Les Partis communistes aujourd'hui
Voilà des années que des journalistes, des écrivains, des hommes politiques, nous annoncent la fin définitive du communisme, souvent en l'accusant d'être responsable de tous les maux, de toutes les catastrophes sociales et politiques du vingtième siècle. Et ils annoncent en même temps bien sûr que les communistes eux-mêmes, les femmes et les hommes qui se reconnaissent dans le programme de la transformation communiste de la société, ceux-là ne seraient que les survivants attardés d'une espèce en voie d'extinction.
Mais s'il faut tuer le communisme aussi souvent, c'est bien parce qu'il n'est pas vraiment mort. Cette idée, ce programme, ont la vie dure. Malgré tous ces discours, malgré toutes ces campagnes, malgré aussi la catastrophe qu'a représenté l'imposture stalinienne, un mouvement communiste continue d'exister, un peu partout dans le monde. Il est divers, il est confus, il est ébranlé tant par les conséquences de ce même stalinisme que par les attaques dont il est l'objet. Mais il existe. Et le plus souvent il existe même malgré les hommes, les dirigeants politiques qui sont placés à sa tête et non pas grâce à eux, tant leur bilan est fait de reniements, de trahisons politiques, qui combinent les tares du stalinisme avec celles du réformisme.
Bien sûr, ceux qui adhèrent aux PC d'aujourd'hui sont le plus souvent bien loin de connaître réellement les idées communistes et d'être des partisans conscients de la transformation révolutionnaire de la société capitaliste. Mais certains le sont, même si c'est une minorité. Et puis même ceux qui n'ont pas cette conscience, en adhérant à un Parti communiste, font un choix politique. Aux partis sociaux-démocrates, qui proclament tranquillement et sans gêne qu'ils sont pour la gestion de la société capitaliste telle qu'elle est, ils préfèrent des partis qui, au moins en paroles, ne semblent pas s'en satisfaire.
Si des partis communistes existent, c'est d'abord grâce à ceux-là, grâce à tous ceux qui à chaque génération expriment leur opposition à cette société en se tournant vers ces partis, et en espérant qu'ils sauront se faire l'écho de leurs aspirations ; même si malheureusement ils le font bien mal.
Alors, où vont les Partis communistes d'aujourd'hui ? Peuvent-ils se transformer ? Sont-ils comme on nous le dit simplement voués à disparaître au profit d'une social-démocratie triomphante ? Quelles sont leurs perspectives politiques ?
Des partis nés de la Révolution russe
Nous ne reviendrons pas, dans le cadre de ce cercle Léon Trotsky, sur toute l'histoire des Partis communistes. Nous ne parlerons pas non plus de tous : nous voulons parler de leur situation aujourd'hui, dans les pays qui nous sont les plus proches ; en particulier des PC d'Europe occidentale et bien sûr de celui qui nous concerne le plus directement : le PC français.
Rappelons tout de même que les partis communistes sont nés de la révolution russe, de cette révolution d'octobre 1917 qui, en pleine première guerre mondiale, a porté au pouvoir la classe ouvrière russe.
Les vieux partis socialistes sociaux-démocrates, nés dans la période précédente, avaient apporté dans la plupart des pays leur soutien à la politique de guerre de leur bourgeoisie, et aidé celle-ci à jeter des millions d'hommes dans la boue et le sang des tranchées. Il n'y a qu'en Russie que le parti bolchevik, le parti de Lénine et de Trotsky, sut opposer à la perspective de la boucherie guerrière la perspective de la révolution.
Lorsqu'un pouvoir ouvrier s'installa en Russie, lorsque celui-ci proclama sa volonté d'en finir avec la guerre et avec ce système capitaliste qui avait jeté le monde entier dans des destructions et des massacres sans précédent, un courant d'espoir traversa la classe ouvrière de tous les pays. La fin de la guerre, en 1918, fut aussi le début d'une vague révolutionnaire qui toucha tous les pays d'Europe, et même du monde. Ce furent les révolutions allemande et hongroise de 1918-1919. Ce furent les deux années révolutionnaires de 1919-1920 en Italie, culminant avec les occupations d'usine de septembre 1920. Ce furent les vagues de grèves de 1919 et 1920, notamment en France.
Bien sûr, la bourgeoisie fit tout pour défendre sa domination et elle y réussit, notamment grâce au soutien des dirigeants des partis sociaux-démocrates. Aucun de ces mouvements ne réussit, en dehors de la Russie, à porter la classe ouvrière au pouvoir. Mais au sein de la classe ouvrière, au sein du mouvement ouvrier, un partage se fit, entre tous ceux qui souhaitaient s'engager dans la voie révolutionnaire en suivant l'exemple de la révolution d'octobre, et ceux qui s'y opposèrent. De là naquirent des Partis communistes, souvent par des ruptures au sein de ces partis sociaux-démocrates, par exemple en France au Congrès de Tours de fin 1920 ou en Italie au Congrès de Livourne de début 1921. Ainsi la vague révolutionnaire qui avait suivi la révolution russe, eut pour conséquence la constitution de partis communistes révolutionnaires se donnant clairement pour perspective la prise du pouvoir par la classe ouvrière à l'exemple de ce qui s'était produit en Russie. Du même coup, ces partis se reconnaissaient une direction internationale : la IIIe Internationale, l'Internationale communiste proclamée en mars 1919 à l'initiative du parti bolchevik et qui se voulait le parti mondial de la révolution socialiste.
Des caractéristiques héritées du passé
Ces partis communistes révolutionnaires ont existé, un peu partout dans le monde, et ont souvent gagné, plus ou moins rapidement, une influence de masse. Ceux qu'ils ont réussi à regrouper se sont avérés le plus souvent les meilleurs militants de la classe ouvrière, les plus conscients, les plus dévoués, les plus préparés à se sacrifier pour l'avenir de leur classe. Et même lorsque l'Internationale et les Partis communistes ont cessé d'être révolutionnaires, ils ont gardé des caractéristiques héritées de ce passé.
En URSS, la dégénérescence de la révolution russe a porté au pouvoir la clique bureaucratique de Staline, qui ne cherchait plus la révolution mais sa propre conservation. Elle se servit de l'Internationale et des partis communistes à ses propres fins. Les utilisant comme monnaie d'échange dans sa politique d'alliance avec les puissances impérialistes dites démocratiques, la bureaucratie russe poussa les PC à se mettre au service de leur bourgeoisie. Ainsi en France, dans la période du Front Populaire, le PC fut mis au service de la politique de Léon Blum et du Parti socialiste qui permit d'enrayer le mouvement de grèves et d'éviter le développement d'une situation révolutionnaire. Plus tard, à la fin de la guerre, le PCF se mit au service de De Gaulle.
En fait dès les années trente, les Partis communistes avaient définitivement cessé d'être des partis révolutionnaires. Mais malgré leur politique devenue très proche de celle des vieux partis sociaux-démocrates réformistes, il subsistait une ambiguïté. Pour les masses, pour les travailleurs qui se tournaient vers eux, ils restaient tout de même les héritiers de la révolution russe. A leurs yeux, ils continuaient de représenter, plus ou moins clairement, l'espoir d'en finir avec la société capitaliste. Ils restaient, par leur nom et par leur histoire, le Parti des communistes. Et même si leurs dirigeants se gardaient de donner à ce mot de communisme son contenu d'origine, ils étaient malgré tout contraints de continuer à s'en réclamer s'ils ne voulaient pas faire apparaître trop clairement leurs reniements.
Ces partis ont donc gardé une série d'originalités. Leur histoire, les conditions de leur naissance, la révolution russe et l'ébranlement révolutionnaire qu'elle a représenté dans le monde entier, continuent de les marquer. Encore aujourd'hui, alors que l'URSS a cessé d'exister, ils en restent les lointains sous-produits et les témoins.
L'une de leurs originalités était ce recrutement particulier autour de l'image du communisme et de la révolution russe, qui coïncidait souvent avec le maintien de liens étroits avec la fraction la plus combative et la plus consciente de la classe ouvrière. Pour cette raison, les Partis communistes ont continué à montrer une sensibilité extrême aux réactions de la classe ouvrière, dont ils étaient attentifs à ne pas se couper sous peine de sacrifier une de leurs assises sociales.
Une autre originalité était le fait que l'appareil de ces partis, même s'il avait désormais une politique complètement bourgeoise, gardait des liens privilégiés avec la bureaucratie russe, et une large indépendance vis-à-vis de la bourgeoisie de leur pays. Avec leur propre recrutement, leurs propres écoles, leurs propres cadres formés dans leur appareil, leurs propres sources de financement, ils se distinguaient des partis bourgeois traditionnels mais aussi des partis sociaux-démocrates qui entretiennent, par nécessité financière, de multiples liens, beaucoup plus anciens et plus étroits, avec la bourgeoisie de leurs pays.
Ce sont ces originalités qui ont entretenu pendant des années une profonde méfiance de la bourgeoisie à l'égard des PC. Même si elle savait bien qu'ils n'étaient plus révolutionnaires, elle continuait de les voir comme des appareils étrangers parce que non dépendants d'elle, peu fiables, tant pour leurs liens avec la bureaucratie russe que pour leur sensibilité aux réactions ouvrières.
Par la suite, bien sûr, le temps a passé. Les Partis communistes ont trouvé d'autres assises dans la société de leur pays. Plus ils étaient influents et plus ces liens étaient importants, y compris leurs liens avec la bourgeoisie et la petite-bourgeoisie, et de plus les liens avec la bureaucratie russe ont eu tendance à se distendre. D'autre part, pour les nouvelles générations de militants qui les rejoignaient, la référence au communisme et à la révolution russe a pris un contenu de plus en plus vague et confus, mêlé à d'autres références tels dans le cas du PCF le nationalisme ou la Résistance. Mais malgré tout cette histoire, ce passé, ont continué de peser sur l'évolution des PC.
C'est cela qui explique pourquoi, bien que depuis des décennies, l'intégration au système politique bourgeois de leurs pays respectifs soit la seule perspective politique réelle que poursuivent les dirigeants des partis communistes, cette intégration s'est révélée si difficile, au point que dans la plupart des cas elle est encore loin d'être achevée. Cela n'est pas faute d'efforts de la part de leurs dirigeants. C'est que la réalité politique et sociale représentée par les Partis communistes, cette originalité dont nous parlions, s'est révélée plus dure à digérer par la société capitaliste que ne le pensaient les dirigeants des PC ou même les dirigeants bourgeois.
Depuis 1990-1991, l'URSS n'existe plus et les liens des PC avec la bureaucratie russe qui subsistaient encore n'existent plus non plus, tout simplement parce que celle-ci, ou ce qu'il en reste, a décidé que ces liens n'avaient plus d'intérêt pour elle. Un des derniers obstacles à leur normalisation, à leur intégration pleine et entière au jeu politique bourgeois, semble donc avoir disparu. Mais si l'on se demande où en est cette intégration dix ans après, on peut constater qu'elle n'est toujours pas si facile.
Même aujourd'hui, le simple fait de changer le nom du parti pour abandonner l'appellation communiste rencontre des obstacles. Certains des PC l'avaient fait depuis longtemps, pour adopter différents noms dont ils pensaient qu'ils faciliteraient leur assimilation. Mais beaucoup ont attendu jusqu'à ce que la disparition de l'URSS elle-même leur en fournisse le prétexte, et encore cela n'a pas été sans déchirures. Et certains autres, comme le PC français, ne se sont pas encore décidés à sauter ce pas.
Aujourd'hui, il est vrai, la bourgeoisie elle-même considère normal que les PC participent à des gouvernements. La participation de ministres communistes au gouvernement Jospin n'a pas entraîné de levée de boucliers ou de cris scandalisés de ce côté-là. En revanche, c'est aux PC que cette participation continue de poser problème. Dans les conditions de la crise, la participation au gouvernement ou même simplement à la majorité gouvernementale peut mettre rapidement les Partis communistes en contradiction avec les aspirations de leurs propres militants et de leur base ouvrière. Les tentatives de gérer cette contradiction peuvent alors les porter d'un zig-zag politique à un autre. Nous en avons l'exemple aujourd'hui en France avec la participation du PCF au gouvernement et les difficultés qu'elle entraîne pour lui.
Car pour la bourgeoisie, l'intérêt de cette participation du PC réside justement dans son influence dans la classe ouvrière. Elle sait bien elle-même que cette influence ne se mesure pas seulement en termes électoraux, mais en termes militants, et que même si le PC français recueille parfois moins de voix que les Verts, son poids social est cependant tout autre et l'intérêt de sa présence au gouvernement bien plus grand. Cette présence peut permettre de stériliser un certain nombre de militants ouvriers, de militants syndicaux, qui se font les défenseurs de la politique de ce gouvernement au lieu de combattre les mesures prises par celui-ci et dirigées contre la classe ouvrière.
Mais c'est bien aussi pour la même raison, à cause de cette influence militante dans la classe ouvrière, que la participation au gouvernement pose au PC des problèmes qu'elle ne pose guère aux Verts, par exemple, et encore moins au Parti socialiste. Ses militants lui reprochent, sinon la participation au gouvernement en soi, du moins le fait de se retrouver à devoir cautionner, auprès de leurs camarades de travail, la politique d'un Jospin et de ses semblables.
Le cas du PC français n'est pas le seul cas. Même si dans chaque pays leur évolution a eu un caractère spécifique, même si tous les PC européens n'ont pas été amenés à participer à un gouvernement ou à une majorité parlementaire, tous connaissent depuis des années ce type de contradictions et beaucoup y ont d'ailleurs laissé une partie de leur influence. C'est le cas en particulier dans les pays qui nous sont les plus proches, géographiquement et politiquement, et dans lesquels les Partis communistes ont ou ont eu une forte influence politique, comme l'Italie, l'Espagne, le Portugal, ou même la Grèce.
Le PC italien, un précurseur
Nous commencerons par parler de l'Italie, un pays où le Parti communiste a fait longtemps figure de précurseur pour des transformations que les autres Partis communistes ont connu seulement ensuite.
Le Parti communiste italien a été longtemps le plus fort parti communiste d'Europe occidentale, obtenant jusqu'à 34 % des voix des électeurs par exemple, lors des élections de 1975-1976. Il a été aussi toujours dans les premiers à prendre ouvertement ses distances d'avec son passé communiste pour s'engager dans une voie social-démocrate.
Après une longue parenthèse des années vingt à la fin la guerre, durant laquelle il était relégué dans la clandestinité par le fascisme, c'est dès 1944 qu'il s'engagea dans cette voie. Les conséquences de la guerre avaient fait s'écrouler le régime fasciste de Mussolini et aussi en grande partie les structures mêmes de l'État italien, créant une situation dangereuse pour la bourgeoisie. C'est à ce moment que le dirigeant stalinien du PC italien Togliatti annonça aux militants de son parti qu'il n'était pas question de faire une quelconque révolution : il fallait soutenir le régime du maréchal fasciste Badoglio, qui avait succédé à Mussolini, et du roi Victor-Emmanuel qui avait couvert celui-ci pendant vingt ans ! Et pendant trois ans, de 1944 à 1947, le PC italien participa au gouvernement pour aider la bourgeoisie à remettre sur pied son appareil d'État, et surtout son industrie et son économie ébranlées par la guerre, en se servant de son influence pour empêcher la classe ouvrière de revendiquer.
Après 1947, le PC italien fut remercié sans autre forme de procès. Après s'en être servi, la bourgeoisie n'en voulait plus, non pas parce qu'elle aurait vu en lui un danger révolutionnaire, mais parce que ses liens avec l'URSS, en cette période de la guerre froide, la gênaient. Le PC commença une longue cure d'opposition, bien que ses dirigeants fissent systématiquement comprendre à la bourgeoisie qu'ils étaient prêts à la servir, quitte s'il le fallait à distendre les liens qui les rattachaient encore à l'URSS.
C'est dans les années soixante-dix que le PC italien eut à faire ses preuves de ce point de vue, justement lorsqu'il atteignit les meilleurs résultats électoraux de son histoire dont nous parlions plus haut. Le PC italien réussit à ce moment à obtenir presque autant de voix que la Démocratie-Chrétienne, le parti de droite qui constituait l'axe de tous les gouvernements depuis le lendemain de la guerre. Le Parti socialiste lui-même était discrédité par sa participation aux gouvernements successifs aux cotés de la Démocratie-Chrétienne et le PC apparaissait donc comme la seule force d'opposition. L'éventualité de sa participation au gouvernement redevenait d'actualité. La bourgeoisie italienne, qui restait méfiante à l'égard du PC, continuait pourtant à exclure cette possibilité. Autant elle l'aurait peut-être acceptée si le PC avait été minoritaire au sein de la gauche, autant elle excluait l'idée d'un gouvernement dans lequel le PC aurait disposé d'une hégémonie en rapport avec ces plus de 30 % des voix qu'il recueillait dans le pays.
C'est alors que le dirigeant du PC de l'époque, Berlinguer, conscient de cette situation, proposa à la Démocratie-Chrétienne ce qu'il appela le « compromis historique » : au cas où il serait devenu majoritaire, le PC renonçait d'avance à se servir de cette majorité pour imposer à la Démocratie-Chrétienne une alternance. En fait il proposait à celle-ci de gouverner avec elle.
La Démocratie-Chrétienne accueillit cette proposition à sa manière. En pratique, le « compromis historique » consista en ce que le PC soutint purement et simplement un gouvernement démocrate-chrétien, sans même avoir en contrepartie des postes de ministres, et sans même d'ailleurs que le gouvernement lui demande vraiment son avis sur les mesures à prendre. Ainsi le PC italien fut tout juste admis à soutenir le gouvernement de la bourgeoisie, à cautionner sa politique d'austérité anti-ouvrière. Dans la foulée, le syndicat lié au PC, la CGIL, prit en 1978 le tournant vers ce qu'il appela « la politique des compatibilités ». Il s'agissait de limiter les revendications de la classe ouvrière à ce qui était « compatible » avec les impératifs économiques de la bourgeoisie. Autant dire que c'était les limiter à zéro. C'était même accepter d'imposer des retours en arrière des conditions de travail et d'emploi et de l'ensemble des droits et des acquis sociaux de la classe ouvrière.
Pendant des années, les dirigeants du PC italien se sont engagés dans cette politique. La bourgeoisie voulait les mettre à l'épreuve, vérifier qu'ils iraient jusqu'au bout dans cette voie. Ils ont accepté de jouer ce jeu, et même d'y perdre une partie de leur influence. Le PC n'a pas seulement apporté son aide concrète à la bourgeoisie, il lui a donné des gages politiques, en reniant peu à peu toutes les idées dont il se réclamait encore en paroles.
Pour ne parler que des évolutions les plus récentes, l'une a été en 1982 ce que l'on a appelé la « déchirure », lorsque Berlinguer proclama solennellement que la révolution d'octobre 1917 ne pouvait plus être une référence, façon de dire que le PC italien ne se reconnaissait plus aucun lien privilégié avec l'URSS.
Un peu plus tard, c'est un successeur de Berlinguer à la tête du PC, Occhetto, qui déclara que le PC devait subir une mutation décisive, devenir autre chose. Autre chose, mais quoi ? Pendant plusieurs mois Occhetto resta prudent, disant qu'il n'avait pas d'idée là-dessus, au point que l'on ne parla plus que de la « chose », en laquelle le PC devait se transformer. Jusqu'au jour où il dévoila ses batteries : devenir autre « chose » pour lui, cela signifiait surtout ne plus s'appeler communiste.
Du PCI au PDS et à « Rifondazione »
C'est en février 1991, au Congrès de Rimini, qu'Occhetto proposa au PC italien, le PCI, de changer d'appellation et de devenir le PDS, le « partito democratico della sinistra », le « parti démocratique de la gauche ». La majorité du parti en fait y était préparée, et elle le suivit sur ce terrain. Le PC depuis longtemps, était devenu une pépinière d'administrateurs et d'élus, occupant des postes aux différents niveaux de l'appareil d'État et des institutions, se posant les problèmes en termes de gestion de la société capitaliste bien plus qu'en termes de défense des intérêts de la population laborieuse. On peut en dire autant des responsables syndicaux qui constituaient une autre catégorie importante des responsables du PC. Le plus souvent il s'agissait de bureaucrates de la CGIL, un appareil syndical lui aussi extrêmement intégré à la société capitaliste - bien plus par exemple que ne l'est la CGT en France - impliqué dans les décisions politiques à tous les niveaux, signataire avec le patronat des accords les plus défavorables aux travailleurs. Pour ceux-là aussi, le fait de ne plus s'appeler communistes ne posait guère problème.
Cet abandon de l'étiquette communiste se voulait une étape décisive. Ce parti n'ayant qu'une pratique réformiste et social-démocrate voulait se débarrasser de cette appellation qui n'était plus pour lui qu'une vieille défroque, que la bourgeoisie lui reprochait de continuer à porter. Il s'agissait de faire correspondre l'étiquette à ce qui depuis longtemps était une pratique bien ancrée.
Et pourtant cela n'alla pas sans une nouvelle « déchirure ». Sous la couche des administrateurs, des bureaucrates syndicaux, des petits-bourgeois ou des intellectuels, il restait au PC italien une base ouvrière pour qui le mot « communiste » signifiait encore quelque chose et qui se rebella contre l'idée de devoir l'abandonner. Il se trouva donc des militants, mais aussi une petite partie de l'appareil, pour refuser le tournant de février 1991. Eux aussi tinrent congrès pour proclamer un nouveau parti, qui allait s'appeler le « parti de la refondation communiste » et continuait donc de revendiquer l'étiquette communiste.
La création de ce « Parti de la Refondation communiste » - on dit « Rifondazione comunista » ou même plus brièvement « Rifondazione » - , rencontra un succès certain. En quelques mois, le nouveau parti enregistra 150 000 adhésions, faites de militants venus de l'ancien PC, mais aussi de militants qui s'en étaient détachés dans la période précédente, déçus par la politique de plus en plus gestionnaire du parti, et à qui cette « Refondation communiste » redonnait espoir. Il s'y ajouta un certain nombre de militants venus de l'extrême-gauche et notamment d'un petit parti, Democrazia proletaria, qui décida de se dissoudre et de rentrer dans « Rifondazione ».
La presse et la plupart des hommes politiques italiens eurent vite fait de cataloguer le phénomène « Rifondazione » : pour eux, il s'agissait tout simplement d'une poignée de nostalgiques du passé. Le nouveau parti montra pourtant de la vitalité. Des cercles de « Rifondazione » se formèrent un peu partout dans le pays. Les premières consultations électorales lui donnèrent plus de 5 % des voix, pourcentage qui devait augmenter par la suite. « Rifondazione » organisa aussi chaque année, en septembre ou en octobre, des manifestations nationales, des trains et des cars spéciaux convergeant sur Rome pour amener militants et sympathisants du parti. Chaque fois ce fut un succès : « Rifondazione » se montra capable d'amener défiler dans la capitale jusqu'à cinquante mille personnes, des jeunes, des travailleurs enthousiastes et militants. Elle l'a encore fait il y a quelques jours, ce 16 octobre 1999, en même temps que la manifestation de Paris.
Il y avait donc là un potentiel réel, des dizaines de milliers de femmes et d'hommes issus du Parti communiste ou de son milieu, dont l'adhésion à « Rifondazione » exprimait le refus de la dérive social-démocrate de la majorité du parti, et qui attendaient du nouveau parti autre chose.
Cependant, même si les dirigeants du nouveau parti affirmaient leur volonté de « refonder » le communisme en Italie, ce dont en effet il avait bien besoin, il y avait dans cette expression même une ambiguïté. Cela signifiait-il qu'il fallait le réinventer, le mettre au goût du jour, inventer de nouvelles théories ? Cela signifiait-il qu'il fallait revenir aux sources, aux idées qui avaient été autrefois celles du Parti communiste ? Et dans ce cas, jusqu'où fallait-il remonter pour trouver ces sources ? Fallait-il se contenter de critiquer le congrès où Occhetto avait décidé d'abandonner l'étiquette communiste, comme si jusque-là toute la politique menée avait été correcte ? Fallait-il remonter à Berlinguer et à la « déchirure » de 1982 ? Où bien était-ce à partir des années du « compromis historique » que le PC avait commencé à se tromper ? Ou bien était-ce avant, en 1956, ou alors en 1944, ou même en 1924-25, lorsque les conséquences du stalinisme avaient commencé à se faire sentir dans toute l'Internationale communiste ?
A toutes ces questions, les dirigeants de Rifondazione se gardèrent de donner une réponse. Ils étaient tous d'anciens responsables de l'ancien PC, ayant partagé et approuvé sa politique au moins jusqu'à un certain moment. Il n'était pas question pour eux de faire une analyse critique des raisons pour lesquelles le plus grand parti communiste d'Europe occidentale avait pu ainsi se saborder. Tout d'abord ils n'auraient sans doute pas fait la même analyse, ensuite cela aurait impliqué de se critiquer eux-mêmes. Ils préférèrent rester dans le flou.
En revanche il fallut bien prendre des positions lorsque des échéances politiques se présentèrent. Cela fut le cas dès 1994, lorsque les élections législatives mirent face à face deux regroupements : d'un coté les partis de droite regroupés autour du magnat de l'audiovisuel Berlusconi ; de l'autre une coalition électorale dite « progressiste » constituée autour du PDS, la majorité de l'ancien PC. Evidemment, il n'y avait rien à attendre de cette coalition de gauche, qui incluait d'ailleurs les pires hommes politiques bourgeois, rien d'autre qu'une de ces politiques d'austérité anti-ouvrière que l'on connaît bien. Cela n'empêcha pas les dirigeants de Rifondazione d'annoncer leur participation à l'alliance « progressiste » et qu'ils étaient prêts, le cas échéant, à participer à la majorité gouvernementale, voire au gouvernement lui-même.
Le soutien au gouvernement Prodi
Finalement, la question de la participation à la majorité gouvernementale ne se posa pas en 1994, car ce fut Berlusconi qui gagna les élections. Mais deux ans plus tard, en 1996, de nouvelles élections opposèrent d'un coté le même Berlusconi, de l'autre un regroupement du PDS avec différents partis du centre. Ce regroupement de gauche, ou plutôt de centre-gauche, fut appelé cette fois « l'Olivier ». Le nom est poétique sans doute, mais politiquement parlant encore plus vague que celui de progressiste. A la tête de cet « Olivier » fut placé un certain Romano Prodi, le même qui aujourd'hui a eu de la promotion en devenant président de la Commission européenne.
A l'égard de « l'Olivier », Rifondazione adopta en substance la même attitude que précédemment vis-à-vis des « progressistes » : elle conclut avec lui un accord de désistement. Cette fois, « l'Olivier » gagna les élections. Et comme les voix des députés de Rifondazione étaient nécessaires, ses dirigeants acceptèrent de rejoindre la majorité gouvernementale.
Cinq ans seulement après sa création, ce parti dit de « refondation » communiste acceptait donc de soutenir un gouvernement dont la politique allait être basée sur des plans d'austérité. Car c'est sans doute là qu'il fallait chercher la raison de l'évocation de « l'Olivier » : des olives, un peu de pain, cela fait penser à un repas plutôt frugal... Et en effet, le gouvernement Prodi qui disposait de l'appui du PDS, de l'appui des syndicats, et même de la caution de Rifondazione sur sa gauche, en profita pour mener une politique d'austérité draconienne et pour faire payer le prix fort à la classe ouvrière italienne.
Les dirigeants de Rifondazione et en particulier son secrétaire général Bertinotti, durent alors jouer un jeu difficile. D'un côté ils tenaient à rester dans la majorité gouvernementale. De l'autre ils voulaient éviter de perdre trop de crédit auprès de leur base ouvrière, de leurs électeurs et de leurs propres militants. Bertinotti à plusieurs reprises fit donc le geste de s'opposer à certains projets gouvernementaux, pour les accepter une fois que Prodi y eut apporté quelques aménagements mineurs. Il s'agissait de démontrer que Bertinotti était une sorte d'avocat des couches populaires dans la majorité gouvernementale et que le chantage qu'il pouvait faire sur le gouvernement quand il s'agissait de voter une loi, permettait au moins d'atténuer les mesures les plus brutales dirigées contre les travailleurs.
Ce jeu ne pouvait pas durer éternellement. En fait Bertinotti n'empêchait rien. Il était bien plus l'otage du gouvernement Prodi que celui-ci n'était le sien. Rifondazione finit par apparaître comme coresponsable des attaques dirigées contre les travailleurs par le gouvernement Prodi. La désillusion s'installa dans les rangs de Rifondazione, le parti devenant de moins en moins actif, ses adhérents le quittant et la participation aux réunions des cercles se raréfiant.
A l'automne 1998, Bertinotti tenta un coup de poker : il menaça de retirer son soutien au gouvernement si celui-ci ne revoyait pas dans un sens plus favorable aux travailleurs le projet de budget qu'il s'apprêtait à présenter. Bertinotti se serait contenté de quelques aménagements symboliques. Mais Prodi tint bon, car il était assuré qu'une partie des députés et des élus de Rifondazione étaient prêts à faire scission plutôt que de cesser de soutenir le gouvernement.
Cette scission eut lieu en octobre 1998 autour d'un autre dirigeant du parti, Cossutta. Celui-ci, vieux dirigeant stalinien, ancien leader de l'aile pro-soviétique du PC, amena avec lui une majorité du groupe parlementaire de Rifondazione et créa un nouveau parti, le PdCI, le « parti des Communistes Italiens », qui apporta son soutien au gouvernement Prodi. Cela ne fut pas suffisant pour maintenir le gouvernement en place, et Prodi dût être remplacé. Mais un nouveau gouvernement s'installa, cette fois sous la présidence du dirigeant du PDS, Massimo D'Alema, qui réussit à avoir une majorité.
Aujourd'hui, l'Italie a donc pour premier ministre le principal dirigeant de l'ex-Parti communiste devenu PDS, « parti démocratique de la gauche ». On dit même maintenant simplement « les DS » - les démocrates de gauche - parce que D'Alema après avoir retiré le mot « communiste » de son sigle, a estimé récemment qu'il fallait retirer le mot « parti » - il ne reste donc plus que « démocrates » et « de gauche ». Des deux quel est celui qu'il retirera la prochaine fois ? Les paris sont ouverts !-.
Rifondazione à la recherche d'une politique
Quant à Rifondazione, après cette sortie de la majorité gouvernementale l'an dernier, Bertinotti a tenté pendant quelques mois de lui donner un visage d'opposant de gauche, un peu radical, au gouvernement. Il a même formulé les objectifs du parti, au cours du Congrès de celui-ci au mois de mars 1999, en déclarant que celui-ci défendait « une alternative de société ». Mais quelques citations suffisent à donner une petite idée de ce qu'est cette prétendue « alternative ». Ce n'est pas, dit Bertinotti, « une alternative de système à la société capitaliste », mais « l'alternative à la société forgée par les politiques néolibérales (...) à travers une politique de réformes sociales et de nouveau développement ». Et d'opposer la politique menée par D'Alema en Italie, ou par Schröder en Allemagne ou Blair en Grande-Bretagne... à la politique de par Jospin en France !
Eh oui, il faut aller en Italie et écouter Bertinotti pour apprendre que la politique de Jospin serait fondamentalement différente de celle de Blair et Schröder car elle comporterait selon ses termes « une critique et une lutte contre le libéralisme dans l'actuelle phase de globalisation ». Bertinotti parle même de « l'intérêt extraordinaire des expériences de gouvernement de la gauche plurielle en France ». Il invoque aussi parfois le dirigeant social-démocrate allemand Oskar Lafontaine qui a démissionné peu après l'arrivée de Schröder au pouvoir. Bertinotti fait semblant de croire que Lafontaine aurait représenté une politique différente, plus à gauche, plus soucieuse de respecter les acquis sociaux des travailleurs.
Ce type de discours est évidemment difficile à admettre pour qui connaît la politique de Jospin. Mais même en Italie, l'« alternative de société » dont parle Bertinotti n'est pas très crédible. Aux élections européennes de juin dernier, Rifondazione a enregistré un résultat électoral décevant : 4,2 % des voix, tandis que les scissionnistes « cossuttiens » recueillaient 2 % des voix. Cela a été un coup pour la direction du parti, et cela a déclenché une nouvelle course vers la droite, Bertinotti annonçant maintenant que, pour les prochaines élections, Rifondazione va de nouveau chercher à conclure des alliances avec le centre-gauche.
Au terme d'une marche vers la social-démocratie
Aujourd'hui, il est donc sorti finalement trois tendances du PC italien. L'une, « Rifondazione comunista », est celle qui a voulu maintenir l'étiquette communiste. Sa politique oscille entre le soutien au gouvernement de centre-gauche et des velléités d'opposition. Le bilan des deux ans de participation gouvernementale pour elle, c'est une scission. C'est aussi une perte d'adhérents, la démoralisation d'une partie de ses militants, une crise de perspectives qu'il a bien du mal maintenant à surmonter, même si sa dernière manifestation à Rome montre qu'il lui reste bien des possibilités.
L'autre tendance est donc celle de Cossutta et de son petit parti, le « parti des Communistes italiens », qui a scissionné l'an dernier avec les élus et les parlementaires de Riifondazione qui étaient les partisans inconditionnels de la participation à la majorité gouvernementale, et qui a aujourd'hui deux ministres dans le gouvernement D'Alema.
Enfin, la troisième tendance issue du vieux PC italien est donc le parti des DS, des « démocrates de gauche » de D'Alema. Si l'on veut trouver un Parti communiste qui a été au bout de son évolution, les DS en fournissent un bel exemple. Ce parti a réussi, non seulement à être admis au gouvernement de la bourgeoisie, mais à en avoir la direction. Il n'y a pas si longtemps, avant qu'il parvienne à la tête du parti, la presse italienne présentait D'Alema comme un apparatchik nostalgique de l'ancien PC, publiant ses photos, avec des cheveux longs, au temps où il était secrétaire général des Jeunesses communistes. Aujourd'hui, président du Conseil, il exerce cette charge sans aucun scrupule, et avec un cynisme absolu. Non seulement il mène la politique d'austérité, de subventions au patronat, de privatisations, de déréglementation, de précarisation des conditions de travail, mais sans la moindre nostalgie pour son passé communiste il explique que tout cela est nécessaire. Il y a quelques semaines, il annonçait triomphalement au cours d'un séminaire tenu avec des patrons que, désormais, la notion d' « emploi fixe » était dépassée, c'est-à-dire qu'un travailleur doit s'habituer à la mobilité, à la précarité, à la flexibilité : c'est cela qui est « moderne » d'après D'Alema.
Voilà d'ex-dirigeants communistes devenus des gouvernants à part entière pour la bourgeoisie. Voilà un ex-parti communiste devenu aussi social-démocrate que le parti travailliste de Blair ou le Parti social-démocrate de Schröder. Aujourd'hui non seulement il ne lui reste plus rien de communiste, pas même le nom, mais il ne fait même plus semblant de défendre en quoi que ce soit, même pas en paroles, les intérêts des travailleurs.
En réalité, à l'intérieur de la société capitaliste, c'est bien là le seul point vers lequel tend la démarche de tous ces Partis communistes qui disent vouloir se « transformer ». Et si tous n'en sont pas arrivés jusque-là, ce n'est pas en réalité faute de volonté de la part de leurs dirigeants, mais parce que la place de parti de gouvernement était déjà prise. En Italie, les DS ont pu bénéficier d'une certaine situation, et notamment de la décrépitude et de l'écroulement du parti qui leur faisait directement concurrence : le Parti socialiste. Ce parti socialiste s'étant effondré, miné par les scandales, usé par trente ans de participation à tous les gouvernements, les DS de D'Alema ont pu prendre sa place. Quitte à se débarrasser au passage d'une partie de sa base, restée à Rifondazione, il a pu devenir le Parti social-démocrate de l'Italie, celui qui peut gouverner le pays en alternance avec, en face, la droite de Berlusconi.
Ailleurs, les Partis communistes n'ont pas eu cette chance : ni le PC français, ni le PC espagnol.
Le PC espagnol, la République et le franquisme
En matière de participation aux gouvernements bourgeois, le Parti communiste espagnol est, au fond, celui des partis communistes européens qui a la plus longue tradition. En effet, c'est dès 1936, durant la guerre civile espagnole, qu'il est entré au gouvernement républicain. Les circonstances étaient bien particulières il est vrai. La tentative de coup d'État militaire de Franco avait déclenché, en réponse, une véritable révolution prolétarienne. Dans toute l'Espagne, des milices ouvrières s'étaient créées, qui avaient pris en main la lutte contre les troupes de Franco et qui exerçaient à la base, dans les villes, dans les quartiers, dans les entreprises, le pouvoir réel.
Cependant le PC espagnol ne fut pas appelé au pouvoir comme le représentant des travailleurs en armes, comme l'expression du pouvoir des masses révolutionnaires. Au contraire, il fut appelé au pouvoir parce que la fraction républicaine de la bourgeoisie avait besoin de lui pour les combattre. Les dirigeants du PC espagnol se mirent alors en quatre pour expliquer que le moment n'était pas venu pour la révolution : d'après eux il fallait d'abord vaincre Franco et, pour cela, se soumettre à la bourgeoisie républicaine, ne pas l'effrayer, accepter sa discipline, s'intégrer à son armée, remettre à plus tard les revendications sociales des ouvriers et des paysans... L'armée républicaine, encadrée en grande partie par le PC, mena même la répression contre les milices ouvrières, notamment lorsqu'elle leur reprit le pouvoir en mai 1937 à Barcelone. Les services secrets de la République, appuyés par la GPU de Staline et encadrés en grande partie par des hommes du PC espagnol, se chargèrent aussi d'arrêter les militants révolutionnaires et parfois de les liquider, comme ce fut le cas pour Andrès Nin, le dirigeant du POUM, un parti ouvrier qui, malgré ses défaillances à lui aussi, représentait une orientation trop révolutionnaire au goût des dirigeants staliniens du PC.
Tout cela n'empêcha pas la victoire de Franco, au contraire cela la facilita, en démobilisant les masses populaires, en brisant leur élan révolutionnaire. La révolution espagnole fut vaincue. Et entre la dictature de Franco et la révolution ouvrière, il n'y eut même pas place pour une république bourgeoise : l'Espagne allait connaître la dictature pendant quarante ans.
Le PC espagnol, qui était faible en 1936, n'avait pas de traditions révolutionnaires. La classe ouvrière espagnole en avait pourtant d'authentiques. Mais ces traditions étaient bien plus représentées par la CNT et la FAI, c'est-à-dire par les organisations anarchistes, que par le PC. Celui-ci recruta au cours de la guerre civile surtout des petits-bourgeois, des petits cadres de l'appareil d'État, ou même de l'Armée. Ainsi, historiquement, il fut bien parmi les partis communistes occidentaux le premier véritable parti de gouvernement. Mais il ne put en profiter : la dictature de Franco le rejeta pour quarante ans dans l'opposition et l'exil.
Pourtant les années de la dictature furent aussi pour le PC l'occasion de gagner une certaine implantation ouvrière. Ses habitudes de travail lui permettaient, dans la clandestinité, d'être l'organisation la plus présente au sein des masses populaires. Lorsque des grèves éclatèrent contre le régime franquiste dans les années soixante, leurs dirigeants furent le plus souvent des militants du PC espagnol. Ce furent eux qui créèrent les « Commissions Ouvrières », syndicat clandestin qui eut bientôt beaucoup plus d'influence réelle parmi les travailleurs que les syndicats verticaux mis en place par le franquisme.
Mais sur le plan politique, les perspectives de la direction du PC n'avaient rien de révolutionnaires. Elles s'exprimaient par des formules telles que la « voie pacifique vers le socialisme », « l'eurocommunisme » ou la « rupture démocratique avec le franquisme », et la recherche d'alliances avec tout ce que l'Espagne pouvait compter comme hommes politiques bourgeois plus ou moins libéraux opposants à Franco. La fin de la dictature en 1975 confirma cette orientation.
Le PC, garant de la « transition » vers la monarchie juan-carliste
Lorsque la bourgeoisie espagnole se posa le problème d'assurer la transition entre la dictature franquiste et un régime parlementaire, elle chercha le soutien de toutes les forces politiques. En effet, elle craignait que la fin de la dictature n'amène à une explosion de toutes les revendications politiques et sociales refoulées depuis si longtemps, et notamment des revendications ouvrières. Bien des militants ouvriers, bien des militants du PC lui-même l'espéraient. Mais la direction du PC espagnol, conformément à toute sa politique passée, se montra prête à collaborer avec les partis de la bourgeoisie pour que la « transition » s'effectue sans troubles politiques et sociaux.
Sur le plan politique, le PC accepta sans difficulté de reconnaître la monarchie juan-carliste qui devait succéder au régime franquiste. Il fit voter « oui » au referendum approuvant la Constitution proposée par Juan Carlos. Sur le plan économique, le PC accepta aussi de souscrire au pacte connu sous le nom de « Pacte de la Moncloa ». Cet accord souscrit par l'ensemble des forces politiques, ainsi que par le patronat et les syndicats, s'engageait au maintien de la paix sociale... par la renonciation de la classe ouvrière à ses revendications essentielles.
Pour prix de cette attitude responsable, le PC fut légalisé en 1977, en même temps que les autres formations politiques et les confédérations syndicales dont celle qui lui était liée, les « Commissions Ouvrières ». Mais le soutien au Pacte de la Moncloa, l'appui à la politique d'austérité de la bourgeoisie, désarmèrent bien des militants ouvriers. Les dernières années du franquisme avaient été marquées par une effervescence sociale et un développement rapide des organisations ouvrières. De nombreux militants, qu'ils soient des « Commissions Ouvrières » ou du PC, qui avaient pu espérer que la fin de la dictature déboucherait sur autre chose, en sortirent profondément déçus.
Cependant, le PC espagnol n'eut même pas la récompense de cette participation gouvernementale que la République lui avait reconnue en 1936. Il fut admis dans la vie politique, mais comme un parti qui devait à chaque fois faire la démonstration de son légalisme et de sa modération vis-à-vis du pouvoir, et il ne fut pas question de l'associer au gouvernement. Et ce parti qui comptait un grand nombre de militants, de cadres estimés et reconnus par les travailleurs, perdit de sa force et de son influence tandis que se développait un concurrent de taille, le PSOE, le Parti Socialiste Ouvrier Espagnol. Aux premières élections de l'après-Franco, en 1977, le PC espagnol recueillit 9,38 % des voix mais le Parti Socialiste, lui, qui avait été presque inexistant sous Franco, en recueillit près de 30 %. Quelques années plus tard, en 1982, c'est ce parti qui connut un succès électoral alors que le PC espagnol s'écroulait en ne recueillant plus que 4 % des voix. Le dirigeant du PSOE Felipe Gonzalez accéda au pouvoir, sans même avoir besoin de l'appui du PC.
Felipe Gonzalez appliqua immédiatement une politique anti-ouvrière, faisant supporter tout le poids de la crise et de la restructuration industrielle aux travailleurs. Mais le mécontentement des couches populaires qui avaient soutenu le PSOE ne se reporta pas pour autant sur le PC, ou seulement en petite partie. En fait le PC n'opposait pas au PSOE une politique bien différente. Il laissait seulement entendre qu'il pourrait, lui, représenter une vraie gauche et que mieux vaudrait avoir cette gauche-là au gouvernement que celle représentée par le PSOE.
En fait, dans les premières années du gouvernement de Felipe Gonzalez, c'est le PC qui fut le plus en difficulté. Son écroulement électoral fut suivi de plusieurs scissions et du départ d'un certain nombre de ses dirigeants vers le PSOE, parti au pouvoir et dans lequel ils pouvaient avoir plus d'espoirs de faire carrière.
Izquierda Unida et ses crises
Pour tenter d'être plus crédible, le PC espagnol, ou plutôt deux morceaux de celui-ci, constituèrent en 1986 une coalition, la coalition dite de la « gauche unie », - Izquierda Unida. Outre les deux morceaux du PC ainsi réunifiés, cette coalition ne regroupait que des partenaires plutôt insignifiants : un petit parti social-démocrate, le PASOC, des écologistes et le résidu d'une formation de gauche républicaine datant de la République, Izquierda Republicana. Mais l'objectif était de se donner une image plus respectable, de s'éloigner encore de l'image communiste qu'il avait conservée du passé.
Depuis cette date, le Parti communiste Espagnol n'est plus apparu que sous l'étiquette d' « Izquierda Unida ». En fait, s'il cherchait à faire concurrence au PSOE, ce n'était nullement en se faisant le défenseur des intérêts de la classe ouvrière : c'était en agitant certains thèmes à la mode dans les milieux de gauche comme l'écologie, le féminisme, le pacifisme, le nationalisme anti-OTAN, voire en parlant d'élaborer « une alternative au néo-libéralisme ». La classe ouvrière n'était même plus évoquée. Pourquoi s'étonner si, après cela, Izquierda Unida fut bien incapable de recueillir l'adhésion des travailleurs déçus de la politique menée par le PSOE au pouvoir, dont beaucoup se sont réfugiés dans l'abstention, les autres continuant à voter PSOE faute de mieux. Car, à vouloir concurrencer le PSOE sur son terrain, c'est celui-ci qui est resté le plus crédible.
Au fil des années les résultats électoraux d'Izquierda Unida ont bien progressé un peu, l'amenant par exemple à 13 % des voix aux élections européennes de 1994. Pour les élections législatives de 1996, le dirigeant du PC et d'Izquierda Unida, Julio Anguita, défendit même la perspective dite du « sorpasso », le mot italien pour « dépassement » : il s'agissait, face au discrédit du PSOE, de déclarer que la vraie gauche de gouvernement était désormais Izquierda Unida, et qu'elle pouvait dépasser électoralement le PSOE. Ce fut l'échec, la droite sortant victorieuse des élections, Izquierda Unida n'obtenant que 10 % des voix alors que le PSOE, même perdant les élections face au Parti Populaire d'Aznar, obtenait encore 37 % des voix.
Ces élections de 1996 allaient causer une nouvelle crise au sein d'Izquierda Unida, en déclenchant une véritable course à la conclusion d'accords électoraux avec le PSOE. Les fédérations d'Izquierda Unida trop pressées de conclure de tels accords, notamment en Galice et en Catalogne, furent exclues. Mais la direction d'Izquierda Unida elle-même multipliait les avances au PSOE. Contre la droite au pouvoir, elle prenait l'exemple de la France, parlant de construire avec le PSOE non pas une « gauche plurielle », mais une « maison commune ». Les mots changent suivant les pays et les moments, on ne sait pas très bien pourquoi, mais pas le contenu. Julio Anguita a encore cité récemment le gouvernement Jospin en France parce que selon lui, c'est « l'exemple d'une politique dans laquelle le gouvernement ne se soumet pas aux lois du marché » ! C'est Strauss-Kahn qui a dû s'amuser en entendant ça, c'est plus drôle que de penser à ses problèmes avec la MNEF...
Encore une fois, à se faire aussi sociaux-démocrates que les sociaux-démocrates du PSOE, c'est celui-ci que les dirigeants d'Izquierda Unida ont renforcé. Aux élections européennes du mois de juin 1999, qui étaient accompagnées d'élections municipales et régionales, Izquierda Unida s'est de nouveau écroulée, en retombant à 5,77 % des voix alors que le PSOE en recueillait 35,26 %. Cet échec n'a pourtant pas amené ses dirigeants à l'autocritique. Tirant les leçons de cette déroute électorale ils ont conclu surtout... à la nécessité de conclure des accords d'Union de la gauche avec le PSOE dans les municipalités, sans même y mettre les conditions programmatiques que, quelques temps auparavant, Anguita présentait comme essentielles.
Alors, si l'on fait le tour des principaux Partis communistes d'Europe aujourd'hui, c'est bien la même politique, à des variantes près, que l'on retrouve, même si elle les conduit à n'être que des seconds, toujours en position subalterne vis-à-vis des partis sociaux-démocrates qui exercent le pouvoir, et finalement toujours perdants.
Le PC portugais et la « révolution des oeillets »
A coté du PC espagnol et de ses crises, le PC portugais a été souvent présenté comme un modèle d'orthodoxie stalinienne. Il est vrai qu'il n'a pas connu les crises du PC espagnol, qu'il continue de s'appeler Parti communiste, qu'il est resté pro-soviétique à un moment où les PC espagnol et italien avaient déjà prononcé leur divorce d'avec l'URSS. Il est capable aussi parfois de tenir un langage aux apparences radicales.
Le PC portugais, tout comme son voisin espagnol, a dû longtemps militer sous la dictature, celle de Salazar puis celle de Caetano. Lorsque celle-ci prit fin en 1974, il était certainement l'organisation comportant le plus de militants, et les militants les plus conscients et combatifs, dans la classe ouvrière. Cependant dans la situation d'effervescence politique qui suivit la chute de la dictature et que l'on a nommé « la révolution des oeillets », il se trouva incapable de mener une politique propre.
La chute de la dictature de Caetano fut l'oeuvre d'un Coup d'État, organisé par des officiers de petit échelon, les « capitaines » eux-mêmes animés d'illusions démocratiques et partisans de politiques plus ou moins radicales, qui créèrent même un mouvement, le MFA, Mouvement des Forces Armées. Appelé à participer au gouvernement aux côtés du MFA, le PC portugais s'engagea immédiatement.
Cette révolution venue de l'armée allait secouer toute la société portugaise. Après plus de quarante ans de dictature, elle se traduisit rapidement par une effervescence qui gagna les couches populaires et en particulier la classe ouvrière. Le prolétariat commença à formuler ses revendications, à prendre conscience de ses intérêts et de ses objectifs propres et à se battre. Le PC portugais mit alors son poids dans la balance pour expliquer qu'il fallait patienter, qu'on ne pouvait pas avoir tout, tout de suite. Au lieu d'indiquer aux travailleurs une politique qui leur aurait permis de défendre leurs intérêts, mais aussi de se renforcer en tant que classe, de préparer la classe ouvrière à jouer un rôle politique, il se borna à épouser la cause des capitaines du MFA et à défendre leurs méthodes souvent jusqu'à l'absurde. Son sectarisme lui permettait de donner à sa politique des apparences de radicalisme. Mais ce radicalisme, calqué sur celui des capitaines du MFA, sur leur nationalisme ou leur tiers-mondisme, n'avait aucun contenu de classe et ne servait en rien la classe ouvrière et son avenir.
L'influence du PC fut certainement décisive pour empêcher qu'une effervescence révolutionnaire ne gagne la classe ouvrière. Mais il n'en fut pas pour autant récompensé. Après la chute de la dictature, les affrontements commencèrent rapidement entre les différentes forces politiques, et même entre les différentes tendances de cette armée qui avait été au point de départ de la « révolution des oeillets ». La bourgeoisie souhaitait se débarrasser des capitaines auteurs du Coup d'État et de leurs illusions qu'elle estimait dangereuses. Elle trouva un appui dans le Parti socialiste de Mario Soares, qui en quelques mois réussit à prendre de l'influence pratiquement à partir de rien.
Le PC, lui, fut rejeté dans l'opposition en même temps que les capitaines auxquels il avait lié son sort. Il tenta de se raccrocher à différentes forces politiques, restant toujours à la traîne des évènements, subordonné à d'autres sans que jamais l'initiative politique lui appartienne. Peu à peu, la situation portugaise fut normalisée, essentiellement grâce aux efforts du parti socialiste, qui allait devenir le principal facteur de stabilité politique du pays.
Puis, lorsqu'il n'est plus resté d'autres forces politiques sur lesquelles s'aligner, le PC portugais s'est trouvé finalement réduit, lui aussi, à être un subordonné du Parti socialiste. S'il dénonce la politique menée par le PS au pouvoir, ou les positions pro-américaines de ses dirigeants, c'est invariablement pour proposer à celui-ci d'accepter une union de la gauche avec le PC. Et là aussi, à se faire le concurrent du Parti socialiste sur le même terrain politique que lui, celui du réformisme, le PCP a finalement favorisé celui-ci, perdant des voix au profit de celui-ci et passant, par exemple, de 19 % des voix en 1979 à 9 % aux dernières élections législatives de ce mois d'octobre 1999.
Grèce : les PC dépassés par le PASOK
Dans un autre pays du Sud de l'Europe, la Grèce, le PC a connu une histoire un peu analogue à celle des PC espagnol et portugais. Les militants du PC grec ont eu, à plusieurs reprises, à faire face à la dictature : celle de Metaxas en 1936, l'occupation allemande durant la deuxième guerre mondiale, puis la guerre dite civile de 1944 à 1949, mais où l'Angleterre puis les USA furent les principaux adversaires, à laquelle a succédé un régime particulièrement répressif. Puis lorsqu'on a assisté à une montée de la gauche, dans les années soixante, l'armée grecque a répondu par le Coup d'État d'avril 1967 et par une répression violente, dont les militants communistes ont fourni les victimes les plus nombreuses, l'armée instaurant une dictature qui devait durer jusqu'en juillet 1974.
Pourtant, c'est ce parti particulièrement trempé qui a connu la scission bien avant ses homologues des autres pays européens. C'est en 1968 en effet que le groupe dit des dirigeants de l'intérieur a commencé à prendre ses distances d'avec l'URSS, et par la même occasion d'avec un autre groupe, le groupe des dirigeants dits de l'extérieur parce qu'ils avaient pris le chemin de l'exil après l'instauration de la dictature. Le résultat a été la création de deux PC. L'un, le PC dit de l'intérieur, plus présent dans les milieux universitaires et petits-bourgeois, se voulait critique à l'égard de l'URSS et se disait ouvertement réformiste. L'autre, le PC dit de l'extérieur, resté pro-soviétique et même officiellement marxiste et révolutionnaire, gardait l'essentiel de l'influence dans la classe ouvrière.
Mais en Grèce aussi, le PC ou plutôt les deux PC ont été confrontés au début des années quatre-vingt à la montée de la social-démocratie. En octobre 1981, le parti socialiste dirigé par Andreas Papandreou, le PASOK, gagna les élections législatives avec 48 % des voix, tandis que le PC, c'est-à-dire en fait le PC extérieur, en obtenait 11 %. Un pouvoir social-démocrate s'installa en Grèce, menant la même politique d'austérité anti-ouvrière que ses homologues européens : dévaluation de la monnaie, augmentation des impôts, licenciements dans les entreprises, augmentation du chômage jusqu'à un taux de 15 % en 1984.
Le PC grec, malgré toutes ses traditions, se trouva tout aussi incapable de définir une politique alternative à celle de la social-démocratie, soutenant le plus souvent le PASOK sous prétexte de ne pas faire le jeu de la droite. Pendant une certaine période, on vit les deux partis communistes se présenter ensemble aux élections sous l'étiquette d'un « rassemblement de la gauche et du progrès », puis d'une « coalition de gauche », sorte d' « Izquierda Unida » en version grecque, obtenant jusqu'à 13 % des voix en 1989. Cette coalition a de nouveau éclaté en 1991, la coalition constituée autour du PC de l'intérieur gardant le nom de « coalition de gauche », dite plus brièvement Sinaspismos, « coalition » en grec. Mais ni les uns ni les autres n'ont exprimé vraiment des positions de classe.
En fait, dans une situation sociale de plus en plus dégradée, marquée par une extension dramatique du chômage et de la pauvreté, les différents partis ont trouvé dans les conflits des Balkans des motifs pour des dérivatifs dans des surenchères nationalistes contre les Turcs, contre les Albanais, ou pour les droits historiques de la Grèce sur la Macédoine. Les deux fractions du PC, sur cette voie, n'ont pas été les derniers. Mais sur ce terrain, ils ne pouvaient pas être gagnants.
Dernièrement, aux élections européennes de juin dernier, le PC de l'extérieur a encore obtenu 8 % des voix, et la coalition « sinaspismos » 5 %. Tout au plus donc, le PC extérieur se maintient à peu près sur le plan électoral. Mais sur le plan militant il n'en est pas de même. Au cours des années quatre-vingt il a perdu une bonne partie de son ancienne implantation, notamment dans ce que l'on appelait là-bas aussi les « banlieues rouges », celles d'Athènes et de Salonique. Il ne l'a plus retrouvée : même si une partie de cette classe ouvrière a largement eu le temps d'être déçue par l'expérience du PASOK au pouvoir, elle se trouve aujourd'hui émiettée, souvent réduite au chômage ou à la précarité. Et surtout, elle ne voit pas en quoi la politique proposée par les différents PC offre une alternative à ce qu'elle a subi de la part des sociaux-démocrates.
Car pour apparaître comme une alternative, il faudrait une autre politique. C'est du coté d'une politique combative, d'une politique de lutte de classe sans concession, que serait la seule issue pour les militants communistes, pour tous ceux en tout cas qui continuent à se reconnaître dans la perspective du communisme et de l'émancipation de la classe ouvrière.
Europe du nord : des partis sociaux-democrates bis
Il faut aller au Nord de l'Europe pour trouver des Partis qui ont pu tout à la fois se reconvertir en véritables partis sociaux-démocrates et qui, jusqu'à présent, ne semblent pas trop en souffrir, au moins du point de vue électoral.
C'est d'abord le cas en Suède ou l'ancien PC a pris le nom, tout simplement, de parti de gauche. Il a obtenu 12 % des voix aux dernières élections législatives, en septembre 1998, et le gouvernement social-démocrate, minoritaire au Parlement, doit compter sur l'appoint des députés ex-communistes et verts. C'est le cas aussi en Finlande, où le Parti communiste qui a pris, lui, le nom d'Alliance de gauche, recueille environ 10 % des voix et fait partie d'une majorité gouvernementale allant jusqu'au centre-droit.
Mais c'est surtout en Allemagne qu'un ancien Parti communiste a réussi ces dernières années sa reconversion : il s'agit de l'ancien Parti communiste au pouvoir en Allemagne de l'Est avant la chute du mur de Berlin. Il ne s'appelait d'ailleurs pas communiste puisque son sigle était le SED, le Parti socialiste Unifié, créé par l'unification, après la guerre, du PC et du Parti Social-démocrate de l'Est. Mais pendant quarante ans, il a été avant tout l'instrument de la dictature policière régnant en Allemagne de l'Est, témoignant d'une fidélité totale aux dirigeants de la bureaucratie russe.
Pourtant, la fin de l'Allemagne de l'Est et la réunification de l'Allemagne n'ont pas été la fin pour le SED. Ses dirigeants trop compromis avec le régime passé se sont mis en retrait, le dirigeant « rénovateur » Gregor Gyisi a pris la tête du parti en lui faisant adopter un nouveau nom : le PDS, parti du socialisme démocratique. L'Allemagne orientale a continué d'être un fief électoral pour le PDS, où il obtient jusqu'à 20 %, voire 25 % des voix. La raison en est simple. Bien sûr, dans l'ex-Allemagne de l'Est, le PDS a gardé une implantation locale à travers les associations de quartier, les municipalités, les syndicats, et une implantation dans la classe ouvrière. Mais de plus la population a fait l'expérience brutale de l'unification. L'intégration à ce qu'on lui présentait et à ce que, en partie, elle pensait être le « paradis capitaliste » d'Allemagne de l'Ouest, s'est traduite par une restructuration brutale de l'économie. La liberté, pour beaucoup, cela a été la liberté d'être jeté à la rue et de rester chômeur, quand ce n'était pas de perdre son logement ou sa maison parce que d'anciens propriétaires d'il y a quarante ans venaient présenter leurs titres à l'occuper.
Alors bien sûr, le PDS est un parti qui a été longtemps au pouvoir dans le cadre d'une dictature, qui porte aussi une grave responsabilité historique dans la situation de la classe ouvrière allemande aujourd'hui. C'est aussi un parti qui est en fait aujourd'hui bien intégré aux institutions, qui est même associé au pouvoir à l'échelle régionale dans l'ex Allemagne de l'Est. Mais paradoxalement, c'est quand même ce parti qui apparaît aujourd'hui comme un opposant à l'intégration au système capitaliste et à l'aggravation dramatique des conditions de vie qu'elle a signifié, en particulier pour les couches les plus pauvres de la classe ouvrière auxquelles il est lié. Et cela lui permet de garder une influence importante dans cette région.
Et pourtant, le PDS ne parle plus de communisme, ni même de socialisme : il prône l'acceptation de l'économie de marché et d'un capitalisme tout juste un peu aménagé pour permettre aux petits de n'être pas tous mangés par les gros. Et finalement, tout comme les autres anciens partis communistes d'Europe du Nord qui aujourd'hui ne trouvent pas d'autre appellation que celle de « parti de gauche », il a tout au plus pour perspective d'être une « gauche » de la social-démocratie, ne se distinguant d'elle que sur des points de détail et acceptant la société capitaliste tout comme celle-ci.
Pourtant ces partis continuent, malgré la politique de leurs dirigeants, malgré le triste bilan du stalinisme en particulier en Allemagne, de regrouper un nombre non négligeable de militants ouvriers, sans doute les plus conscients et les plus dévoués parmi les travailleurs. Ils représentent malgré tout, encore aujourd'hui, une tradition de militantisme politique dans la classe ouvrière que les différents groupes d'extrême-gauche, par exemple, n'ont pas été capables d'égaler. Cela est notable même pour le DKP, le Parti communiste de l'ex-Allemagne de l'Ouest, qui compte dans bien des villes ouvrières, ou dans les syndicats, des militants connus et appréciés, même si aux élections ce parti recueille moins d'un demi pour cent des voix.
Grande-Bretagne : les échecs du PC
Dans notre panorama des Partis communistes, il faut aussi mentionner un certain nombre de pays dans lesquels le PC a presque totalement disparu. C'est le cas de la Belgique par exemple, mais c'est aussi le cas de la Grande-Bretagne, où le Parti Communiste n'existe plus en tant que tel. Il est vrai que dans ces pays les PC ont toujours été faibles, entre autres parce qu'ils avaient à faire à une social-démocratie très puissante.
Le Parti communiste britannique a cependant eu un certain développement dans le passé, regroupant dans les années vingt et trente bon nombre de militants ouvriers combatifs et comptant jusqu'à 50 000 membres en 1943. Lui aussi s'aligna sur la politique stalinienne durant la guerre, par exemple en s'opposant aux grèves sous prétexte de ne pas compromettre l'effort de guerre et l'alliance avec l'URSS. Lors de la guerre froide, soumis à forte pression par l'anticommunisme du parti travailliste et des syndicats britanniques, il fut aussi un des plus droitiers parmi les PC européens, proclamant dès 1952 une « voie britannique vers le socialisme » ouvertement réformiste.
Cela ne l'a pas sauvé, au contraire. Dès la fin des années cinquante, le PC britannique subit l'hémorragie d'une bonne partie de ses militants, un peu sur sa gauche et beaucoup sur sa droite, nombre de ses cadres ouvriers choisissant de quitter le PC pour garder leur poste de dirigeants syndicaux. Il réussit à renverser le cours des choses dans les années soixante et soixante-dix, gagnant des militants ouvriers et jouant un rôle dans un certain nombre de grèves. Mais il allait les perdre très vite. Les travaillistes revinrent au pouvoir entre 1974 et 1979 pour mener, comme leurs homologues des autres pays d'Europe, une politique d'austérité anti-ouvrière appuyée par les syndicats. Le PC était soucieux de ne pas perdre les positions conquises dans la bureaucratie syndicale. Il apporta son soutien à la politique des dirigeants syndicaux. Les effectifs du PC commencèrent à s'écrouler, le parti perdant les jeunes ouvriers combatifs qu'il avait réussi à reconquérir dans les années précédentes et ne gardant que les cadres les plus anciens, et souvent aussi les plus intégrés à l'appareil syndical.
Comme toujours, cette politique de la gauche au pouvoir allait ramener la droite, avec la victoire électorale de Margaret Thatcher en 1979. Mais, même s'il était plus disposé à se montrer combatif contre Thatcher que contre les travaillistes, le PC ne réussit plus à reprendre pied. Dans les années quatre-vingt, la vague de restructurations et de fermetures d'entreprises allait lui faire perdre encore une partie de l'implantation qu'il avait réussi à garder. En même temps, des scissions se produisaient et le parti éclatait. La direction, abandonnant toute référence au marxisme, adoptant les thèmes écologiques à la mode et militant pour une alliance libérale contre Thatcher allant du parti travailliste à l'aile gauche des conservateurs, excluait les militants réticents devant cette orientation, abandonnait le nom de Parti communiste pour prendre celui de « gauche démocratique ».
Cet éclatement, qui date de 1985, a marqué la fin du PC britannique en tant que tel, même s'il subsiste aujourd'hui différents groupes qui en sont issus, mais de faible influence et qui regroupent tout au plus, en tout, quelques milliers de militants.
Si l'on fait le bilan de cet exemple de la Grande-Bretagne, on peut dire que dans ce pays l'importance de la bureaucratie travailliste et de celle des syndicats, des Trade Unions, n'a pas laissé de place pour le développement du PC. Mais ce n'est qu'une partie de l'explication. Car en fait cette place existait... en dehors justement de la bureaucratie travailliste ; c'est parmi les travailleurs du rang que le PC britannique aurait pu la conquérir, et il a eu dans son histoire plusieurs occasions qui le démontrent. Mais l'histoire du PC britannique est celle de ses tentatives d'adaptation à la bureaucratie travailliste et à celle des syndicats, et d'une politique toujours plus droitière, qui a compromis ses possibilités de développement dans les moments où de nouvelles générations de travailleurs combatifs cherchaient le chemin de la lutte.
Le PCF à la recherche d'une place de parti de gouvernement
Voilà dans quel contexte européen se place le cas du PC français. Comme les autres Partis communistes européens, lui aussi cherche depuis des années son intégration pleine et entière au jeu politique de la bourgeoisie. Lui aussi, chaque fois qu'il se rapproche du pouvoir, chaque fois qu'il exerce des responsabilités dans le cadre des institutions de la bourgeoisie, entre en contradiction avec les aspirations d'une partie de ses militants et de ses électeurs ouvriers en risquant d'y perdre une partie de son influence. C'est sa situation aujourd'hui, alors que pour la deuxième fois en moins de vingt ans, il a choisi de participer au gouvernement.
Mais rappelons d'abord que comme le PC italien, le PCF a participé au gouvernement déjà de 1944 à 1947. Il s'agissait pour la bourgeoisie française d'éviter que la fin de la guerre ne débouche sur une crise révolutionnaire, de reconstruire l'appareil d'État ébranlé et discrédité, de remettre en état l'économie en évitant que la classe ouvrière qui avait fait les frais de la guerre ne défende ses revendications vitales. Une fois cette tâche accomplie, le PCF fut renvoyé dans l'opposition. La grève qui éclata en avril 1947 chez Renault en fournit l'occasion lorsque les ministres PCF furent pris entre leur participation au gouvernement et les revendications ouvrières.
Le PCF connut alors lui aussi sa cure d'opposition. Celle-ci ne l'empêcha pas cependant, pendant plus de vingt ans, malgré les difficultés des années cinquante, puis de la période gaulliste, de maintenir ses positions dans la classe ouvrière, notamment au travers de la CGT, et de maintenir ses positions électorales en continuant de recueillir plus de 20 % des voix à l'échelle nationale jusqu'au seuil des années quatre-vingt.
Sans doute le PCF fut, relativement aux autres PC européens, un des plus longs à prendre ses distances d'avec le stalinisme et l'URSS. Mais il ne fut pas pour autant le dernier à se porter de nouveau candidat au gouvernement en parlant de la « voie française vers le socialisme » dans le cadre de laquelle il se disait prêt à exercer des responsabilités.
Mais pour que cette possibilité s'ouvre concrètement, il fallut qu'un politicien bourgeois comme Mitterrand fasse le calcul de se servir des voix du PC pour accéder au pouvoir, et réciproquement que le PC accepte ce jeu. Mitterrand, qui était le dirigeant d'un petit parti bourgeois, commença par mettre la main sur le Parti Socialiste, avant de conclure avec le PCF le « programme commun de gouvernement de la gauche » de 1972. En retour, le PCF accepta de s'effacer derrière Mitterrand et le PS, en choisissant notamment, en 1974, de ne pas présenter de candidat à l'élection présidentielle. Mitterrand fut ainsi en 1974 le « candidat unique de la gauche », en l'absence d'un candidat du PCF ; ce qui de la part de celui-ci signifiait qu'au fond, dans cette élection, il n'avait rien à dire de différent de ce que disait Mitterrand.
Cet effacement derrière le PS eut rapidement les mêmes effets que ceux constatés dans les autres pays : à partir du moment où il n'était plus perçu comme proposant une politique différente du PS, le PCF commença à perdre des voix au profit de celui-ci. Il tenta alors de se débattre, entre autres en rompant l'Union de la gauche à la veille des élections législatives de 1978. Mais rien n'y fit : un mécanisme était enclenché. Le choix de conclure une « Union de la gauche » pour pouvoir accéder au gouvernement avantageait politiquement le parti qui apparaissait comme le vrai maître d'oeuvre de cette coalition et le candidat au gouvernement le plus crédible : le Parti Socialiste.
La cure d'opposition du PCF et de la gauche devait durer jusqu'en 1981. Mitterrand fut alors élu pour la première fois président de la République, tandis que le PCF enregistrait une forte baisse électorale l'amenant de 20 % à 15 % des voix. C'était une victoire de Mitterrand non seulement sur la droite, mais aussi sur le PC. Le Parti Socialiste devenant majoritaire au Parlement, il n'avait pas besoin de l'appoint des députés communistes pour former le gouvernement. Mitterrand n'en estima pas moins utile de prendre des ministres communistes : c'était la garantie que, si d'aventure le nouveau gouvernement de gauche se trouvait face aux revendications ouvrières, les militants du PC et de la CGT useraient de leur influence pour l'aider.
Mais cela eut rapidement des conséquences désastreuses pour le parti. Là aussi, les espoirs que la population travailleuse avait pu mettre dans la gauche au pouvoir furent rapidement déçus. La désillusion s'installa, y compris dans les rangs du PC, et elle se traduisit rapidement en perte d'influence et en hémorragie de militants. Aux élections européennes de 1984, trois ans seulement après son arrivée au gouvernement, le PCF constata une nouvelle chute électorale : il n'obtenait plus que 11,28 % des voix. C'est pour tenter d'enrayer cette évolution que, en juillet 1984, il décida finalement de quitter le gouvernement.
Mais là aussi, ce choix ne fut pas vraiment accompagné d'un changement de politique. Pendant des années, tant que le Parti Socialiste restait au gouvernement, le PCF se contenta d'avoir vis-à-vis de celui-ci une attitude d'opposition constructive, les votes des députés communistes ne faisant jamais défaut lorsque la survie du gouvernement socialiste en dépendait. Ce n'est d'ailleurs que lorsque le Parti Socialiste est retourné à l'opposition, après les élections de mars 1993, que le PC a un peu enrayé son déclin électoral.
Et puis il y a eu la fameuse « mutation » engagée par Robert Hue depuis qu'il est devenu secrétaire du PCF. Cette « mutation », il a essayé de la définir lors du dernier Congrès du parti, en mars 1997. Elle consiste par exemple à ne plus parler de lutte de classe, mais d' « intervention citoyenne ». Il s'agit aussi de ne plus parler de « l'abolition du capitalisme », mais de son « dépassement » car, dit Robert Hue, « la vie a montré qu'il ne suffit pas de décider de l'abolition du capitalisme pour qu'elle soit effective ». Alors selon lui, il faut « réussir réellement la transformation du capitalisme et pas seulement la proclamer ». Robert Hue évidemment joue sur les mots.
Comme on sait, à la suite de la dissolution de l'Assemblée en avril 1997 par Chirac, un gouvernement dit de la « gauche plurielle » est venu au pouvoir, auquel l'appoint des voix des députés du PCF est nécessaire pour avoir une majorité.
Depuis l'installation de ce gouvernement, l'histoire s'est répétée encore une fois. Les quelques promesses faites par Jospin avant l'arrivée du PS au gouvernement ont été oubliées. Oubliées les promesses d'arrêter les privatisations, d'empêcher les fermetures d'entreprises comme Renault-Vilvorde, oubliées même les promesses qui ne coûtaient rien au patronat, comme de régulariser les sans-papiers. Le PCF a cautionné cette politique par sa présence au gouvernement, sans même pouvoir donner l'impression que cette présence lui permettait d'infléchir les décisions dans un sens un tant soit peu favorable aux travailleurs. Cela s'est traduit encore une fois par une désillusion pour de nombreux militants. Et puis cela s'est traduit par le résultat décevant du PC aux élections européennes de juin dernier, avec ses 6,78 %.
La conséquence, c'est aussi que bien des militants, bien des travailleurs, prennent conscience de la contradiction entre leurs aspirations et la politique menée par les dirigeants de leur parti. Le plus souvent, cela débouche sur une désorientation, une démoralisation. Beaucoup concluent que les idées auxquelles ils avaient cru sont dépassées, qu'en somme il n'est pas possible de renverser le capitalisme et de le remplacer par une autre société, plus juste et plus fraternelle. Beaucoup concluent même qu'il est inutile de tenter de changer le sort des travailleurs dans cette société, et abandonnent tout simplement la lutte.
Mais c'est bien là ce qui est contradictoire dans la politique des dirigeants du PC : c'est qu'à mener cette politique ils risquent de finir par perdre cette influence dans la classe ouvrière qui fait jusqu'à présent leur force. Et s'ils perdent celle-ci, il pourrait alors n'y avoir plus aucune utilité, pour la bourgeoisie ou les sociaux-démocrates, à les associer au gouvernement.
La manifestation du 16 octobre 1999
Le PCF tente donc de faire ce que les journalistes appellent « le grand écart » : tout en restant au gouvernement, il veut en même temps tenter de maintenir son image de parti de lutte, de parti combatif, afin de garder sa base militante. On vient de le voir tout récemment avec la manifestation qu'il a organisée le 16 octobre.
Cette manifestation, et sa réussite, sont bien significatives de ce que le PCF continue de représenter aujourd'hui. C'est bien cela que le PCF a gardé de toute son histoire et qui représente une différence de nature entre son influence et celle d'autres partis, comme les Verts, même lorsque ces partis recueillent plus de voix que lui aux élections. Sa présence dans la société n'est pas seulement institutionnelle, à travers des élus, des maires ou des conseillers municipaux, même si cet aspect existe comme pour les autres. Il a aussi partout des militants, présents dans les entreprises, dans les syndicats, dans les quartiers, dans des associations de toute sorte et qui le plus souvent ont une influence, organisent d'autres personnes autour d'eux, cherchent à agir sur le plan local même si c'est souvent à un niveau élémentaire.
Tous ces militants, tout ce milieu très lié au PCF et très proche des couches populaires, peut réagir avec ses pieds lorsque la politique du parti ne lui convient pas. Lorsqu'ils ne comprennent plus, par exemple, pourquoi leurs dirigeants s'obstinent à participer à un gouvernement dont la politique est si clairement dirigée contre les couches populaires, ils peuvent renâcler, ne plus venir aux réunions, ne pas reprendre leur carte du parti. Mais lorsque la politique du parti leur convient mieux, lorsqu'elle va dans leur sens, ils sont capables de se mobiliser, d'en convaincre et d'en entraîner d'autres. Bien sûr, la manifestation du 16 octobre n'a rassemblé qu'un milieu militant. Mais justement, c'était la démonstration, non seulement que celui-ci reste nombreux, mais qu'il peut réagir rapidement si on lui propose une initiative dans laquelle il se retrouve.
Ce milieu militant que le PCF continue de représenter se trouve bien plus à l'aise, bien plus sur son terrain si on lui demande de manifester dans la rue, qu'à attendre passivement que le gouvernement fasse quelque chose, alors qu'il ne fait rien ou qu'il mène une politique indéfendable. Car dans la rue, dans les manifestations, il a le sentiment de pouvoir peser, de représenter une force, d'avoir des moyens pour agir. Et cela montre que son esprit est resté bien plus celui de la lutte de classe que celui du soutien à un gouvernement social-démocrate, et tant mieux.
De ce point de vue, l'appel du PCF à la manifestation du 16 octobre est un pas sur sa gauche. Même s'il est petit et mesuré et même s'il reste à savoir quel lendemain il aura, il peut contribuer à redonner confiance à bien des militants du PC, à bien des militants syndicaux, à bien des militants ouvriers en leur indiquant que la voie à suivre est celle-là : celle de la mobilisation, dans la rue, dans les entreprises, sur un terrain de classe.
C'est pourquoi en ce qui nous concerne, nous avons accepté l'invitation du PC de participer à cette manifestation. C'est pourquoi nous avons cherché dans toute la mesure de nos moyens à contribuer à sa réussite, même si évidemment l'extrême-gauche était minoritaire. Mais nous devions montrer, à tous les militants du PCF présents ou non, que nous étions à leurs cotés lorsque leur parti fait un pas sur sa gauche, sur un terrain qui est celui de la mobilisation sociale et non du soutien au gouvernement. Et nous continuerons à le faire pour les manifestations prévues par la suite.
Bien sûr, nous n'avons pas d'illusion sur la politique de Robert Hue et des dirigeants du PCF. Pour eux, la direction générale reste tracée : celle de la « mutation » chère à Robert Hue, c'est la recherche d'une intégration du PCF au jeu politique, de sa « normalisation » en quelque sorte. C'est la direction empruntée par tous les Partis communistes dont nous avons parlé, avec ses conséquences désastreuses du point de vue de leur influence, du point de vue de leurs militants et de leurs perspectives. Mais une fois de plus le chemin de cette intégration se révèle plus difficile et semé d'obstacles que les dirigeants du PCF ne l'avaient prévu ; d'où ce pas, ce petit pas vers la gauche.
Ce pas sera-t-il suivi d'autres et jusqu'où cela le conduira-t-il ? Dans d'autres circonstances, on a vu le PCF aller jusqu'à sortir du gouvernement pour tenter de ménager sa base. Evidemment, ce choix éventuel de sortir du gouvernement, en soi, ne représenterait pas un changement fondamental de politique. Il ne suffirait pas à ouvrir de véritables perspectives politiques à la classe ouvrière. Il ne résoudrait sans doute même pas, dans l'immédiat, les difficultés du PCF, qui serait sans doute plus que jamais divisé entre les partisans d'une intégration plus complète à la société bourgeoise, et les partisans d'une démarche plus prudente.
Quel avenir pour les partis communistes ?
Mais c'est bien au-delà de ces questions immédiates, liées à la situation politique d'aujourd'hui en France, que la question de l'évolution du courant représenté dans la classe ouvrière par les Partis communistes est pour nous, révolutionnaires, une question fondamentale.
Depuis des décennies, depuis qu'ils ont cessé d'être des partis révolutionnaires, l'évolution politique des PC, ou du moins de ceux qui ont une influence significative, est de s'intégrer au jeu politique bourgeois, de devenir des partis de gouvernement, identiques aux partis sociaux-démocrates. Cette évolution reproduit d'ailleurs celle qui s'est produite à une autre époque pour ces partis sociaux-démocrates, qui eux-mêmes sont nés de partis révolutionnaires ou de tentatives pour en créer, et sont devenus par la suite des défenseurs acharnés de l'ordre bourgeois.
Mais justement cette évolution des PC s'est produite à une autre époque, à une époque de guerres et de crises dans laquelle la bourgeoisie était de moins en moins prête à donner, en contrepartie de l'intégration de ces partis à son jeu politique, quelques avantages économiques à la classe ouvrière. Et puis cette évolution s'est produite aussi à un moment où, dans la plupart des pays, la place était déjà prise justement par des partis sociaux-démocrates. Et même lorsque ces partis sociaux-démocrates semblaient devenus quasi-inexistants, on a vu qu'ils pouvaient resurgir très rapidement et reprendre une grande place, qui réduisait d'autant l'espace et les perspectives politiques restant pour les Partis communistes.
Tout cela a rendu l'intégration des partis communistes au jeu politique bourgeois bien plus longue, bien plus problématique, que celle des partis sociaux-démocrates dans le passé, même si de ce point de vue l'Italie représente un cas particulier. La contradiction entre la politique réformiste de la direction des Partis communistes et les aspirations de leur base ouvrière s'est manifestée souvent de façon aiguë ; au point de les amener à des retours en arrière temporaires ; ou alors au point que la poursuite de cette politique les a amenés, dans certains cas, à perdre presque complètement cette base ouvrière elle-même.
Le panorama des Partis communistes européens nous montre un éventail des possibilités dans l'évolution des Partis communistes, et où peut mener ce que Robert Hue nomme leur « mutation » :
Dans certains cas, comme ceux de certains pays d'Europe du Nord, les Partis communistes ont trouvé une place comme forces d'appoint à la social-démocratie, à qui ils fournissent un certain apport, en voix et en députés, pour lui permettre de gouverner.
Si l'on cherche la variante extrême de l'évolution, on a l'exemple italien. L'ex PC, ou plutôt une partie de celui-ci, les DS, est devenu non seulement un parti de gouvernement à part entière, mais l'axe du gouvernement, celui qui a pris la place du Parti socialiste. C'est un exemple, le seul en Europe jusqu'à présent, où dans la concurrence avec la social-démocratie un Parti communiste a gagné la partie... en prenant la place de cette social-démocratie sur tous les plans, y compris la place de premier ministre.
De ce point de vue, c'est une réussite pour l'équipe dirigeante qui a conduit cette « mutation ». Reste à savoir si elle est enviable. Elle ne l'est pas de notre point de vue, c'est une évidence. Mais elle ne l'est pas non plus du point de vue des militants communistes eux-mêmes. Pour ceux qui, pendant des décennies, ont donné vie au Parti communiste italien, qui ont contribué à le construire, qui ont mis en lui tous leurs espoirs, tout cela pour voir un D'Alema s'installer au poste de premier ministre et mener une politique violemment anti-ouvrière, c'est un triste résultat qui malheureusement ne discrédite pas seulement D'Alema : il atteint aussi la crédibilité de la perspective communiste dont D'Alema et ses semblables se sont réclamés pendant longtemps et qu'ils sont les premiers aujourd'hui à calomnier et à salir.
Et puis, toujours dans ces variantes de l'évolution des Partis communistes, il y a des situations plus contradictoires, comme celle du PCF, mais aussi de Rifondazione comunista en Italie, ou des Partis communistes espagnol, portugais, grec. La seule perspective que leur laisse la situation politique de leur pays est, là aussi, d'être une force d'appoint à la social-démocratie, dépendant d'elle et de son bon vouloir, politiquement de moins en moins crédible, perdant peu à peu ses traditions, sa base militante, son influence électorale... et peut-être du même coup son intérêt pour la social-démocratie.
Ces partis tentent, pour garder leur base, de conserver un langage parfois radical. Ils peuvent faire le choix de rester dans l'opposition pour attendre des jours meilleurs. En effet, dans l'avenir, d'autres situations peuvent se présenter où ils auraient un plus grand rôle politique à jouer. Il y a toujours l'éventualité d'une crise sociale profonde, dans laquelle la bourgeoisie pourrait estimer nécessaire de recourir aux Partis communistes, de se servir de la disponibilité de leurs dirigeants en les associant au pouvoir pour faire passer auprès de leur base une politique anti-ouvrière. Et puis, au cas par exemple où la social-démocratie finirait par se déconsidérer presque complètement auprès des couches populaires, on ne peut exclure de voir l'influence électorale des Partis communistes remonter, voire un jour fournir une relève à une social-démocratie usée jusqu'à la corde.
Mais cela, c'est la question de l'avenir des équipes dirigeantes des Partis communistes et de leurs appareils qui cherchent à jouer leur rôle dans le cadre de la société capitaliste et du jeu politique bourgeois.
Ce qui nous préoccupe nous, en tant que révolutionnaires, c'est l'avenir de leurs militants, du courant original qu'ils ont représenté et continuent en partie de représenter dans la classe ouvrière.
La participation gouvernementale du PC démoralise ses militants, en les détournant de l'action de classe. Mais ce que nous souhaitons, c'est qu'un grand nombre des militants actuels du et des Partis communistes se retrouvent au sein de Partis communistes révolutionnaires si ceux-ci émergent de combats, d'évènements que nous pouvons envisager même si nous ne pouvons pas les prévoir.
Car nous, qui militons pour construire un parti, une internationale révolutionnaires, nous défendons ce programme, cette perspective qui est celle du communisme. La défense de ces idées, des idées communistes révolutionnaires, nous restons convaincus que c'est la seule perspective qui puisse permettre à l'humanité d'en finir avec les crises, les guerres, le chaos économique et social dans lequel la société capitaliste l'enfonce chaque jour un peu plus.
Oui camarades, l'avenir de l'humanité reste, c'est notre conviction, la perspective de la révolution prolétarienne mondiale pour bâtir une autre société.