Où en est la cause des femmes ?
Au sommaire de cet exposé
Sommaire
- Les religions monothéistes contre les femmes
- Il n'y a pas de justification « culturelle » à la barbarie
- Le « voile islamique », un symbole d'oppression
- Intégrismes religieux et réaction sociale
- Dans les démocraties occidentales aussi
- La sujétion sociale des femmes, produit de la division de la société en classes
- Du « pater familias » romain au chef de famille du Code Napoléon
- Dans le droit romain : la femme mariée, propriété du père de famille
- Pour la religion chrétienne, la femme n'est qu'un appendice de l'homme
- Du temps des guerriers et des féodaux...
- ... à la montée de la classe des bourgeois
- L'époque des « Lumières » et les femmes
- La Révolution française et les femmes
- La question de l'égalité des droits des femmes est posée
- La réaction napoléonienne, le triomphe du mariage bourgeois et de sa double morale
- Le capitalisme contre la famille bourgeoise
- La lutte pour l'égalité des femmes dans la société, partie intégrante du programme socialiste
- Le mouvement féministe et ses luttes
- Derrière l'égalité juridique formelle, les inégalités sociales entre les hommes et les femmes se perpétuent
- Un combat que nous menons au nom du socialisme
- La lutte pour l'émancipation des femmes est indissociable de la lutte pour le renversement des sociétés de classes
L'actualité de ces dernières semaines a fait connaître le nom de Sarah Balabagan, cette jeune Philippine expatriée comme domestique dans une famille des Emirats arabes unis. Violée par son patron, elle s'était défendue et l'avait poignardé, ce qui lui avait valu d'être condamnée à mort, pour « meurtre prémédité », à la demande du chef de l'État lui-même !
L'émotion soulevée par cette affaire à l'échelle internationale a fini par le faire reculer sur la condamnation à mort. Sarah n'a pas été exécutée, mais elle n'a pas obtenu justice pour autant. L'émir n'a pas voulu perdre la face, ni l'appui de tous ces hommes, ces potentats grands ou petits, qui sont l'armature de son régime comme des autres pays de la région. Il n'a pas voulu laisser créer un précédent qui aurait entamé leur toute-puissance sur leur domesticité, et sur les femmes en général. Et Sarah a été condamnée à la prison et à cent coups de canne.
La condamnation à mort de Sarah avait été annoncée le jour même - le 15 septembre dernier - où la Conférence mondiale de l'ONU sur les femmes se clôturait à Pékin, sur une résolution officiellement unanime s'engageant à i0strike0caps0 « prévenir et éliminer toutes les formes de violence à l'égard des femmes et des filles ».
Voilà un résumé symbolique de la condition des femmes dans le monde actuel.
D'un côté, des avocates, intellectuelles, femmes politiques, etc., réunies sous le patronage de l'ONU, c'est-à-dire des gouvernements ; des forums de discussions et des discours ; mais sans aucun pouvoir d'application réelle des droits et principes proclamés - une grand messe de la bonne conscience officielle.
De l'autre, la réalité concrète du sort fait à des millions de femmes à travers le monde.
Car, d'abord, elles sont des millions, les femmes asiatiques, Philippines, Indonésiennes, Sri Lankaises, dont la misère est telle qu'elles sont traitées comme du bétail : exportées dans les bordels du Japon, notamment. En Thaïlande, où l'industrie du sexe s'est particulièrement développée, des « agents » « réservent » des petites filles de 4 ou 5 ans, et quelquefois aussi des jeunes garçons, dans des villages misérables pour les acheter et les amener par la suite, à 10 ou 11 ans, dans les villes ou les régions -touristiques...
Ou bien, elles sont embauchées dans les demeures des riches de Singapour ou du Proche Orient comme « employées de maison » dit-on. Elles sont souvent très jeunes : on falsifie leur âge sur les papiers. Et le trafic est quasiment officiel - par exemple à Singapour, les jeunes Philippines sont débarquées des charters spéciaux dans une zone réservée de l'aéroport sous haute surveillance policière afin d'être immédiatement remises comme des colis aux employeurs destinataires.
Dans les pays du Golfe, où les Philippines et les Sri Lankaises forment la majorité des employées de maison, elles tombent tout de suite à la merci de ces employeurs, qui souvent les séquestrent à leur domicile, pour exploiter leur travail bien sûr, mais aussi pour abuser d'elles selon leur bon plaisir. Dépouillées de leur passeport, elles ne peuvent même pas s'enfuir. D'autant que les journaux publient les photos des employées en fuite, mettant en garde toute personne qui voudrait les faire travailler.
Mais le sort des employées de maison, qui sont très souvent des immigrées, n'est pas toujours rose non plus dans les pays occidentaux.
A propos de l'affaire Sarah, une partie de la presse a évoqué le sort de Véronique Akobé, une jeune Ivoirienne, incarcérée depuis 1990. Elle a été condamnée à vingt ans de prison pour avoir tué le fils du riche industriel qui l'employait comme bonne, qu'elle accusait de l'avoir plusieurs fois violée. Fait significatif, le procureur lui avait reconnu des circonstances atténuantes, dont le président du tribunal et le jury n'ont tenu aucun compte.
Et puis, il n'y a pas que le domaine des faits divers.
Le simple fait que l'on nous présente comme un événement remarquable, en cette fin du XXieistrike0caps0 siècle, une conférence de l'ONU, parce qu'elle a affirmé le principe d'égalité d'une moitié de l'humanité avec l'autre moitié montre que la société humaine n'en a pas fini avec sa préhistoire !
Et ce n'est pas seulement des pays sous-développés qu'il s'agit.
Dans les pays industrialisés, qui se flattent d'être « démocratiques », la cause des femmes n'est pas qu'un sujet historique. On sait par exemple qu'elles n'occupent qu'une place dérisoire dans la vie politique, et ce n'est certainement pas la toute récente décision d'Alain Juppé de se séparer de la plupart de ses ministres et sous-ministres femmes qui prouvera le contraire.
Plus grave, les droits conquis par les femmes au cours des dernières décennies sont sans cesse menacés d'être remis en cause.
Lorsqu'on pense aujourd'hui à l'oppression des femmes, on pense souvent en premier lieu aux pays où la religion musulmane est prédominante. A la conférence de l'ONU, à Pékin, un fait a été relevé largement : plus d'une quarantaine d'États sur les 181 représentés ont émis des réserves officielles à la reconnaissance pour la première fois du droit des femmes à décider de leur sexualité - parmi lesquels une série de pays musulmans, l'Iran en tête. Si bien qu'un compromis a dû être élaboré pour la déclaration finale : les « droits sexuels » ont disparu des « libertés fondamentales » reconnues aux femmes.
Mais il est peut-être plus frappant encore que ces pays aient trouvé l'alliance du Vatican. Et, parmi la quarantaine d'États ayant émis des réserves, on trouve une autre série de pays, d'Amérique latine, rangés sous la bannière du Vatican, chatouilleux avant tout, quant à eux, sur la question de la liberté des femmes face à l'avortement.
Et nous n'oublions pas qu'en Irlande et en Pologne, où le poids de l'Eglise catholique est officiel et étouffant, l'information sur la contraception est prohibée, et l'avortement réprimé - même l'organisation de voyages pour aller faire pratiquer une interruption volontaire de grossesse à l'étranger.
Bref, il y a une Sainte Alliance du Vatican et des États islamistes les plus réactionnaires, contre la liberté des femmes.
L'inévitable Jack Lang, s'est dit « préoccupé » par cette « alliance contre-nature mais incontestable » du Vatican avec les « États terroristes de « barbus » qui menacent l'ordre public mondial ». « Contre-nature », de la part de l'Eglise catholique, vraiment ? N'est-il pas au contraire dans la nature des institutions religieuses de constituer des repaires de la réaction, de l'arriération, de l'obscurantisme - dans toutes les religions - et, partant, de contribuer à perpétuer l'oppression des femmes ?
On peut remarquer, d'ailleurs, que si les vieilles religions polythéistes révéraient de multiples dieux, qui étaient aussi des déesses jouant un rôle aussi important, voire plus, que celui des dieux masculins, les religions monothéistes, apparues plus tardivement dans des sociétés où la division en classes était déjà ancienne, ont toutes fait de leur dieu unique un « mâle ».]]
Les religions monothéistes contre les femmes
La religion juive, la religion chrétienne, la religion musulmane, pour concurrentes qu'elles soient, se sont toujours montrées d'un parfait accord sur un point essentiel : celui de considérer la femme comme un être inférieur par essence - parce que c'est comme cela qu'elle était considérée dans les sociétés où ces religions sont nées.
Dans la péninsule arabique où a vécu Mahomet, par exemple, les nomades bédouins enterraient souvent les bébés filles vivants, et considéraient les femmes ni plus ni moins que comme une partie de leur cheptel.
Les préceptes de l'islam ont peut-être même, comme certains aiment à le souligner, représenté un certain « progrès » en leur temps : parce qu'ils limitaient le nombre des femmes à quatre au maximum pour chaque homme, et visaient à atténuer les abus des Bédouins qui pouvaient répudier les femmes sans aucune limitation. Mais la tradition musulmane était néanmoins le produit de cette société. Et c'est ce produit qui, même s'il a donné lieu à des interprétations variées au fil du temps, et variables aussi en fonction des territoires immenses où l'islam s'est répandu, reste aujourd'hui encore la base de l'enseignement religieux musulman.
L'Eglise catholique, en Occident, a connu une histoire différente. Au Moyen Age, elle est devenue, avec son clergé, une puissance féodale, avec un pouvoir temporel, c'est-à-dire des richesses considérables. Puis elle a été associée à la formation des États modernes issus de la féodalité en Europe occidentale, et, bénissant les conquêtes et les pillages effectués par ces États en Amérique, en Afrique et en Asie, elle y a conquis une place importante. L'Eglise catholique, puis les églises protestantes, nées à l'époque de l'ascension de la bourgeoisie aux XVIe et XVIIe siècles, ont été intimement liées à la montée du capitalisme.
Autant dire qu'elles ont dû s'adapter au cours des siècles beaucoup plus que la religion islamique des pays de l'empire ottoman, économiquement et socialement plus immobiles, puis dominés par le capitalisme occidental. Et surtout peut-être, l'Eglise a survécu à la Révolution française pour se couler dans la société bourgeoise du XIXe siècle et à l'époque de l'impérialisme ! Pour cela, elle a dû par force mettre bien de l'eau dans son vin de messe...
Pourtant, le pape et son Eglise militent en permanence contre toute modernisation sociale, toute libération réelle de l'être humain : avec souplesse quelquefois, en faisant le gros dos lorsque les circonstances l'imposent, voire en se donnant des apparences de rénovation comme sous Jean XXIII au début des années soixante. Ou bien au contraire en donnant libre cours à sa nature réactionnaire quand l'air du temps s'y prête, comme aujourd'hui, avec un Jean-Paul II qui entend combattre l'esprit des « Lumières » de l'époque de la Révolution française et revenir à l'Eglise triomphante du Moyen Age.
Et si, aujourd'hui, le sort des femmes dans les sociétés riches d'Occident est sans comparaison meilleur pour la grande majorité qu'en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud ou au Moyen-Orient, ce n'est certes pas parce que le christianisme ou le judaïsme seraient par essence moins réactionnaires sur le sujet que l'islam.
En matière de relations sexuelles, le pape est à peine moins obsessionnel que l'ayatollah Khomeiny, ou que les prescriptions des sectes juives religieuses intégristes. La prière quotidienne du croyant juif comporte trois remerciements à Dieu : « Béni sois-tu de ne pas m'avoir fait naître non-juif ; Béni sois-tu de ne pas m'avoir fait naître esclave » ; et... « Béni sois-tu de ne pas m'avoir fait naître femme » .
On le voit, le pape et ses curés, les popes, les rabbins et les imams, n'ont pas de peine à se trouver des objectifs communs bien rétrogrades, comme ils le font d'ailleurs de plus en plus ouvertement, notamment dans les Conférences internationales de l'ONU, sur des sujets comme la démographie l'année dernière, ou la condition des femmes cette année.
Il n'y a pas de justification « culturelle » à la barbarie
Pour se justifier, les États les plus hostiles aux femmes invoquent -aujourd'hui couramment leurs « particularismes culturels », niant que les droits humains soient universels, un qualificatif qu'ils n'aiment pas. Ils revendiquent, souvent agressivement, le respect de leur « différence », de leur « spécificité ».
C'est une tentative de justification de leur attitude vis à vis des femmes qui est évidemment un peu plus subtile que celle des intégristes religieux purs et durs de tout poil.
Mais où est la « culture » dans l'enfermement des femmes, dans les pratiques de mutilations sexuelles des petites filles, telles qu'elles existent en Afrique noire ou en Egypte ? C'est de barbarie qu'il s'agit, même si elle s'appuie sur une tradition !
S'il y a des « spécificités » liées à la tradition coranique (nous ne nous engagerons pas dans une discussion théologique), comme par exemple le fait de cloîtrer les femmes et de leur imposer de s'emballer dans un voile pour sortir, qu'ont-elles de toute façon qui mérite d'être « respecté », même si on les orne de l'adjectif « culturelles » ? Rien de plus que la perruque que les femmes juives pratiquantes sont censées porter pour cacher leurs cheveux, ou le voile des soeurs catholiques...
Le principe du voile, s'il n'a pas été proclamé par Mahomet, s'est imposé en tant que procédé de coercition contre les femmes dans le cours de l'histoire de l'ensemble arabo-islamique. Et c'est cette coercition que veulent maintenir ceux qui le défendent au nom de la religion.
Le « voile islamique », un symbole d'oppression
En cette rentrée scolaire, on n'a pas beaucoup entendu parler de la question soulevée par le port du voile islamique dans les écoles publiques. Le ministre de l'Education nationale, Bayrou, considère que sa circulaire de septembre 1994 a largement réglé le problème : selon lui, les voiles islamiques sont en voie de disparition dans les écoles, il en resterait peut-être une dizaine « contre 2 400 il y un an ».
Ce n'est guère plausible, mais, de toute façon, sur la centaine d'exclusions de l'école prononcées pendant l'année scolaire 1994-95 pour ce motif, quelque quarante collégiennes ou lycéennes ont été réintégrées à la suite de recours devant les tribunaux administratifs. A Nancy, un jugement du 12 septembre dernier a même condamné l'État à verser 52 000 F aux parents d'une élève dans ce cas.
Quels que soient les motifs des tribunaux en question pour désavouer les établissements scolaires publics, ils ne vont sûrement pas contribuer à enrayer le prosélytisme des militants du voile.
Le fait qu'une fille soit voilée n'est ni innocent ni anodin. Ce n'est pas une affaire de coquetterie, ni de « pudeur » subite. C'est une violence qu'on lui fait subir, même si cette violence s'enrobe de leçons de morale dans la famille.
Depuis que cette question a été soulevée, à la rentrée scolaire 1989, une bonne partie de la gauche française, et même de l'extrême gauche, y compris dans les rangs des militantes féministes d'hier (avec quelques exceptions tout de même), a trouvé bon de considérer qu'il fallait faire preuve de « tolérance » envers le voile : ce serait un signe religieux, sans plus, analogue à la croix chrétienne ou à la calotte juive, qui sont tolérées dans les écoles publiques. Ce n'est évidemment pas vrai. Le voile est bien plus que les croix ou les amulettes en tous genres. Il ne relève pas seulement des toiles d'araignée qui continuent à encombrer bien trop de cervelles, il relève d'un combat réactionnaire contre la liberté des femmes. Et c'est bien pour cela que les militants islamistes en ont fait un enjeu.
Il faut souligner que dans nombre d'écoles, les témoignages rapportent que le défi du voile s'accompagne d'une série d'autres défis.
Dans un ouvrage qui vient de paraître à propos du voile à l'école, un professeur donne une série d'exemples de ces filles voilées qui refusent les cours de lettres sur Diderot (l'impie !), de sciences naturelles sur les organes de la reproduction, ou encore de dessin parce que leur religion leur interdirait de représenter le visage et le corps humain.
Elles vivent à part et ne participent pas à la vie des autres jeunes, évitant bien sûr tout particulièrement les garçons.
On peut penser qu'il y a parmi elles quelques militantes islamistes convaincues, pour qui l'auto-exclusion d'une partie de la vie scolaire est un choix personnel. Peut-être. Mais il y en a certainement bien davantage qui cèdent à un chantage affectif de leur famille, ou qui croient de bonne tactique d'avoir l'air de céder à la pression dans l'espoir de gagner du temps. Et qui dira combien cèdent tout simplement à la peur de la répression exercée par leurs pères, leurs frères et les copains de ceux-ci, gagnés, eux, aux -islamistes ?
L'auteur indiqué plus haut souligne l'augmentation de l'influence des « barbus » parmi les garçons, et le sexisme manifeste et grossier de ces garçons, et de leurs pères parfois, vis-à-vis des professeurs femmes.
Invoquer la « tolérance » sur ce terrain est un non-sens. L'époque où les enseignants de l'enseignement public ont eu à lutter contre les familles qui rechignaient à envoyer leurs filles à l'école n'est après tout pas si lointaine. Et que de « traditions » néfastes n'ont-ils pas eu à combattre !
Quelle solidarité, en tout cas, que cette « tolérance », avec les lycéennes qui tentent de résister comme elles peuvent à leurs pères, frères ou cousins, quitte comme c'est souvent le cas à affronter leur violence ! Quelle solidarité avec les femmes qui ont lutté et qui luttent, toutes ces Taslima Nasreen inconnues, et plus près de nous avec ces femmes d'Algérie qui risquent leur vie tous les jours tout simplement parce qu'elles refusent le voile ! Non, la question du voile n'est pas une question de coutume ou de tradition. C'est un enjeu politique actuel.
Intégrismes religieux et réaction sociale
Et si nous parlons tant de ce « hidjab », ce n'est pas spécialement pour dénoncer la religion musulmane, car pour nous les religions sont aussi nocives les unes que les autres ; c'est parce que ce qui se passe en Algérie nous touche de près, parce que le sort des femmes et des hommes de ce pays nous tient à coeur particulièrement, ne serait-ce qu'en raison de la responsabilité particulière de l'État français dans son histoire.
La menace mortelle que peut représenter l'arrivée au pouvoir des partis qui se placent sous le drapeau de la réaction religieuse, l'exemple de l'Iran l'a bien montré, il y a quinze ans.
Dès la prise du pouvoir par Khomeiny, porté par un mouvement de masse qui venait de renverser un très vieil empire, obligation fut faite aux femmes de ne paraître en public que revêtues du « tchador ». Les femmes de la petite bourgeoisie des villes d'Iran, qui étaient pourtant alors fières de leur modernité mais qui s'étaient volontairement affublées ainsi, à l'appel de Khomeiny, lors des manifestations de masse contre le Chah, furent cruellement victimes de leur aveuglement.
Dès la prise du pouvoir par les religieux khomeynistes, des dizaines de prostituées furent brûlées vives. On a exécuté ou lapidé des centaines de femmes pour adultère. Les « milices des moeurs » que le régime a mises en place traquent les visages féminins qui porteraient du maquillage, elles emploient alors l'eau de javel, le rasoir ou le vitriol. La Revue politique et parlementaire rapporte par exemple qu' « On a vu... des tchadors cloués sur les visages avec des punaises ».
En Algérie, la condition des femmes s'est dégradée dès le début des années 80, comme l'a montré le Code de la famille imposé par le gouvernement en 1984, qui fait de la femme mariée une mineure à vie, sous la tutelle de l'homme de la maison, qui autorise la polygamie et instaure l'inégalité de le femme face au divorce ou à l'héritage.
Toutes ces femmes qui résistent au risque de leur vie en Algérie savent quel degré de violence la misogynie religieuse peut atteindre. Mais il n'y a pas que la misogynie dans la volonté terroriste manifestée spécialement contre les femmes : il y a un objectif politique. Les islamistes veulent s'emparer du pouvoir et s'y installer. Dans une société en proie à une crise explosive, pour s'assurer des troupes dans la jeunesse populaire, s'assurer le contrôle des masses pauvres, ils cherchent à exploiter tout ce que le vieux fatras de la religion leur offre : dans cette stratégie, c'est le rôle du bouc-émissaire qui est assigné aux femmes dans leur ensemble. S'il y a du chômage, ce serait parce que des femmes, au lieu de se consacrer totalement à leur mari, prennent leur place au travail. S'il y a la corruption, ce serait parce qu'il n'y a plus de respect pour la morale coranique.
Et puis, promettre à des hommes déboussolés, désespérés, la soumission de leurs femmes, au besoin imposée par la terreur, c'est aussi sans doute offrir, au moins à une partie d'entre eux, un exutoire à leurs frustrations et à leur insatisfaction.
Au Bangladesh, Taslima Nasreen, médecin et écrivain menacée de mort par les dirigeants de son pays pour « outrage aux sentiments religieux des citoyens », a décrit avec force la manière dont le mépris des religieux pour les femmes a instillé dans toute la société une extraordinaire violence quotidienne des hommes à leur encontre. Et ce ne sont pas des survivances en voie de disparition qu'elle décrit : les choses empirent, sur ce plan.
Comme elles empirent en Arabie saoudite, où la police religieuse est omniprésente, traquant les moindres occasions de mixité sociale : les femmes qui travaillent sont dans des salles séparées ; quand les étudiantes doivent entendre le cours d'un professeur homme, cela passe par un circuit intérieur de télévision ; dans les autobus les femmes doivent se placer sur la plate-forme arrière... Elles sont encore plus reléguées qu'en Iran, quasiment invisibles socialement.
Dans les démocraties occidentales aussi
Encore une fois, la poussée de la réaction islamiste n'est pas un phénomène isolé, « spécifique ». Même si elles prennent des formes diverses, les attaques contre les libertés conquises par les femmes ont tendance à se multiplier, à apparaître plus ouvertement en tout cas, y compris dans les riches démocraties occidentales.
Illustration vient d'en être fournie de façon assez spectaculaire lors de la manifestation des Noirs américains à Washington, avec l'appel du leader réactionnaire Farrakhan à en écarter les femmes, invitées à rester à la maison ce jour-là, pour prier et s'occuper des enfants...
Farrakhan est musulman. Mais, aux États-Unis, cela fait maintenant plusieurs années que des commandos terroristes, pas exclusivement religieux d'ailleurs, s'attaquent à la liberté des femmes de disposer de leur corps, de recourir au besoin à l'avortement. En France aussi, périodiquement, des actions de ce genre ont lieu, comme encore tout récemment à l'hôpital de Valenciennes. On sait que, malgré la loi, ce type d'attentats n'est pratiquement pas sanctionné. On sait aussi que parmi le personnel politique, sans même parler de Le Pen et de De Villiers, le nombre de ceux (voire de celles) qui aimeraient bien revenir en arrière, et le proclament, sur les droits conquis en matière d'avortement et de contraception n'est pas du tout insignifiant.
Pour les jeunes qui ont aujourd'hui vingt ans, le droit à la contraception, à l'interruption volontaire de grossesse peut paraître acquis, bien qu'il ne date que d'une vingtaine d'années. Mais aucun progrès réel ne sera jamais définitivement acquis tant que la société demeurera fondée sur la division en classes.
La sujétion sociale des femmes, produit de la division de la société en classes
Car c'est bien dans la division de la société en classes, et non pas dans des différences biologiques, que réside la cause qui fait que depuis des millénaires, à un degré ou un autre, les femmes ont été réduites à une position secondaire.
Les relations entre les hommes et les femmes, les structures familiales, ne sont pas restées immuables de toute éternité. Elles ont une histoire, et elles ont donc aussi un avenir et, puisque nous ne parlons pas de la société des abeilles mais de celle des êtres humains, un avenir qui peut être construit consciemment et volontairement.
Projeter sur les sociétés préhistoriques l'image de la famille moderne, de ses relations hommes-femmes, parents-enfants, comme si au cours des deux ou trois millions d'années d'existence de l'espèce humaine tout avait changé hormis cela, relève de la négation de l'histoire, même si c'est malheureusement le cas de bon nombre d'historiens universitaires.
C'est seulement au XIXe siècle, et grâce au mouvement ouvrier, notamment à des hommes comme Engels, et après lui au dirigeant socialiste allemand Auguste Bebel, qu'a vraiment été affirmé ce caractère historique des relations familiales, et que la structure de la famille bourgeoise et l'oppression globale des femmes ont été contestées.
Du « pater familias » romain au chef de famille du Code Napoléon
Un siècle plus tard, beaucoup d'hommes politiques bourgeois en sont encore, eux, à des idées d'un autre âge. Par exemple, qui a déclaré : « L'homme tire sa dignité et sa sécurité de son emploi. La femme doit l'un et l'autre au mariage » ? Le ministre français de la Justice, Jean Foyer, en 1973. Ou encore : « Pour moi, la femme idéale, c'est la femme corrézienne, celle de l'ancien temps, dure à la peine, qui sert les hommes à table, ne s'assied jamais avec eux et ne parle pas » ? Jacques Chirac, bien sûr (en 1978). On ignore s'il songeait en l'occurrence à répudier sa femme... née Bernadette Chaudron de Courcelles...
Une anecdote, enfin. Lors d'une visite officielle de Pompidou, alors président, en 1969, Mme Pompidou ne put pénétrer dans la salle des délibérations de la mairie du lieu, car cette salle était interdite aux femmes. Le lieu était Ajaccio.
Mais il n'y a pas lieu de trop s'étonner de tout cela. Au niveau juridique, les femmes en France sont restées sous le joug du Code civil instauré par Napoléon Ier jusqu'à une époque bien récente. C'est seulement depuis 1965, par exemple, que le mari n'a plus la législation pour lui s'il veut s'opposer à ce que sa femme exerce une activité professionnelle ; et c'est seulement en 1970 qu'un des derniers grands vestiges du Code Napoléon a été aboli : l'autorité du père sur la famille a été remplacée juridiquement par l'autorité des deux parents.
Dans le droit romain : la femme mariée, propriété du père de famille
Ce Code Napoléon, qui régentait la société française depuis les lendemains de la Révolution, était lui-même pour l'essentiel une antiquité romaine... puisqu'il s'est énormément inspiré du droit romain. Ce droit avait été bâti sur plusieurs siècles, avant et après Jésus-Christ, dans une société fondée sur l'esclavage, où tout le pouvoir était concentré entre les mains des hommes ayant la citoyenneté romaine. Ce droit était fondé sur la division des sexes, impartissant à chacun un office légal, institutionnel, dans le cadre de la « famille ».
La famille romaine comprenait toutes les personnes descendant d'un même individu vivant et les esclaves dans leur dépendance. Tout ce monde était la propriété du père de famille au sens romain du terme, le « pater familias », qui détenait pouvoir de vie, de mort, de vente. Il pouvait condamner ses enfants à mort en cas de crime. Il pouvait aussi céder ses droits sur ses fils pour les mettre sous la puissance d'un autre « pater ».
Un homme devenait « pater familias », non pas quand il avait un enfant, mais à la mort du « pater » dont il dépendait jusque là. Il pouvait ne pas avoir d'enfant. Et, inversement, un père biologiquement parlant pouvait ne pas avoir ce noble statut de « pater familias »...
Et la femme, dans tout cela ? Pour elle, le mariage était la cérémonie par laquelle elle était détachée de sa famille d'origine pour entrer dans la famille de son mari. Elle tombait alors sous la tutelle de celui-ci, et n'avait ensuite aucun pouvoir de tutelle sur ses propres enfants. Elle était en fait exclue de tout pouvoir sur autrui, car la sphère à laquelle elle était réduite n'entrait pas dans le domaine du droit. Bref, elle n'était qu'une dépendance, et l'homme prenait femme, selon la formule officielle, « pour en obtenir des enfants ». Tout cela était minutieusement codifié dans le droit romain.
Mais, bien sûr, les femmes des classes inférieures, et à plus forte raison les esclaves, n'entraient pas dans ce cadre. Les hommes « honorables », les privilégiés, choisissaient parmi elles des concubines, et le concubinage était une institution légale parallèle - ce qui servit aussi, d'ailleurs, aux « mater familias » privilégiées, à l'époque impériale, pour se débarrasser de leurs maris dès lors qu'elles avaient satisfait à l'obligation exigée par la loi de faire trois enfants ayant vécu plus de trois jours.
Pour la religion chrétienne, la femme n'est qu'un appendice de l'homme
Quand l'empire romain s'est effondré, au IVe siècle, le triomphe du christianisme avait précédé de peu cette chute. Les communautés chrétiennes militantes et martyres des débuts étaient devenues une Eglise d'État, structurée et hiérarchisée, qui se révéla plus résistante que l'empire.
L'Eglise chrétienne, qui s'était bâtie dans la continuité de la religion des tribus juives du Moyen-Orient et du pourtour de la Méditerranée, et en épousant leur misogynie, disposait d'un sérieux atout.
Théoriquement, le christianisme portait dans sa doctrine une idée nouvelle d'égalité entre tous les humains, esclaves compris, femmes comprises, qui contribua d'ailleurs largement à son expansion. Mais il s'agissait, bien sûr, d'égalité devant Dieu seulement : autant dire qu'en ce bas monde, il ne prêchait pas plus l'égalité entre hommes et femmes qu'entre les exploités et leurs maîtres, et prêchait au contraire leur soumission à l'ordre établi et au pouvoir politique.
Comme certains le savent, d'après la religion chrétienne, quand Dieu créa l'homme, Adam, il jugea qu'il lui fallait une compagne, et créa donc Eve, la femme, en second lieu, à partir d'une côte d'Adam. Elle ne serait donc ni plus ni moins qu'un appendice de la créature masculine. Par-dessus le marché, elle se serait rendue coupable du terrible péché de vouloir goûter au fruit de l'arbre de la connaissance. Son péché originel retombe sur toute l'humanité, elle est la source du mal ! Ce qui n'est pas surprenant, selon un commentaire ecclésiastique parmi d'autres, puisque la côte est un os courbe : l'esprit de la femme ne peut donc être que torve et pervers... Pour Clément d'Alexandrie, « toutes les femmes devraient mourir de honte à la seule pensée d'être femmes » .
Le péché originel de curiosité de la malheureuse Eve, qui fit qu'Adam subit la tentation, a été vite associé à la tentation de la chair, à la sexualité, par les apôtres et autres Pères de l'Eglise : la femme était une fornicatrice dangereuse, selon saint Augustin. Pour le prédicateur Jean Chrysostome, « la beauté du corps ne réside que dans la peau. En effet, si les hommes voyaient ce qui est sous la peau, la vue des femmes leur donnerait la nausée » . Le même Jean Chrysostome était sans doute plus sincère lorsqu'il déclarait, dans le but de dissuader les jeunes veuves de se remarier : « Nous sommes ainsi faits, nous les hommes : (...) nous aimons surtout ce dont personne d'autre n'a pu disposer et profiter avant nous, et dont nous sommes les premiers et les seuls maîtres » .
Du temps des guerriers et des féodaux...
L'Eglise chrétienne sut offrir ses services en tant que gardienne de l'ordre social aux nouveaux royaumes barbares qui s'édifièrent sur les ruines de l'empire romain.
Dans la mentalité de cette époque, le pouvoir, même sur une vaste province, ne se concevait que comme un patrimoine domestique transmis d'une génération à la suivante à des personnes du même sang. Ce qui ne passait pas nécessairement par une forme de mariage comme celle que nous connaissons. On n'observait plus les lois romaines, et la délimitation entre mariage et concubinage était extrêmement floue. Les seigneurs répudiaient ou enlevaient les épouses, et les prêtres chrétiens eux-mêmes vivaient de la même façon la plupart du temps, avec femme ou concubine et enfants.
Cependant, à partir des Xe-XIe siècles, les temps changèrent en Europe. Avec l'accroissement de la population, le développement du commerce et la réapparition de villes, la richesse augmenta. Si bien que les puissants, c'est-à-dire les seigneurs et y compris parmi eux les seigneurs abbés ou évêques, se mirent à se préoccuper sérieusement de la manière de consolider leur contrôle sur cette richesse. Les détenteurs de patrimoine cherchèrent à établir des lignées familiales stables, en le protégeant contre le morcellement des domaines qui était de règle précédemment. Les aînés furent donc privilégiés, du moins bien vite les aînés de sexe masculin. Car, outre l'éviction des fils cadets, l'éviction des femmes de la propriété des domaines fut un grand moyen pour réduire quasiment de moitié le nombre des ayants-droits.
Les intérêts des seigneurs féodaux ecclésiastiques allait dans le sens général. Ils trouvèrent en plus l'inspiration divine dans leur fonds de commerce déjà ancien, et, le plus sûr moyen de ne pas voir dilapider ses richesses entre des héritiers étant de n'en point avoir (du moins officiellement), la hiérarchie de l'Eglise imposa à ses prêtres d'être célibataires. Moyennant quoi l'Eglise devint une institution temporelle d'une richesse et d'une puissance considérables, qui connut un apogée au XIIIe siècle.
Désormais, elle ambitionnait d'exercer son pouvoir sur les autres grands seigneurs, et sur la société tout entière, à travers, en particulier, le contrôle des mariages. Le mariage, disait-elle alors, a été institué directement par Dieu au Paradis terrestre. L'Eglise allait faire du mariage un de ses sacrements fondamentaux.
... à la montée de la classe des bourgeois
De la chute de l'empire romain jusqu'à la période qu'on a appelée celle de la Renaissance en Europe, il s'est écoulé quelque dix siècles, un millénaire au cours duquel bien des changements se sont produits. L'oppression des femmes n'a pas été tout le temps absolue et sans faille, loin de là. Mais, à la classe des bourgeois qui prenait son essor, la conception du mariage chrétien - pour les femmes, un seul époux, et à vie - convenait très bien.
Les historiens des relations entre hommes et femmes (qui sont surtout des historiennes, faut-il le préciser) soulignent ce fait que le bouleversement de l'époque de la Renaissance, c'est-à-dire l'époque du grand boom historique de la bourgeoisie émergeant de la société féodale, n'a pas eu que des aspects libérateurs, si on le voit du point de vue des femmes.
Cette époque, celle des grandes découvertes, des grands voyages, a certes représenté un énorme progrès global à l'échelle de l'histoire des sociétés, et donc de ce point de vue pour les femmes aussi. Du moins, pour celles-ci, elle en a ouvert la possibilité... Car, dans l'immédiat et pour longtemps, les filles ne se trouvèrent pas en position d'en profiter comme les garçons. Les changements dans tous les domaines invitaient ceux-ci, dans des couches élargies de la population, à bouger, à courir l'aventure, à découvrir, accumuler de l'expérience, tenter leur chance. Dans le domaine intellectuel aussi : les écoles, puis les universités qui s'étaient fondées dans les villes, interdites aux femmes, ouvraient de nouveaux espoirs de promotion sociale grâce au savoir.
La discrimination à l'encontre des filles était parfois d'autant plus évidente qu'il arriva à certains de ces éminents cerveaux d'instruire leurs propres filles (grosse innovation)... mais à la maison.]]
L'idéologie des humanistes était élitiste et masculine. Ces hommes, qui prétendaient affranchir les esprits de l'ignorance du passé, étaient en contradiction avec eux-mêmes.
Par ailleurs, dans les couches populaires, dès la fin du Moyen Age, une hostilité croissante se manifesta contre le travail féminin, en particulier dans les règlements des corporations. La transformation de l'économie eut pour conséquence l'extension de la sous-traitance à domicile : les tisserandes professionnelles des villes reculèrent au profit des fileuses à domicile dans les campagnes. Petit à petit, les femmes furent exclues d'une série de métiers qui leur étaient traditionnels, comme ceux de chirurgiens ou de barbiers...
Et, d'autre part, les nouvelles professions qui apparaissaient dans les administrations naissantes des grands États en voie de constitution exigeaient un minimum d'instruction et de formation : les femmes partaient perdantes.
Ainsi, des barrières économiques, politiques et de mentalités se dressèrent devant les femmes dans une société en pleine transformation. Par exemple, les veuves, qui avaient un statut d'indépendance assez remarquable pour la gestion de leurs biens et qui parfois s'étaient sérieusement enrichies, comme dans les grosses villes marchandes d'Italie, furent visées par une législation qui rétablit sur elles la tutelle des hommes : c'était significatif, il s'agissait de contrôler le capital.
L'Inquisition avait été édifiée, au XIIIei0strike0super0caps0 siècle, pour combattre les diverses hérésies religieuses, florissantes à l'époque, en particulier l'hérésie cathare. Il y avait beaucoup de femmes dans les rangs des « hérétiques », beaucoup de femmes mystiques ou visionnaires... et l'Eglise catholique n'aimait pas cela. Au XVIiei0strike0super0caps0 siècle, pour combattre la Réforme protestante, l'Inquisition fut réorganisée pour plus d'efficacité.]]
Des inquisiteurs établirent un lien direct entre l'hérésie dite de « sorcellerie », inspirée disaient-ils par Satan, et la femme - plus spécialement les vieilles femmes pauvres des campagnes. Ainsi, dans ce contexte de crise de la chrétienté, il y eut une montée de la violence anti-féminine. Le nombre des procès en sorcellerie connut son apogée aux XVIe et XVIIe siècles : neuf sorciers sur dix étaient des sorcières... tandis que le nombre des femmes vénérées comme saintes chuta nettement.
Cela dit, cet aspect des choses n'a pas été une spécialité catholique, une survivance du Moyen Age. La Réforme protestante, scission mieux adaptée aux temps nouveaux et aux aspirations de la classe bourgeoise en plein essor, inspira elle aussi ses chasses aux sorcières. Les Puritains anglais et leur excroissance dans les colonies fondées en Amérique du Nord ont eu leurs fameuses sorcières de Salem, en 1692-1693.
La condition des femmes connut une longue époque noire, en particulier pour la France sous le règne de Louis XIV, monarque « de droit divin ». Ce fut une époque d'une éclatante misogynie.
L'Eglise associée au pouvoir mena sa police des moeurs. Elle se heurta parfois à de dures contradictions : les femmes mouraient jeunes alors, et il y avait bon nombre de veufs, qui se remariaient. Ces remariages n'auraient-ils pas des conséquences à l'heure de... la résurrection ? L'homme marié plusieurs fois allait-il ressusciter polygame ? Voilà pourquoi les curés du midi de la France refusèrent pendant longtemps de donner leur bénédiction aux remariages des veufs.
En tout cas, dans ce contexte, François Poullain de la Barre fit preuve d'un peu ordinaire courage intellectuel. Cet homme, inspiré par la pensée de Descartes, publia en 1673, un traité De l'égalité des sexes. Partant de l'idée de l'unité de l'esprit humain, il raisonna que l'esprit n'a donc pas de sexe ; si les hommes prétendent que les femmes sont inférieures, dit-il, c'est par pur préjugé. C'était très en avance sur l'époque, et le nom de Poullain de la Barre, connu en son temps, n'est que fort discrètement passé à la postérité.
L'époque des « Lumières » et les femmes
A la veille de la Révolution française, un siècle plus tard, l'image de la société n'était pourtant plus la même. La morale dominante voulait toujours que les femmes fussent cloîtrées chez elles, sinon au couvent, mais elle était battue en brèche de plusieurs côtés.
Les femmes des classes populaires devaient bien se débrouiller pour subvenir à leurs besoins. Beaucoup travaillaient, ce qui les amenait à participer peu ou prou à la vie publique. Elles n'étaient pas pour autant indépendantes des pères et des maris, qui avaient le devoir de leur assurer un toit, ce qui permettait du même coup de les payer très peu.
Dès l'âge de 12 ans, les femmes ordinaires en Europe travaillaient pour aider leur famille et pour constituer la dot indispensable pour se marier plus tard. Elles se plaçaient avant tout comme servantes. Avec l'aisance accrue dans les milieux privilégiés des villes, la demande de personnel domestique augmenta, et comme, dans le beau monde, on exigeait des servantes qu'elles aient un minimum d'instruction et de tenue, l'instruction des filles fit des petits progrès. D'autant que la concurrence entre les Eglises catholique et protestante pour s'attacher les âmes avait quelques effets bénéfiques de ce point de vue. Dans les familles protestantes, par impératif religieux, on leur apprenait à lire au moins la Bible. Les curés catholiques créèrent donc des « petites écoles » de filles à eux, où on n'enseignait que ce qu'il fallait pour lire le catéchisme.
Quand elles étaient trop miséreuses et ignorantes, les filles qui affluaient des campagnes dans les villes se retrouvaient exclues, filles publiques que la police pourchassait, qui pouvaient être marquées à vie, emprisonnées par charrettes entières à la Salpêtrière.
En-dehors du personnel domestique, les femmes étaient employées dans le textile, où il y avait cinq fois plus de femmes que d'hommes, dans des conditions affreuses, avec des salaires de misère. D'ailleurs, dès qu'un nouveau secteur s'ouvrait, le fait de déclarer tel travail « réservé aux femmes » permettait aux patrons de payer des salaires plus bas.
Il y eut même des femmes journalistes, qui firent paraître un journal par et pour les femmes pendant quelque vingt ans.]]
Dans les fameux « salons », où hommes et femmes se côtoyaient, du moins en France, où se discutaient et s'élaboraient les idées nouvelles, les femmes occupaient une position respectée et estimée.
Le XVIIIe siècle en Europe, c'était bien un monde en mouvement ! Partout, en Angleterre, dans les pays allemands, en Italie, à Lyon, à Paris, il y eut des émeutes, des révoltes de toutes sortes. Et quand il y avait émeute, les femmes du peuple étaient au premier rang. Elles allaient jouer un rôle décisif dans les événements révolutionnaires de l'année 1789 en France. Les masses qui firent alors pour la première fois irruption sur la scène politique, et qui ensuite, à chaque crise, firent par leur intervention brutale le travail révolutionnaire pour le compte des bourgeois, ces masses furent largement des masses féminines.
La Révolution française et les femmes
L'attitude des dirigeants de la Révolution française vis-à-vis des femmes fut essentiellement contradictoire.
Certains parmi leurs précurseurs intellectuels avaient formé des projets de société, parmi lesquels la place dominante était occupée par les idées de Jean-Jacques Rousseau. Mais, le même Jean-Jacques Rousseau qui, pour s'élever contre les privilèges de la noblesse fondés sur les « liens du sang », s'attachait à prouver que l'inégalité n'avait pas existé de tout temps parmi les hommes, enseignait dans son traité d'éducation que « Toute l'éducation des femmes doit être relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et honorer d'eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des femmes dans tous les temps, et ce qu'on doit leur apprendre dès leur enfance ». La vraie femme doit « se tenir enfermée chez elle » , « guère moins recluse dans sa maison que la religieuse dans son cloître » . Pour le garçon élève modèle de Rousseau, l'infidélité éventuelle des femmes est un drame parce qu'elle ne permet plus aux maris de savoir si ses enfants sont bien de... son sang.
Un scientifique, le naturaliste Linné, pouvait écrire, en tête de son Histoire naturelle, « Je n'entreprendrai pas ici la description des organes féminins car ils sont abominables »...i0strike0caps0 ]]
En 1789, la révolution se présenta sous le drapeau de la Déclaration des droits de l'homme, avec des prétentions universelles. Mais, en vérité, les intérêts que les dirigeants politiques bourgeois jugeaient « universels » n'étaient que ceux des possédants - des possédants mâles et blancs de peau, exclusivement.
Pour que la masse des pauvres des campagnes et des sans-culottes des faubourgs accède à la pleine citoyenneté, il fallut trois années de bouleversements révolutionnaires. Pour que l'esclavage des Noirs dans les colonies des Antilles et de la Guyane fut aboli, il fallut qu'ils mènent eux-mêmes leur combat, et l'abolition ne fut proclamée qu'en 1794. Ces mesures n'allaient d'ailleurs pas survivre à la vague de réaction qui suivit.
Pour les femmes, ce fut encore une autre histoire. Elles auraient pourtant pu dire aux hommes, comme le Figaro de Beaumarchais apostrophant les nobles pour contester leurs privilèges : « Vous ne vous êtes donné que la peine de naître »...
A propos de ces hommes de la Révolution française, si audacieux à tant d'autres égards, Karl Marx a pu écrire : « Les hommes font leur propre histoire » , mais ils la font « dans des conditions directement données et héritées du passé. La tradition de toutes les générations mortes pèse d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants. Et même quand ils semblent occupés à se transformer, eux, et les choses, à créer quelque chose de tout à fait nouveau, c'est précisément à ces époques de crise révolutionnaire qu'ils évoquent craintivement les esprits du passé » .
La ténacité des préjugés misogynes s'explique d'autant mieux, en l'occurrence, que la citoyenneté impliquait, outre le droit de vote, celui de porter les armes dans le cadre de la Garde nationale. Aux députés de 1789, les femmes des milieux populaires inspiraient, plus que tout autre chose, de la frayeur.
Elles avaient été partie prenante lors de la prise de la Bastille. Elles furent à l'avant-garde pendant les journées d'octobre 1789, quand elles marchèrent sur Versailles, obtinrent que l'abolition des droits féodaux et la Déclaration des droits de l'homme fussent entérinées, et ramenèrent Louis XVI sous bonne escorte à Paris, sous le contrôle rapproché du peuple mobilisé, et les messieurs de l'Assemblée avec.
C'était un immense événement, qui donna aux femmes du peuple une nouvelle confiance en elles. Les députés de l'Assemblée constituante en restèrent définitivement effrayés. Trois jours après l'installation du roi aux Tuileries, ils proclamèrent une loi martiale contre les attroupements populaires. Ils n'étaient pas près de leur reconnaître la citoyenneté !
Les femmes du peuple se mobilisèrent spectaculairement à nouveau au cours des grandes journées de 1792 et 1793. Selon un observateur de police, la notion d' « égalité » produit « une douce impression... sur les femmes surtout. Apparemment que, nées esclaves des hommes, elles ont un plus grand intérêt à son règne » . Les plus politisées fondèrent le Club des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires, avec Pauline Léon et Claire Lacombe, mettant en avant un programme radical de salut public qui était proche de ceux qu'on appelait les Enragés.
Leur rôle fut important dans cette période critique, mais le point culminant était alors atteint. A l'automne 1793, « les clubs et les sociétés populaires de femmes, sous quelque dénomination que ce soit » furent interdits.
Olympe de Gouges, qui s'était montrée une révolutionnaire et qui avait eu le courage de publier deux ans plus tôt sa « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne », se terminant par cette déclaration célèbre : « La femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune » , fut guillotinée le 3 novembre 1793.
Le Moniteur, grand journal de l'époque, comme on venait de guillotiner aussi la reine Marie-Antoinette et Manon Roland, asséna significativement : « En peu de temps, le Tribunal révolutionnaire vient de donner aux femmes un grand exemple qui ne sera sans doute pas perdu pour elles » ...
A la suite des derniers soubresauts populaires de la Révolution, au printemps 1795, dus à l'initiative des femmes du peuple de Paris qui appelèrent les ouvriers à se mobiliser, la Convention thermidorienne décréta « que toutes les femmes se retireront, jusqu'à ce qu'autrement soit ordonné, dans leurs domiciles respectifs : celles qui, une heure après l'affichage du présent décret, seront trouvées dans les rues, attroupées au-dessus du nombre de 5, seront dispersées par la force armée et successivement mises en état d'arrestation jusqu'à ce que la tranquillité publique soit rétablie dans Paris » .
Les dirigeants bourgeois, eux, avaient leur compte de révolution. Les femmes qui se mettaient en avant furent traitées d'aventurières (au mieux), de « têtes de méduse », de « grenadiers femelles »...
Ils trouvaient sur ce point l'accord d'un orateur comme le brasseur Santerre, populaire dans le faubourg Saint-Antoine, d'après qui les hommes « aiment mieux, en rentrant de leur travail, trouver leur ménage en ordre que de voir revenir leurs femmes d'une assemblée où elles ne gagnent pas toujours un esprit de douceur » .
La question de l'égalité des droits des femmes est posée
Dans ces conditions, les hommes qui, au cours des années révolutionnaires, firent des interventions publiques connues de la postérité en faveur de l'égalité politique des femmes peuvent se compter sur les doigts des deux mains : Condorcet, le plus éminent, qui déclarait « Ou aucun individu de l'espèce humaine n'a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ! Et celui qui vote contre le droit d'un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens ». Et quelques autres, peu connus : Joseph Lequinio, propriétaire terrien député du Morbihan ; le marchand de draps de Guingamp Pierre Guyomar, pour qui la participation des citoyennes à la vie politique était une condition nécessaire pour une « démocratie au complet » ; le mathématicien Gilbert Romme, lui aussi député à la Convention, qui intervint sur le thème « Les droits de l'Homme n'appartiennent pas qu'aux hommes » .
Pour ne pas être injuste avec les hommes de la Révolution française, pourtant, il faut ajouter qu'ils ont jusqu'à un certain point révolutionné aussi les rapports entre les sexes. Ils abolirent le privilège de masculinité sur le plan de la vie civile : frères et soeurs furent déclarés égaux devant la succession ou pour l'accès à la majorité. Et les grandes lois civiles de 1792, laïcisant le mariage devenu simple contrat civil, autorisant le divorce par consentement mutuel et à égalité de conditions, mettaient hommes et femmes sur un strict pied d'égalité. Ce n'était pas rien !
La réaction napoléonienne, le triomphe du mariage bourgeois et de sa double morale
Napoléon allait mettre de l'ordre dans la maison de la bourgeoisie, une fois passée la tourmente révolutionnaire. Sa dictature militaire consolida sur tous les plans le nouvel État, visant d'abord à colmater les brèches ouvertes par la révolution, ce qui fut un souci constant dans tout le courant réactionnaire pendant des décennies.
Le Code civil de 1804, plus connu sous le nom de Code Napoléon, unifiait juridiquement le pays, qui était un enchevêtrement de statuts divers, de coutumes régionales fluctuantes, le trait peut-être le plus général étant tout de même la tutelle masculine sur les femmes mariées.
D'après ses rédacteurs eux-mêmes, le Code Napoléon avait pour objet essentiel de régler les principes et les droits de la propriété. Y compris donc la propriété privée des femmes, car, comme le dit Napoléon, « La femme est donnée à l'homme pour qu'elle fasse des enfants. La femme est notre propriété. Nous ne sommes pas la sienne » . Et, comme dans la Rome de l'Anti-quité, le père de famille, propriétaire et chef, fut le pilier du régime.
Dès lors que les enfants ne sont pas seulement des enfants mais des héritiers en puissance, le rôle du mariage est de codifier les rapports qui en découlent. Il est une institution, et non plus une affaire privée. Le Code a pour tâche, à travers cette institution, de veiller à la sauvegarde et à la transmission de la propriété privée à la descendance considérée comme légitime par le chef de famille.
La femme mariée n'a aucun droit reconnu. L'article 1124 stipule : « Les personnes privées de droits juridiques sont les mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles mentaux » . La femme mariée n'a pas d'existence par elle-même. C'est le mari qui décide et contrôle tout. Il peut exiger de la poste que son courrier lui soit remis, et il est tout à fait autorisé à détruire ses lettres (clause qui n'a été abolie qu'en... 1938). L'épouse ne peut pratiquement rien faire sans son autorisation.
Ce Code était particulièrement minutieux pour interdire aux femmes tout ce qui pouvait avoir trait à la gestion des biens du couple, car évidemment il s'adressait avant tout aux maris de la bourgeoisie, susceptibles de disposer de « biens ».
La supériorité du « pater familias » s'étendait même dans la mort : sa veuve ayant des enfants restait soumise au conseil de famille. Si elle était enceinte, un homme devait être nommé comme « curateur au ventre », pour veiller au grain.
Enfin, bien évidemment, le Code pénal réprimait l'adultère - du moins l'adultère féminin, car le mari n'était jugé adultère que dans le cas où il introduisait sa maîtresse au domicile conjugal. C'était la consécration du principe de la double morale qui caractérise la bourgeoisie triomphante : la femme adultère pouvait être condamnée de trois mois à deux ans de prison, le mari qui, par cas extrême, aurait été convaincu d'adultère ne risquait qu'une amende.
Les magistrats veillèrent. Le mari pouvait faire ramener à son domicile sa femme récalcitrante manu militari, user de violences impunément. Un article du Code pénal français a considéré comme excusable, méritant tout au plus un « léger châtiment », le mari assassin de sa femme ou de l'amant de celle-ci en cas de flagrant délit au domicile conjugal... jusqu'en 1975 !
C'était là une législation réactionnaire par rapport à la législation révolutionnaire, mais aussi par rapport aux dernières décennies de l'Ancien régime, notamment pour les femmes des classes supérieures de la société.
L'aspect répressif du Code Napoléon ne venait pas seulement de la misogynie personnelle, ou des déboires conjugaux, de ses auteurs. Rédigé au lendemain des événements révolutionnaires où les femmes avaient été appelées « citoyennes », quoique sans jouir de droits politiques, il était fortement marqué par la peur qu'une éventuelle égalité entre les hommes et les femmes avait fait naître.
Désormais, la bourgeoisie et son État étaient imprégnés d'un esprit de réaction, pas seulement sur le plan du droit. Le sabre éprouva le besoin du goupillon. L'Eglise catholique avait subi un rude coup pendant la Révolution, mais Napoléon signa avec le Vatican un concordat qui lui redonna au moins une position officielle, bien que l'Eglise demeurât pour longtemps nostalgique de la monarchie.
Entre les juges et les prêtres, la famille bourgeoise connut son apothéose au XIXe siècle. Dans toute son hypocrisie et sa laideur.
On a pu dire que la femme du XIXe siècle portait « sa vertu en bandoulière ». Pour elle, toute idée d'aventure extra-conjugale ne pouvait mener qu'au drame, tandis que pour les hommes bourgeois, au contraire, avoir une maîtresse dans le milieu de celles qu'on appelait les « demi-mondaines », ou encore, plus vulgairement, les « cocottes », était une institution reconnue. Les romans, la peinture et même l'opéra ont été au XIXe siècle quasiment obsédés par des histoires d'adultères.
L'argent est à la base du mariage entre bourgeois, et le triomphe de la société bourgeoise a ravalé les femmes au statut de marchandises, y compris dans l'univers de la classe dominante. Des marchandises plus ou moins coûteuses à se procurer, et plus ou moins précieuses, suivant le statut.
Le mépris des femmes a souvent été recouvert en France par un voile d'admiration d'une rare hypocrisie - à titre de compensation sans doute.
Les images pieuses à la gloire de Vierges à l'enfant ont proliféré. L'Eglise s'adaptait, une fois de plus. A une époque où elle s'attachait à promouvoir l'essor de congrégations religieuses féminines en vue de reconquérir du terrain, il était bon de glorifier la femme sous l'image de la mère du Christ. La Vierge Marie vint elle-même à la rescousse, multipliant ses apparitions, notamment à Lourdes, en 1858 ! Mieux encore, le Pape Pie IX avait découvert en 1854 qu'elle était vraiment pure, puisque, seule entre toutes, elle avait été conçue indemne du péché originel, ce qui devint le dogme de l'Immaculée Conception de Marie quand, peu après, il s'auto-proclama infaillible.
La femme fut aussi exaltée comme la muse idéale, la grande inspiratrice, silencieuse si possible. Comme l'avait écrit Balzac, « La femme est une esclave qu'il faut savoir mettre sur un trône » ! Des flots de délire lyrique et d'extases romantiques, le culte de la « féminité » (ce mot ancien de la langue française n'a d'ailleurs été repris et ne s'est diffusé qu'à cette époque, la fin du XIXe siècle), ne peuvent pourtant pas suffire à masquer la condition dévolue aux femmes réelles...
Le capitalisme contre la famille bourgeoise
Car, dans cette même époque, les femmes réelles, dans leur grand nombre, n'étaient ni des courtisanes ni des riches bourgeoises au foyer. Elles étaient paysannes ou prolétaires des villes. Alexandre Dumas père pouvait décréter que « La femme perdra toute féminité en mettant les pieds dans un bureau » , son imagination n'allait pas loin. Même si les femmes n'allaient guère avoir accès aux bureaux avant pas mal de temps, le développement de la grande industrie capitaliste avait déjà largement imposé, non aux femmes de son milieu mais à celles du peuple, la nécessité de « mettre les pieds » dans les usines.
La révolution industrielle a rompu brutalement avec un passé de plusieurs siècles en brisant les économies locales, en unifiant les modes de vie, en commençant à dépeupler les campagnes au profit des grandes cités, et c'est dans un bouleversement de grande ampleur que la famille est entrée avec elle. La famille des bourgeois a certes continué à fonctionner sur son schéma consacré, en milieu restreint, régi par des considérations d'argent et d'affaires, mais la famille populaire, en voie d'émiettement, entrait dans une évolution qui a mené rapidement de la grande famille villageoise, collectivement associée dans le travail de la ferme, à la micro-société du couple, uni pour cause d'affinités, avec ses enfants.
Parallèlement, l'entrée en nombre croissant de femmes dans la vie de salariées d'usine, ainsi que l'extension en Europe occidentale de la proportion de femmes salariées célibataires, indépendantes du cercle de la propriété privée familiale, marquaient l'époque nouvelle. Ce processus faisait entrer des couches de plus en plus larges de la population en contradiction avec le modèle de la famille bourgeoise.
Ce qui, naturellement, n'a pas pour autant suffi à empêcher les règles et les conceptions de la classe dominante de se perpétuer.
Car aucun progrès social n'est automatique.
La lutte pour l'égalité des femmes dans la société, partie intégrante du programme socialiste
La lutte contre la sujétion des femmes est apparue en France avec les premiers socialistes, et surtout avec Charles Fourier. C'est Fourier, d'ailleurs, qui créa le terme de féminisme.
Fourier fut un grand critique de l'institution du mariage, pas seulement d'un point de vue moral parce que, comme il le disait, la femme y est avilie, mais surtout parce qu'il dénonça son fondement économique : l'argent et la propriété. Pour Fourier, le progrès de l'humanité entière se mesure au degré de liberté des femmes.
A la même époque, dans les années 1830, des associations féministes virent le jour, mêlant des revendications de type libéral aux revendications des ouvrières. Le journal La Tribune des femmes fut créé par deux ouvrières, une brodeuse et une lingère. Parmi les femmes qui se firent alors connaître, Flora Tristan occupa une place remarquable : c'était une ouvrière-coloriste, qui, victime d'un mariage forcé, reprit sa liberté, et mena ensuite une vie misérable mais combative. Elle dénonça la condition des prolétaires à Londres, et alla de ville en ville pour préconiser l'organisation de la classe ouvrière et propager ses idées sur l'émancipation des ouvriers et des femmes, indissociable à ses yeux. Elle écrivit : « L'homme le plus opprimé peut opprimer un autre être, qui est sa femme. Elle est la prolétaire du prolétaire même » .
Dès la naissance du mouvement communiste, la dénonciation de la condition faite aux femmes, de la famille bourgeoise, fit partie intégrante de sa propagande. Marx et Engels, dans le Manifeste Communiste, polémiquaient contre leurs adversaires qui les accusaient de viser à la destruction de la famille. Engels publia ensuite L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État. Il y partait en guerre contre ceux qui pensent que la situation subordonnée de la femme est un fait « naturel », et non une donnée historique, liée à la division de la société en classes. L'un des fondateurs du parti socialiste allemand, l'ouvrier Auguste Bebel, écrivit un ouvrage qui devint un livre de base dans l'éducation politique de tous les socialistes (puis des communistes) et dont le titre était tout un programme : La Femme dans le passé, le présent et l'avenir.
Il y eut bien sûr des luttes à mener à ce sujet, y compris parmi ceux qui se disaient socialistes. Le mouvement ouvrier français a longtemps été influencé, par exemple, par les idées de Proudhon, que Marx combattit vigoureusement, et dont la misogynie était sans limites. En outre, comme l'attitude du patronat consistait à mettre les femmes en concurrence avec les ouvriers en place sur le marché du travail, il y eut évidemment, parmi les travailleurs les moins conscients, des réactions contre l'embauche des femmes, comme il y en eut contre l'embauche des travailleurs étrangers, ou même contre les travailleurs originaires de la province d'à côté. Mais les dirigeants du mouvement politique socialiste, Etienne Varlin puis Jules Guesde et Paul Lafargue en tête, combattirent cette tendance.
Les luttes de la classe ouvrière allaient alors de l'avant, et lorsque celles-ci conquirent une législation minimum du travail, une législation spéciale protectrice des femmes apparut en France.
Evidemment, le patronat essaya de s'en servir pour priver les femmes de l'accès au travail qualifié ; il concevait la protection des ouvrières à sa manière : une loi de 1900 organisa par exemple leur journée de travail différemment, afin qu'elles soient libres, qu'elles aient leur temps de repos, pour aller préparer le repas du foyer...
Cette législation spéciale pour les femmes était le plus souvent justifiée par la nécessité d'enrayer une mortalité infantile considérable et de permettre l'allaitement maternel, encore plus indispensable à l'époque qu'aujourd'hui. Mais en guise de protection de la vie de famille, la bourgeoisie et son État n'étaient pas à une contradiction près.
Dans les grands magasins parisiens, pour les vendeuses, le mariage était cause de renvoi. D'origine provinciale généralement, elles n'avaient le plus souvent pas d'autre choix que l'internat sur place, sous surveillance.
Avec le concours de l'Eglise, les industriels de la région lyonnaise recrutaient des jeunes filles de la campagne, qu'ils enfermaient dans ce qu'on appela les « couvents soyeux » sous la férule des bonnes soeurs - afin, sous couvert de moralisation des moeurs, d'exploiter à merci cette main-d'oeuvre cloîtrée, peu qualifiée et rendue docile par force, qui a été évaluée à quelque 100 000 jeunes filles environ, vers 1880.
En Angleterre et en Allemagne, le célibat était obligatoire pour les employées de bureau. En France, les dames du téléphone aussi étaient des « demoiselles », qui devaient quitter leur poste en cas de mariage éventuel. Tout cela peut paraître d'un autre âge, mais rappelons qu'il n'y a guère qu'une vingtaine d'années qu'ici même les hôtesses de l'air peuvent se marier sans renoncer à leur emploi.
Même si la loi leur imposait l'autorisation de leur mari pour se syndiquer, les femmes participaient aux luttes. Ouvrières, institutrices, elles en menèrent elles-mêmes.
Le Parti socialiste fut le premier à inscrire dans son programme, lors de son Congrès de 1879, « égalité civile et politique des femmes ».
En Allemagne, la dirigeante socialiste Clara Zetkin créa un « Mouvement des femmes socialistes allemandes et internationales », dont l'organe, L'Egalité, s'efforçait de montrer que la lutte pour l'émancipation des femmes était inséparable de la lutte de la classe ouvrière, de la lutte pour le socialisme.
Au Congrès de fondation de la IIe Internationale, Clara Zetkin, une des figures en vue de ce congrès, expliquait que « Les travailleuses qui veulent accéder à l'égalité sociale n'attendent rien, pour leur émancipation, du mouvement féministe bourgeois qui prétend lutter pour les droits de la femme. Le droit de vote sans liberté économique n'est ni plus ni moins qu'un chèque sans provision » . C'est la même Clara Zetkin qui fut à l'origine, en 1910, de la la création de la Journée internationale des femmes.
Dans le mouvement socialiste révolutionnaire, les femmes avaient toute leur place, et elles y ont joué un rôle majeur, à commencer bien sûr par Rosa Luxembourg.
La politique des bolcheviks au pouvoir
Symbole remarquable de la manière dont la lutte pour les droits des femmes trouvait tout naturellement sa place dans le combat socialiste, la grande secousse révolutionnaire qui, après avoir renversé le tsarisme, allait ébranler le monde entier, eut pour point de départ les manifestations organisées à Pétrograd à l'occasion de la Journée internationale des femmes du 8 mars 1917.
Et quand, quelques mois plus tard, les bolcheviks se trouvèrent au pouvoir, c'est tout naturellement qu'ils menèrent une politique révolutionnaire quant à la condition des femmes. Et c'est à juste titre que Lénine pouvait affirmer, en septembre 1917, « Aucun État, aucune législation démocratique n'a fait pour la femme la moitié de ce que le pouvoir soviétique a fait dès les premiers mois de son existence » .
La Russie révolutionnaire fit du mariage une simple formalité civile et attribua les mêmes droits à tous les enfants, « légitimes » ou pas ; elle fut le premier État au monde à faire du divorce une affaire simple et d'ordre privé en cas de consentement mutuel, dès décembre 1917. Le Code de la famille de décembre 1918 était alors unique en Europe par son esprit de liberté, établissant l'égalité absolue entre mari et femme comme vis-à-vis de leurs -enfants.
Des organismes, près du Comité central et à tous les échelons du Parti, furent chargés d'oeuvrer à faire entrer dans les faits l'égalité toute neuve, avec l'immense tâche de faire face aux innombrables problèmes comme par exemple celui d'instruire plusieurs millions de déléguées élues par les ouvrières et les paysannes. Un ambitieux programme d'équipements collectifs fut élaboré, car, dans l'esprit des bolcheviks, un système de services sociaux - jardins d'enfants, restaurants, blanchisseries, dispensaires - devait alléger aussi bien les tâches maternelles que les corvées ménagères.
Le premier Congrès musulman pan-russe de 1917 à Moscou avait proclamé l'égalité des droits des femmes et des hommes musulmans, et cela aussi était une première. La polygamie fut abolie par la loi, comme le mariage des petites filles et l'obligation du voile pour les femmes, tandis que l'obligation de l'instruction s'imposait aux filles comme aux garçons.
On se doute bien qu'il n'allait pas être simple de révolutionner ainsi les moeurs. La réalisation générale concrète d'un mode de vie nouveau était hors de la portée du jeune État révolutionnaire, pauvre et isolé, mais les bolcheviks en tout cas ont montré qu'ils ne craignaient pas de secouer le lourd poids de « la tradition de toutes les générations mortes » dont parlait Karl Marx à propos des dirigeants de la Révolution française. Ils ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour ouvrir la voie d'une égalité réelle entre hommes et femmes. Et ils ont milité pour que les jeunes Partis Communistes dans les autres pays se donnent, entre autres, ce même objectif.
Le mouvement féministe et ses luttes
Parallèlement au mouvement ouvrier, il avait existé, dès la première moitié du XIXe siècle, un féminisme bourgeois.
Parmi les femmes de la classe aisée, les revendications féministes sont apparues aux États-Unis, dans les années 1830, dans le cadre de la campagne anti-esclavagiste en milieu protestant, où les femmes étaient très actives. Des femmes de la grande bourgeoisie consacrèrent leur vie et mirent en jeu leur position sociale pour organiser un mouvement anti-esclavagiste féminin, qui unissait la cause des femmes et celle des Noirs. Certaines des associations organisaient ensemble femmes noires et femmes blanches - non sans rencontrer des obstacles de la part d'une grande partie des pasteurs du clergé protestant. Ce qui eut pour effet d'accentuer le féminisme des militantes, qui prirent notamment comme slogan provocateur, mais après tout pas plus provocateur que l'inverse : « Priez Dieu, Elle vous exaucera ! » ...
Pour l'anecdote, mentionnons que la première femme à faire acte de candidature à la présidence d'un État et à mener campagne fut une Américaine, nettement plus tard bien sûr, en 1884, « une jolie veuve de 40 ans, avocate, montée sur un vélocipède, sa serviette et une tabatière entre les mains » , dont en France Le Figaro se moqua bien sûr abondamment.
En Angleterre, la question du suffrage féminin fut, à partir de 1850-1851, longtemps en débat au sein du Parlement, d'autant qu'il s'y trouva un homme, John Stuart Mill, qui s'y fit le porte-parole des droits des femmes. Elles avaient déjà conquis des pouvoirs locaux relativement étendus, mais le pouvoir opposait des refus répétés sur la question du droit de vote à l'échelon national. La reine Victoria était tranchante : « La reine fait appel à toutes celles qui peuvent prendre la parole ou écrire et les adjure de s'unir pour enrayer ce Mouvement des droits de la femme, pervers et fou, avec toutes les horreurs qu'il entraîne et qui aveugle les pauvres êtres de son sexe, qui en oublient le sens de la féminité et des convenances. Ce sujet irrite à ce point la reine qu'elle peut à peine contrôler sa colère » .
Les suffragettes et leur organisation politique finirent par se livrer à des actions violentes pour arracher le droit de vote : incendies de maisons, bris de vitrines, attaques de membres du Parlement, et même pose de bombes et suicides spectaculaires - il y eut plusieurs centaines de milliers de manifestantes suffragettes dans les rues de Londres en 1908. La bourgeoisie anglaise ne leur fit pas de cadeaux : elles subirent une répression continue, constamment emprisonnées, au régime de droit commun. Lorsqu'elles firent une grève de la faim, en 1906, le gouvernement ordonna de les gaver de force, comme des oies, et fit publier une photo de la scène dans la presse pour les ridiculiser. Mais leur organisation resta forte.
Le mouvement en France (1870-1914)
En France, c'est dans les années 1870 que des revendications et des initiatives féministes étaient apparues nettement parmi les femmes des milieux bourgeois et intellectuels. Le mouvement était profondément marqué par « la question sociale » comme on disait, la peur de la révolte des prolétaires parmi lesquels les femmes, les fameuses « pétroleuses », avaient montré leur degré de résolution. A l'époque de Germinal, les indicateurs de police mesuraient d'ailleurs le mécontentement au nombre de femmes dans les meetings ou les manifestations.
Certaines associations se limitèrent à la revendication du droit de vote, ce qui fit demander par un journaliste du Figaro si, après les femmes, les boeufs voteraient... D'autres avaient des revendications variées autour de la question des droits civils des femmes et de la gestion des biens. Un quotidien, fondé par Marguerite Durand, La Fronde, républicain, laïque et féministe, parut pendant six ans.
Ces mouvements, dès lors qu'ils ne mettaient pas la lutte de classe en avant, reçurent les appuis d'intellectuels - dont Victor Hugo - et de personnalités parlementaires, voire gouvernementales.
Mais dans l'ensemble, malgré des femmes dynamiques, qui firent parler d'elles, le mouvement féministe bourgeois resta minoritaire en France. Il rejetait les méthodes nettement plus musclées des suffragettes américaines et anglaises.
Parmi les grandes causes défendues par et autour du mouvement féministe, celle de l'instruction des femmes occupa une large place.
C'est seulement en 1867 qu'une loi a obligé toutes les communes de plus de 500 habitants à ouvrir une école primaire de filles. Des établissements d'enseignement secondaire furent peu à peu créés pour elles par l'État, avant d'être généralisés, en 1880. Cela dit, le niveau d'enseignement y restait bas et adapté à ce qu'on attendait des filles dans la société. C'est d'ailleurs seulement en 1924 que fut instituée l'identité des enseignements entre garçons et filles, et donc un baccalauréat unique.
A l'université de Paris, dans la période de 1905 à 1913, les émigrées juives, polonaises, russes et roumaines, représentaient à elles seules plus du tiers des effectifs totaux d'étudiantes. En médecine et en droit, il y avait près de deux fois plus de femmes d'Europe orientale que de Françaises inscrites.
Il faut dire que si les hommes résistèrent pied à pied aux prétentions de femmes de leur milieu d'exercer les mêmes professions, les médecins et les avocats se montrèrent particulièrement réactionnaires. Les étudiants en médecine manifestèrent contre l'ouverture aux femmes du concours de l'externat ; la première femme à devenir interne des hôpitaux fut brûlée en effigie. Les avocats, quant à eux, invoquaient le risque que les magistrats soient séduits par les avocates...
Dans la plupart des pays occidentaux en train de s'industrialiser, le service domestique restait le secteur d'emploi salarié le plus important pour les femmes, car il s'était étendu dans la classe bourgeoise. Même en Angleterre, le pays le plus industrialisé, 40 % des travailleuses travaillaient comme domestiques, à la moitié du siècle, contre 22 % dans les usines textiles. Mais l'entrée des femmes dans les usines était, à son échelle, un phénomène nouveau et qui a beaucoup frappé les gens de l'époque.
Parmi les militantes féministes, très ouvertement partisanes de la collaboration des classes, le sort des ouvrières suscita quelquefois de la simple philanthropie et souvent de l'indifférence. Lorsque les congrès ouvriers internationaux adoptèrent le principe des lois de protection spéciale en faveur des ouvrières, certaines féministes bourgeoises le contestèrent comme discriminatoire...
Un fossé social immense séparait les militantes ouvrières des bourgeoises féministes, et l'antagonisme de classe fut particulièrement vif en France et en Allemagne.
Une longue éclipse, et une évolution réactionnaire de la société
A partir de la guerre de 1914-1918, au cours de laquelle bon nombre d'entre elles, d'ailleurs, dans leur désir d'intégration, se firent des sergents recruteurs pour l'effort de guerre de leur pays, le mouvement féministe bourgeois a connu une longue éclipse. L'Europe entrait dans une longue période de réaction. La révolution prolétarienne était endiguée et le mouvement ouvrier subissait un profond recul.
Des dictatures, la dictature fasciste de l'Italie de Mussolini, la dictature nazie de l'Allemagne de Hitler, comme de celle de l'Espagne du général Franco, on ne pouvait certainement pas attendre autre chose qu'une aggravation de la condition des femmes comme de celle de toute la société.
En changeant bien évidemment ce qu'il faut changer, on peut se rendre compte qu'il y a des traits communs aux pays européens, pendant cet entre-deux-guerres, dans les politiques gouvernementales vis-à-vis des femmes et de la famille. La prétendue vocation exclusive des femmes à la maternité a été montée au pinacle aussi en France.
Les élus pensaient aux femmes.
1920-1923, ce sont les années des lois scélérates qui interdirent toute propagande en faveur du contrôle des naissances, en même temps qu'elles infligeaient de lourdes peines de prison aux auteurs d'avortement, le plus souvent des femmes, les « faiseuses d'anges » comme les appelait avec mépris la grande presse, de même qu'aux femmes qui avortaient, et décidaient de les faire juger en correctionnelle par des magistrats professionnels parce que les jurés d'Assises montraient trop d'indulgence.
L'après-guerre 14-18 fut très réactionnaire. Les ouvrières des industries de guerre furent les premières licenciées, leur embauche n'avait été conçue que pour la durée des hostilités. Les femmes dites « émancipées » et le féminisme furent critiqués avec virulence, au profit d'une étouffante promotion de la femme-mère, à laquelle une bonne partie des ex-féministes collaborèrent elles-mêmes. A partir de 1926, une « Journée des Mères » fut célébrée officiellement, et les mères de « familles nombreuses » furent désignées par une médaille spéciale.
Les femmes étaient de plus en plus écartées du travail salarié. D'après les recensements, la baisse de l'activité féminine en France a été régulière, des années 1920 jusqu'en 1968, à l'exception de l'année 1946.
Dans l'industrie, pour le patronat, les femmes, comme les travailleurs immigrés - polonais et italiens, à l'époque - se retrouvaient dans les emplois les moins qualifiés et les premiers à être jetés au chômage. Avec la crise des années 30, dans tous les pays européens, le travail des femmes mariées fut limité par des mesures contraignantes. Le mythe du travail et du salaire « d'appoint » servait les intérêts des patrons.
Disons enfin que, parallèlement, la réaction n'épargna pas les femmes en URSS, où la bureaucratie stalinienne entreprit de réhabiliter la Famille, exalta les « mères héroïques », rétablit l'autorité du père, supprima la liberté de l'avortement. En outre, en 1943, quand Staline préparait l'après-guerre, il renforça ce processus réactionnaire, en matière de divorce ou contre les enfants « illégitimes » et les femmes mères célibataires.
Pour le Parti Communiste, le cours stalinien sur le sujet allait bien avec son souci d'apparaître comme un parti respectable aux yeux de la bourgeoisie. Il rejoignit les partisans de la famille et de la natalité dès 1935. Et il fut, jusque dans les années 60, un adversaire zélé et spécialement puritain du contrôle des naissances, ce « vice de la bourgeoisie » disait-il.
Le PC ne déparait certes pas dans le paysage du Front Populaire.
Une loi de 1938, qui avait accordé aux femmes mariées quelques autorisations d'agir par elles-mêmes, avait conservé toutefois le droit pour le mari d'opposer son veto à ce que sa femme travaille. Ce droit-là fut bien sûr maintenu par Pétain ; et on peut relever qu'en 1945, encore, il fut confirmé, considéré comme « une règle d'ordre public »... et qu'il n'a été supprimé qu'en 1965 !]]
Le régime de Pétain aggrava la répression contre ceux qui aidaient les femmes à avorter ; l'avortement était devenu « crime contre la sûreté de l'État ». De 1942 à 1944, il y aurait eu 4000 condamnations par an pour ce motif. Une femme, Marie-Louise Giraud, fut même guillotinée en juillet 1943.
Les lois pétainistes furent abrogées après la guerre, mais pas la législation de 1920.
Lorsque, en 1949, Simone de Beauvoir publia son livre intitulé « Le Deuxième sexe », elle sembla prêcher dans le désert. Le Pape, lui, lança une « fatwa » contre ce livre, qui fut mis à l'Index officiellement par le Vatican.
Les idées contenues dans « Le Deuxième sexe » furent à l'origine, mais seulement des années plus tard, de l'engagement d'un certain nombre de féministes, américaines d'abord.
Les femmes alors, aux États-Unis d'abord puis, depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, en Europe, étaient désormais de plus en plus « recyclées » par le capitalisme en tant que consommatrices : toujours promues comme femmes au foyer, mais dans des foyers auxquels on fixait l'objectif « libérateur » de s'équiper en matériel électro-ménager.
Sans aucun doute, la modernisation de l'habitat et des équipements domestiques a représenté un progrès incontestable dans la vie d'un nombre croissant de femmes. Mais elle n'a pas pour autant réellement libéré les femmes des tâches domestiques et, bien souvent, elle les a même enchaînées au contraire, d'une autre manière, à leur condition de mère et de ménagère. Et le développement de la publicité aidant, la femme n'a pas cessé d'être ravalée au rang de marchandise, elle-même susceptible d'en faire vendre d'autres, des détergents ou des voitures...
Le mouvement féministe des années 1960 et 1970
C'est vers la fin des années 60 qu'aux États-Unis, le mouvement féministe est réapparu, en même temps que le mouvement des droits civiques de la population noire et le mouvement contre la guerre au Vietnam.
En France, le mouvement est sorti de la secousse sociale que furent les événements de Mai 1968, de la conjonction du mouvement étudiant et de la grève générale, qui redonna une nouvelle vigueur aux idées de gauche et d'extrême-gauche, et qui ouvrit la voie à la contestation de ce qu'il y avait de plus archaïque dans la société française.
La nébuleuse de groupes qui fut baptisée MLF (Mouvement de Libération des Femmes) par les médias en 1970 mena des coups d'éclat qui ne passèrent pas inaperçus. Cela pouvait aller du dépôt, devant la presse réunie, d'une couronne à l'Arc de Triomphe à la mémoire de la femme inconnue du soldat, à des irruptions dans les locaux de l'association « Laissez-les vivre ».
Dans ce contexte, furent fondés, en 1973, le Mouvement « Choisir » et le MLAC (Mouvement pour la Liberté de l'avortement et de la contraception), auquel participaient plusieurs organisations politiques d'extrême-gauche, dont Lutte Ouvrière. Le MLAC se donnait pour but d'imposer l'abolition de la loi de 1920 dans les faits.
Deux ans avant, en 1971, 343 femmes, dont un certain nombre d'actrices et d'écrivains célèbres, avaient affirmé publiquement avoir avorté un jour et demandé la liberté de l'avortement pour toutes les femmes. Leur manifeste, publié dans le Nouvel Observateur, avait créé le scandale. Quelques mois plus tard, 300 médecins se manifestèrent à leur tour dans le même sens. En 1972, le procès au tribunal de Bobigny d'une jeune fille de 16 ans, de sa mère et de collègues, qui étaient jugées pour avortement, fut entouré d'une publicité active et d'une manifestation, et il se termina par un non-lieu. Ce fut un succès déterminant pour la suite.
Comme le mouvement féministe américain, le mouvement féministe français englobé sous le nom de MLF, qui n'était pas structuré et ne voulait pas l'être, comprenait plusieurs tendances, dont certaines se disaient révolutionnaires, voire marxistes. Il s'est développé sous le drapeau de la « libération de la femme », et pas seulement sur celui de l'égalité des droits dans le cadre actuel. Le MLF défila, d'ailleurs, aux côtés des révolutionnaires lors des cortèges du 1er mai pendant plusieurs années. C'était une option politique qui le plaçait dans le camp des contestataires de l'ordre établi, mais le MLF demeura une organisation séparée de femmes, farouchement non-mixte. Et celles de ses militantes qui se disaient marxistes, pour une bonne part issues du courant maoïste, ainsi que des organisations de gauche et d'extrême-gauche, telles que le PSU et la Ligue Communiste Révolutionnaire, demeurèrent longtemps sur ce terrain.
L'immense majorité des revendications mises en avant par les féministes fait partie du programme des révolutionnaires marxistes. Ce n'est pas d'hier, ni même d'avant-hier, que ceux-ci ont dénoncé la situation faite aux femmes comme un des scandales permanents de l'organisation sociale fondée sur la propriété privée. Et Bebel lui-même, à la fin du siècle dernier, dénonçait l'organisation sociale bourgeoise, qui abandonne aux cellules familiales la charge d'élever et éduquer les femmes et les hommes de l'avenir, avec l'aliénation et le gaspillage d'énergie que cela entraîne.
Le combat pour le droit des femmes à disposer de leur corps
Pour en revenir aux résultats de la mobilisation féministe des années 1970 : après plusieurs années de lutte et l'entrée en scène de dizaines de milliers de femmes et d'hommes bravant ouvertement la loi anti-avortement de 1920, le gouvernement se trouva dans l'embarrassante situation de prétendre maintenir une loi parmi les plus répressives en Europe, tout en étant devenu incapable de la faire appliquer, et même réduit à la laisser bafouer publiquement.
En avril 1974, un débat télévisé fut organisé, en préfiguration des débats parlementaires prévus. Fait significatif, il eut lieu entre hommes - deux députés de droite avec Michel Rocard. Des centaines de femmes téléphonèrent pendant l'émission. Vainement.]]
Au cours de l'année 1974, 300 femmes moururent encore des suites d'avortements clandestins.
Finalement, la loi présentée par Simone Veil fut votée, sous la présidence de Giscard d'Estaing, en janvier 1975, pour une durée de cinq ans seulement dans un premier temps et assortie de nombreuses clauses restrictives. Le débat parlementaire se caractérisa par la violence haineuse spécialement des députés de la droite, qui à plusieurs reprises injurièrent Simone Veil, l'empêchèrent de parler, et tinrent dans les couloirs des propos antisémites à son sujet.
La loi de 1975, il y a 20 ans, est un acquis des luttes des femmes. Ce droit, elles se sont battues pour le conquérir, elles ne l'ont pas mendié !
Sur un autre plan, il faut mettre également à l'actif du bilan des années 1970 le dépoussiérage législatif qui a enfin relégué la législation napoléonienne au musée des antiquités. L'autorité du père sur femme et enfants, le divorce parcours du combattant même en cas de consentement des deux conjoints, l'adultère tombant sous le coup du Code pénal, l'inégalité entre mari et femme devant l'éventuel patrimoine de la famille, tout cela existait encore, deux siècles après la Révolution française, avant les lois de 1970, 1975 et 1985.
Le mouvement féministe fut un mouvement efficace, quoi qu'on puisse penser par ailleurs de ses contradictions et de ses limites. Il a dénoncé l'oppression des femmes, bousculé de nombreux préjugés, secoué la mentalité de soumission inculquée à bien des femmes, revendiqué pour elles le droit d'être elles-mêmes à part entière.
Comment le suffrage universel a fini par ne plus avoir de sexe...
Aujourd'hui, par rapport à ces années où la femme était officiellement un être mineur, on peut avoir l'impression qu'il s'agit d'une époque lointaine. Et les acquis des luttes pour les droits des femmes paraissent sans doute à beaucoup de jeunes faire partie de leur environnement normal. La contraception, par exemple, est largement entrée dans les moeurs. Les couples vivant en dehors du mariage sont chose courante. Les diktats de la société sur la tenue vestimentaire des filles sont une vieille lune.
Pourtant, cette égalité en droit n'est pas si vieille, et faut-il le préciser, la France n'a pas occupé le peloton de tête des nations en ce domaine.
Le vingt-cinquième anniversaire de la mort de de Gaulle a par exemple été une occasion d'entendre réaffirmer que c'est grâce à lui que les femmes avaient obtenu le droit de vote au lendemain de la guerre, comme si le fait de décider que les Françaises pourraient désormais voter, droit qu'elles exercèrent pour la première fois aux élections municipales de 1945, avait constitué un exploit remarquable.
Il y avait déjà plus de 75 ans que l'État du Wyoming, aux USA, avait inscrit le droit de vote des femmes dans sa législation. Et en ce qui concerne l'Europe, bien des pays avaient pris cette décision avant la France.
Dans la Russie de 1917 secouée par le révolution, le gouvernement provisoire avait, dès juillet 1917, décrété les femmes électrices et éligibles. En Allemagne, après la chute du régime impérial, en pleine révolution aussi, les femmes avaient obtenu l'égalité des droits politiques le 30 novembre 1918.
Il faut sans doute aussi mettre à l'actif de la vague révolutionnaire qui secouait alors l'Europe le fait que les États européens nouvellement créés par le traité de Versailles, la Pologne, la Hongrie, la Tchécoslovaquie, reconnurent les droits politiques aux femmes.
Les Anglaises, de leur côté, avaient obtenu le droit de vote en 1918, avec des restrictions d'âge cependant (supprimées en 1928), et l'ensemble des Américaines en 1920.
Ces années-là avaient aussi vu la Turquie émerger des décombres de l'empire ottoman vaincu, sous la forme du nouvel État dirigé par le nationaliste radical Mustafa Kémal, qui se voulait modernisateur et résolument laïc. Et c'est ainsi que les femmes turques ont eu le droit de voter, à égalité avec les hommes, en 1934, dix ans avant les femmes de la « grande démocratie » française.
Les femmes espagnoles également avaient obtenu ce droit élémentaire, en 1931, après l'effondrement de la monarchie.
Bref, les gouvernants français de 1945 n'avaient pas tellement à se vanter : ils faisaient plutôt figure de lanternes rouges ! C'est toujours la position de la France, avant-dernière avant la Grèce au sein de l'Union européenne pour ce qui est de la place des femmes dans la vie publique.
Car bien qu'elles aient obtenu le droit de vote, les femmes, tout au long de ces cinquante ans, ont été extrêmement peu représentées dans les assemblées élues, et encore moins dans les gouvernements.
Quant aux responsabilités gouvernementales de premier plan, la France a dû attendre la dernière décennie du siècle pour avoir un ministère dirigé par une femme, en la personne d'Edith Cresson. Encore son gouvernement a-t-il eu une existence extrêmement brève, d'autant plus brève qu'Edith Cresson, du fait manifestement d'être une femme, a rencontré presque autant de problèmes du côté de sa propre majorité que du côté de l'opposition.
De temps en temps, il se trouve certes un premier ministre pour essayer de prouver qu'il fait un peu plus de place aux femmes que les autres. Ce fut le cas d'Alain Juppé il y a six mois - le même Juppé qui affirmait encore le 19 octobre que le « combat pour la parité entre les hommes et les femmes » est « un enjeu essentiel pour le gouvernement » . On sait comment, trois semaines après, le naturel est revenu au galop !
Quant au sommet de la haute administration, au niveau des postes « laissés à la discrétion du gouvernement », les femmes y sont moins de 6 %.
Derrière l'égalité juridique formelle, les inégalités sociales entre les hommes et les femmes se perpétuent
L'école, d'abord, continue de recréer la distinction sociale entre les sexes par le truchement de ses filières plus ou moins « féminines » ou « masculines ». Dans tous les pays d'Europe occidentale, le nombre des filles scolarisées au niveau de l'enseignement secondaire a progressé très rapidement dans le cours des années 1970, mais les orientations au niveau du bac restent fortement différenciées selon le sexe, en fonction des modèles admis dans la vie sociale.
Et il se trouve que, sur le marché du travail, un même niveau de diplôme n'a pas la même valeur selon le sexe du diplômé.
Au nom de l'égalité, les discours officiels manifestent la satisfaction devant le fait que la participation des femmes à la vie professionnelle a beaucoup augmenté. Aujourd'hui, près de 80 % des femmes en âge de pleine activité travaillent, ou recherchent un emploi, y compris celles qui ont un et même deux enfants.
Mais, globalement, les femmes gagnent entre 20 et 24 % de moins que les hommes. Elles sont concentrées dans des catégories d'emplois moins payés - gardes d'enfants, employées de nettoyage, vendeuses, et, bien sûr, employées de bureau, sans oublier les infirmières et les institutrices. Dans une même catégorie d'emplois, elles occupent moins souvent les positions professionnelles élevées. Même dans la Fonction Publique d'État, la rémunération moyenne des femmes est inférieure à celle des hommes.
Et les chômeuses sont, proportionnellement, presque deux fois plus nombreuses que les hommes. La différence est encore plus grande parmi les jeunes. En outre, les durées de chômage des femmes sont supérieures.
Mais surtout, il est frappant de constater que l'augmentation du nombre des femmes au travail est due avant tout à la prolifération des emplois précaires (elles sont majoritaires pour les contrats à durée déterminée et les emplois du type « contrats emploi-solidarité » ), et à l'extension des emplois à temps partiel, qui sont occupés à plus de 80 % par des femmes.
Pour ces emplois à temps partiel, c'est peut-être un choix de la part de certaines femmes - pour un tiers d'entre elles, d'après diverses études sur le sujet - mais, quand plus des trois quarts des femmes ayant deux enfants à charge travaillent, on peut se demander si c'est un véritable choix. On sait bien que les services, tels que les crèches, qui pourraient alléger cette charge sont notoirement insuffisants. Et cela n'est pas en passe de -s'améliorer.
Depuis 1973, et surtout 1980-1981, le patronat orchestre, on le sait, sa campagne pour la « flexibilité » de la main-d'oeuvre, contre les « rigidités ». Et quand on parle d'horaires « flexibles », ce sont sans doute les femmes que cela handicape le plus, surtout si elles sont mères célibataires.
On utilise moins que par le passé, jusque là en tout cas, le discours en faveur du retour de la femme au foyer, désignée comme bouc-émissaire pour le chômage (sauf Le Pen et De Villiers pourtant). Mais, de fait, avec des méthodes plus variées, c'est une forme de retrait des femmes du marché du travail qui s'est légalement mise en place.
Enfin, bien sûr, c'est sur les femmes que continue de peser essentiellement la charge du ménage et de la famille, et peu de choses ont changé dans la lourdeur de la « double journée » des travailleuses. Ce sont elles, les vraies « super-women », et beaucoup de travailleuses ne voient sans doute toujours pas où est leur libération.
C'est que, même si la misogynie des politiciens français bat des records, de toute manière, la reconnaissance du droit de vote des femmes, en 1944-1945, ne pouvait pas constituer une révolution. Dans le cadre du parlementarisme bourgeois, le droit de vote ne peut guère être autre chose qu'un thermomètre, qui permet de mesurer l'étendue des libertés démocratiques dont les opprimés peuvent tirer parti dans leurs luttes, mais qui en lui-même ne saurait être le moyen de leur émancipation. Il en va en ce domaine du droit de vote des femmes comme il en a été pour les travailleurs du suffrage dit universel.
Et les pays qui sont dirigés par des femmes ne sont pas plus des exemples de démocratie, y compris en ce qui concerne les droits des femmes. Il suffit pour s'en convaincre de penser à la république d'Irlande, dont la présidente est une femme, mais où l'avortement, sous la pression de l'Eglise catholique, est banni.
Un combat que nous menons au nom du socialisme
Force est de constater que les conquêtes des années d'après 1968 ne peuvent pas être considérées comme irréversibles. Le fait que la société en général, et la situation des femmes en particulier, ne puissent pas progresser lorsque la classe ouvrière recule, nous pouvons le vérifier directement avec l'évolution de ces dernières années.
Dans les années 80, le mouvement féministe a presque complètement disparu partout, pas seulement en France. Bien des militantes féministes des milieux intellectuels et bourgeois se sont reconverties et ont succombé aux charmes plus ou moins discrets de la bourgeoisie. Non seulement la défense du droit des femmes n'est plus à la mode dans les grands moyens d'information, mais elle est même ridiculisée ou dévoyée. Les magazines proposent parfois des « super-femmes » d'affaires en couverture au lieu de top models, mais cela joue le même rôle : les femmes auraient gagné tout ce à quoi elles peuvent prétendre, que pourraient-elles bien revendiquer de plus ? L'égalité, elles sont censées l'avoir obtenue.
Et pourtant ! Pourtant, dans l'immédiat, la législation sur la contraception et l'IVG est contestée dans les faits, depuis dix ans, par des commandos d'extrême-droite, même si les médecins qui acceptent de pratiquer des IVG n'en sont pas encore en France comme aux États-Unis à se munir de casques et de gilets pare-balles, et les cliniques concernées de portes blindées. Cette législation est contestée aussi dans la pratique par le manque de moyens attribués aux hôpitaux (près du tiers des hôpitaux publics ne disposent pas de centres d'IVG sur place) ; par la mentalité réactionnaire d'une partie des médecins et de l'administration ; parce que le gouvernement est incapable de faire respecter la législation en vigueur pour peu qu'elle se heurte à ce que la société compte de couches et d'institutions réactionnaires. Et elle en compte de plus en plus ! L'IVG n'est qu'un droit toléré, pas vraiment accepté, que beaucoup d'esprits arriérés rêvent de remettre en cause, et pour lequel il faut encore combattre.
Ce combat est le nôtre. Nous ne le menons pas au nom du féminisme. Nous le menons au nom du socialisme.
La lutte pour l'émancipation des femmes est indissociable de la lutte pour le renversement des sociétés de classes
Nous pensons en effet que la caractéristique essentielle de notre société, c'est d'être divisée en classes, exploités d'un côté, exploiteurs de l'autre, et que la seule force sociale capable de révolutionner jusqu'au bout cette société, c'est la classe ouvrière, parce qu'elle n'a rien à perdre à ces changements.
Les femmes ne constituent pas une classe. Il y a parmi elles des bourgeoises et des prolétaires, des exploiteuses et des exploitées, même si toutes sont des opprimées (les bourgeoises moins que les prolétaires, cependant).
C'est la raison pour laquelle le féminisme, quand il se limite justement au féminisme, ne peut pas aller jusqu'au bout, y compris sur le seul terrain de l'émancipation des femmes, parce que - l'histoire l'a toujours montré - vient forcément un moment où les femmes qui militent sur ce seul terrain-là sont prisonnières de leurs solidarités de classe.
Les travailleurs ne sont certes pas tous débarrassés des préjugés liés au sexe. Mais l'une des tâches du mouvement socialiste, c'est justement de combattre ces préjugés parmi les exploités, de leur montrer que, comme le disait si bien Charles Fourier, «partout où l'homme a dégradé la femme, il s'est dégradé lui-même», et que, tout comme un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre, un sexe qui en opprime un autre ne peut pas être libre.
Mais c'est la classe ouvrière unie et elle seule qui, en transformant la société de fond en comble et en jetant bas l'exploitation, ouvrira la porte à un monde d'où toutes les oppressions auront disparu.