ils avaient des publications clandestines. Le Toudeh, de son côté, s'était semble-t-il réimplanté dans les centres industriels.
Pourtant, dès les premières manifestations au début de 1978, non seulement les intellectuels et les politiciens nationalistes traditionnels furent dépassés et laissèrent aux mollahs le soin de les organiser et les encadrer, mais les formations de gauche, comme les musulmans progressistes, firent le choix politique de s'aligner totalement derrière la direction religieuse du mouvement, se fondant dans les cortèges derrière les portraits de l'ayatollah.
C'est le Toudeh qui a soutenu Khomeiny le plus servilement, le qualifiant de « bien-aimé imam et guide » , de i « b0i briseur d'idolesbi », et déclarant que son programme « coïncidait » avec le sien. Mais les Fedayins du peuple eux aussi ont emboîté le pas. Ils n'en vinrent à émettre des critiques, respectueuses, qu'après cette victoire, n'ayant de toute façon pour toute politique que de chercher à se faire accepter.
Ce fut une capitulation politique totale. Le courage de ces militants n'était pas en question, mais leurs choix politiques : ils se plaçaient finalement sur le même terrain du nationalisme que les partisans de Khomeiny, et non sur le terrain des intérêts du prolétariat. Le Toudeh et les autres formations de gauche y perdirent leur propre existence.
Nous ne pouvons pas savoir si une politique révolutionnaire, résolument placée sur le programme de la classe ouvrière internationale, aurait connu le succès. Mais les masses n'ont eu aucune opportunité de comparer, de toute façon.
Et cela, c'est bien un drame, que les masses pauvres iraniennes ont chèrement payé. La guerre avec l'Irak a, d'une certaine manière, assuré la stabilisation de la dictature. En exaltant la mystique nationaliste, elle lui a permis de militariser la vie sociale, de s'en prendre de front à la classe ouvrière, de liquider toute opposition. Elle a permis aussi l'enrichissement des brasseurs d'affaires et des bourgeois, d'une nouvelle caste de privilégiés et de profiteurs qui remplace en partie - en partie seulement - celle du temps du Chah, et au sein de laquelle les mollahs ne sont pas les derniers. L'Iran de Khomeiny, puis de ses successeurs, est redevenu semblable à celui du Chah, sinon pire pour une partie de la population. Et les puissances impérialistes, bien avant les événements actuels, y avaient largement repris pied pour y faire des nouvelles affaires.
Bien sûr, on peut se dire que si la révolution qui a renversé la monarchie avait été dirigée par des nationalistes laïcs, se disant progressistes, les choses n'auraient peut-être pas fini d'une manière très différente. Mais la variante khomeinyste du nationalisme, qui pend et torture au nom de textes religieux, qui maintient une ségrégation sociale rigoureuse à l'encontre de la moitié féminine de la population, qui a été capable d'envoyer des enfants, par dizaines de milliers, sauter sur les champs de mines pour frayer le passage à son armée, en leur promettant la gloire des martyrs au paradis d'Allah, est tout de même l'une des plus barbares qui soit.
Pologne 1990. La résistible ascension de l'Église catholique
Avec le retentissement de la révolution islamique en Iran, il a été beaucoup écrit et beaucoup glosé à propos de la nature de l'islam, qui serait responsable du phénomène. Quand celui-ci n'a pas été carrément attribué, par les plus réactionnaires, aux masses musulmanes considérées comme particulièrement arriérées et fanatiques.
Pourtant, à partir de l'année qui suivit la victoire de Khomeiny, en 1980, on a pu voir la classe ouvrière de la Pologne européenne, donner d'abondants signes extérieurs de préjugés religieux d'un autre âge et se reconnaître dans un leader, Lech Walesa, catholique avec ostentation.
Aujourd'hui, en Pologne, une loi adoptée le 17 mai 1989 - alors que les staliniens étaient encore à la tête du gouvernement - reconnaît à l'Eglise un statut juridique tout à fait favorable. Dans son préambule, elle salue « la contribution historique de l'Eglise au développement de la culture nationale et au (...) renforcement des valeurs morales fondamentales ».
L'Eglise a ainsi obtenu le statut légal qu'elle ne cessait de réclamer depuis l'après-guerre, ce qui renforce considérablement la puissance d'une institution qui s'appuyait déjà sur une infrastructure d'églises, de chapelles, de séminaires, et de maisons d'édition, peut-être la plus puissante en Europe.
Une hiérarchie catholique particulièrement réactionnaire
Les dirigeants de l'Eglise polonaise ne cachent pas leur ambition de voir « fonder l'ordre social sur les principes de l'Eglise chrétienne » , de voir figurer l'interdiction de l'avortement dans la Constitution, par exemple, avec cette justification qu' « il s'agit là de la loi divine qu'on ne peut jamais abroger, pas plus qu'on ne peut établir des normes qui lui seraient contraires » ... Et d'ores et déjà ils entendent régenter la vie sociale.
La hiérarchie catholique polonaise est particulièrement réactionnaire, et son chef, le cardinal Glemp, véhicule des idées d'extrême-droite, un hyper-nationalisme, et un antisémitisme qui ne se masque plus. Dans la Pologne où la guerre a fait 6 millions de morts, dont plus de la moitié étaient des juifs, ce n'est qu'en 1983 que le chef de l'Eglise polonaise a cru devoir célébrer une messe à la mémoire des victimes du soulèvement du ghetto de Varsovie. Ce n'est pas que nous trouvions quelque vertu à ce genre de sinistre mise en scène, mais c'est significatif de la part de ces gens qui, comme le cardinal Glemp, considèrent qu' « un vrai Polonais sera toujours en un certain sens un catholique » ; c'est significatif de leur antisémitisme en tout cas. On l'a vu notamment avec l'affaire de l'installation d'un couvent de carmélites à Auschwitz, l'Eglise catholique a tendance à gommer, à effacer le souvenir du génocide juif en terre polonaise, à en réviser l'histoire pour la minimiser.
Le cardinal Glemp, qui combat les positions « laïcistes-occidentales », selon son expression, et la philosophie des Lumières du 18e siècle au nom de la tradition de l'Eglise du Moyen Age, est opposé au slogan « liberté de conscience » dans les textes de l'Eglise, car « la liberté de conscience signifie tout simplement l'athéisme et le droit de propager l'athéisme » , et « l'Eglise n'a pas à revendiquer les droits des athées » .
En somme, il parle vrai. Maintenant que la position de l'Eglise lui assure des moyens de pouvoir officiels, ses chefs ne cherchent plus à donner le change avec des déclarations sur la défense des droits de l'homme, comme ils ne le faisaient, il est vrai, que depuis une quinzaine d'années tout au plus. L'Eglise polonaise a connu une époque triomphante avant la guerre, à la fin des années 30, époque de grands pogromes anti-juifs, époque des colonels d'extrême-droite, qui s'alignèrent derrière la politique étrangère de Hitler. Apparemment, ses milieux dirigeants « nationaux-catholiques » en éprouvent de la nostalgie...
Alors, on peut évidemment dire que le cas de la Pologne est encore une fois un cas spécifique. Le catholicisme y fait partie intégrante du sentiment national. Menacée par les Prussiens protestants d'un côté, et les Russes orthodoxes de l'autre, l'identité polonaise a trouvé dans le catholicisme le ciment de sa différence. Le poids de l'Eglise n'a fait que se renforcer au fil du 19e siècle, et y compris dans la Pologne indépendante d'entre les deux guerres.
Mais il existait tout de même en Pologne un courant révolutionnaire, un courant socialiste, ainsi qu'un courant d'intellectuels de gauche et de libres penseurs, vivement hostiles à l'Eglise. De même qu'un réel courant anticlérical parmi les paysans pauvres écrasés par les prêtres. Aussi, dans les conditions nouvelles créées à la fin de la guerre, beaucoup purent croire que le rôle de cette Eglise si marquée à droite, si liée à la classe dirigeante d'avant-guerre, allait décliner. D'autant que la laïcisation de la vie civile, ainsi que l'élimination de la vieille aristocratie terrienne jouaient contre elle.
Mais la dictature stalinienne a eu, au contraire, pour résultat de lui donner une nouvelle virginité.
Les staliniens et l'Eglise catholique
Les staliniens, malgré quelques périodes de tension, ont dans l'ensemble tenté de se concilier l'Eglise. Celle-ci, quant à elle, s'est évidemment adaptée. Elle put jouer sur deux tableaux : car si, d'un côté, elle préservait son indépendance matérielle, elle se présentait en même temps dans la situation d'une « citadelle assiégée » par la dictature communiste. Et puis, bien sûr, le fait que la dictature s'exerçât au nom du communisme a puissamment contribué à discréditer jusqu'aux notions de progrès, aux valeurs considérées comme de gauche, dans de larges couches de la population.
Pourtant, pour expliquer que toutes les formes de résistance à l'oppression et à l'hypocrisie du pouvoir aient fini par confluer derrière les bannières de la réaction religieuse, que l'Eglise soit apparue comme le champion de cette résistance, il ne suffit pas de constater que les responsables staliniens ont fait son jeu, et que bien évidemment les curés ont activement milité pour leur propre cause. Et surtout, cela ne suffit pas pour expliquer que l'Eglise ait pu apparaître comme le champion de la classe ouvrière depuis 1980.
Aussi influente que pût être l'Eglise polonaise, elle l'était avant tout en milieu rural, et son rôle politique est resté marginal jusque dans les années 70. Toute la vie politique de la Pologne depuis 1945 a été au contraire rythmée par les interventions de la classe ouvrière, sur son terrain. En 1956, le dirigeant ouvrier le plus connu, Gozdzik, était secrétaire de la section du PC dans son usine. En 1970, lors des émeutes de la Baltique, comme en 1976, à Radom et Ursus, il n'y eut pas spécialement de soutanes dans les parages.
Vers le ralliement à l'Eglise de l'ensemble des dirigeants ouvriers et de la gauche
Et pourtant, aujourd'hui, c'est à travers le grand mouvement ouvrier de 1980 et sa direction, Solidarité, que les évêques, les cardinaux ont acquis le poids politique que nous leur voyons. Malgré la religiosité traditionnellement attribuée aux Polonais, c'est là tout de même quelque chose de nouveau.
C'est qu'en 1956, les ouvriers ont été placés à la remorque de Gomulka, qu'en 1970 et 1976, ils sont restés sans direction, tandis qu'en 1980, une direction s'est bel et bien présentée pour prendre la tête du mouvement gréviste. On connaît la nature cléricale de la direction de Solidarité, et le poids qu'a pu exercer l'Eglise à travers elle.
Les préjugés religieux s'étaient peut-être, dans la période précédente, plus largement répandus parmi les travailleurs, ils s'étaient peut-être aggravés ; l'élection récente du pape polonais, avec lequel les dirigeants staliniens avaient normalisé leurs relations officielles, les avait certainement encouragés. L'Eglise, de son côté, avait infléchi sa politique depuis quelques années, se penchant sur le sort des travailleurs, et se plaçant sur le terrain de la défense des droits de l'homme. Tout cela a vraisemblablement compté. Mais le fait principal demeure qu'il ne s'est présenté aucune alternative à la direction de Solidarité, que celle-ci n'a été concurrencée ni même contestée par aucune autre candidature à la direction du mouvement ouvrier.
Dans les années précédentes, les militants de gauche les plus renommés, souvent
issus de la nomenklatura stalinienne, avaient pris le chemin de l'Eglise. Sous le couvert
de la défense prioritaire des droits de l'homme, ils lui avaient fait politiquement acte d'allégeance. Le livre d'Adam Michnik intitulé L'Église et la gauche - le dialogue polonais
paru en 1977 fut le symbole de ce rapprochement. Michnik y faisait son autocritique, au
nom de l'intelligentsia, se repentant de n'avoir pas défendu l'Eglise et les droits religieux
face à la dictature, présentant l'Eglise comme «obstinément du côté des persécutés»,
déclarant «Dans la lutte contre le totalitarisme, l'Eglise joue un rôle dont il est difficile de
surestimer l'importance», ou encore «Il est impossible de s'imaginer la Pologne future
sans l'Eglise catholique, sans son influence immense sur la société».
Michnik fut tout à fait illuminé à l'occasion de la visite du pape en Pologne deux ans plus tard ; mais, sans aller jusque là, Jacek Kuron, au passé et à la réputation de marxiste, a pu déclarer, en 1975-76 : « Je suis l'un de ceux qui au cours des dernières années sont venus au christianisme, l'ont accepté ou plutôt s'efforcent de l'accepter comme valeur, comme système de valeurs et non comme religion »...
Il ne s'agissait pas d'états d'âme ou de conversions individuelles à la bêtise. Il s'agissait d'un reniement, d'un choix politiques. Et c'est, inévitablement, l'Eglise qui en tire aujourd'hui le profit.
Encore une fois, le problème n'est pas dans le fait que de nombreux ouvriers polonais croient sans doute au bon dieu. Cela ne les a pas empêchés de mener de durs combats, et, en 1980 y compris, ils surent plusieurs fois passer outre aux appels des évêques au calme et à la modération. Le problème est que les militants de l'Eglise ont pu tirer leur force de l'absence d'une direction révolutionnaire du prolétariat.
Lutte contre l'intégrisme religieux et lutte de classe
Comme on le voit, l'intégrisme religieux n'est pas un phénomène propre à l'islam. Ce qui donne son importance aujourd'hui à l'islamisme, ce ne sont pas des propriétés intrinsèques de la religion qui fut prêchée par Mahomet. C'est qu'elle est l'une des principales religions du Tiers monde, une religion qui n'est vraiment implantée que dans des pays sous-développés, et que pour des millions d'hommes une confusion peut s'établir entre leurs idées religieuses et leurs sentiments anti-impérialistes.
Mais le rôle politique actuel de l'Eglise en Pologne, comme l'émergence en Israël d'une extrême-droite religieuse, démontrent que c'est en fait dans tous les pays, quelle que soit la religion dominante, que l'intégrisme religieux peut servir de véhicule à la réaction politique.
Nous ne savons pas si l'actuelle crise du Golfe va réellement donner aux mouvements islamistes la possibilité de développer leur influence dans les masses, en prônant les références au djihad, à la guerre sainte. Nous ne savons pas s'ils auront l'occasion de capitaliser à leur profit les sentiments de haine, la soif de revanche, que suscite parmi les populations arabes du Moyen-Orient et du Maghreb l'intervention des puissances occidentales contre l'Irak, si nous verrons s'ouvrir dans les mois qui viennent des crises politiques qui donneront aux mouvements islamistes l'occasion de jouer un rôle décisif, voire de conquérir le pouvoir. Mais le possible développement des mouvements islamistes est un risque qui existe, et qui nous concerne directement, car au sein du mouvement ouvrier français, le poids d'organisations comme le FIS algérien peut se faire sentir au travers de l'émigration maghrébine.
Nous ne savons pas non plus si dans les autres pays de l'Europe centrale les courants réactionnaires catholiques gagneront, à l'image de ce qui s'est passé en Pologne, une influence plus importante, ni ce que sera l'avenir de la Pologne elle-même. Mais nous savons que l'Eglise catholique s'y prépare, le pape en tête, lui qui propose de reconstruire, en passant par dessus un millénaire d'histoire, « l'Europe des saints », selon son expression. On serait tenté d'en rire si on ne savait pas que dans les périodes de crise, de recul de la classe ouvrière, les idées les plus aberrantes peuvent servir de support à la réaction.
Aujourd'hui, en France, l'intégrisme religieux n'est qu'un phénomène marginal, même s'il se développe apparemment, si un certain nombre de cadres, de techniciens, d'artistes, frappés d'une révélation soudaine, rejoignent les mouvements dits charismatiques, où l'on entend dire, à la suite du pape, que les lois qui ont libéralisé l'avortement sont responsables d'un véritable « holocauste » !
Mais souvenons-nous que le nazisme, ce ramassis de sottises immondes, s'est développé dans une nation qui était l'une des plus cultivées, des plus civilisées d'Europe.
Alors, il faut combattre ce danger.
Il faut travailler à ce que la classe ouvrière fasse entendre sa voix
Combattre l'intégrisme religieux, cela signifie bien sûr, pour les révolutionnaires, dans leur propagande, ne faire aucune concession aux idées religieuses, même quand les masses se sentent représentées par elles. Cela signifie rester fidèle au matérialisme militant qui a constitué la tradition du mouvement communiste.
Mais nous savons aussi qu'il ne suffit pas de faire de la propagande anti-religieuse pour gagner la partie, que ce n'est pas à coup de sermons laïcs que nous arracherons leurs préjugés aux travailleurs qui croient en l'au-delà. Et que ceux-là, même avec leurs préjugés, sont nos frères de classe, que nous devons entraîner dans la lutte à nos côtés, alors que les bourgeois libres-penseurs (et il doit bien en rester quelques-uns), partisans de l'intervention militaire en Irak sont nos ennemis communs.
Et nous savons également que les préjugés religieux apparemment les plus enracinés peuvent voler en éclats quand les masses se mettent en mouvement pour défendre leurs propres intérêts. Toute l'histoire moderne, de la France de 1789-93 à la Russie de 1917, est là pour montrer que les croyances religieuses constituent une substance étonnamment fusible dans le feu de la révolution.
Alors la lutte contre l'intégrisme religieux, cela consiste d'abord et avant tout à travailler à ce que la classe ouvrière refasse entendre sa voix. La classe ouvrière française empêchant les envois de matériel de guerre au Moyen-Orient, empêchant (si la guerre se poursuit) l'envoi de nouveaux renforts, cela serait plus efficace que n'importe quoi pour convaincre les masses populaires arabes qu'elles ont des alliés dans le prolétariat des pays industrialisés plus efficaces que toutes les prières à Allah.
Nous n'en sommes certes pas là. Nous sommes dans une période de recul où les internationalistes sont bien peu nombreux. Mais en 1915, à Zimmerwald, ils tenaient, suivant le mot de l'un d'eux, dans deux voitures. Et nous sommes quand même bien plus nombreux ce soir !
Alors, au travail, camarades, pour qu'un jour de nouveau tous les exploités et les opprimés de la terre ne reconnaissent pour leur drapeau que celui où sera inscrit la devise « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! »