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- Lutte ouvrière n°2354
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Il y a 40 ans, Chili, 11 septembre 1973 : Le coup d'État de Pinochet et l'écrasement du mouvement ouvrier
Allende avait été porté au pouvoir trois ans auparavant, en septembre 1970, dans le cadre d'une alliance électorale dont les principales composantes étaient le Parti communiste, le Parti radical, le MAPU (scission de gauche de la Démocratie chrétienne). Mais le résultat électoral de cette coalition de gauche étant insuffisant pour former une majorité, les dirigeants du Parti socialiste et du Parti communiste avaient conclu un accord avec la Démocratie chrétienne, parti de centre droit dirigé par le président sortant Eduardo Frei, au pouvoir depuis cinq ans mais fortement discrédité.
Par cette alliance, les dirigeants socialistes et communistes de l'Unité populaire montraient qu'ils entendaient gouverner dans le respect de l'ordre social et institutionnel, tout en promettant le changement à la classe ouvrière et à la paysannerie. L'arrivée au pouvoir par les urnes d'Allende fut saluée par la gauche dans de nombreux pays comme la preuve qu'il était possible d'aller au socialisme par la voie électorale. Un slogan crié alors au Chili et dans les milieux de gauche de nombreux pays proclamait : « Le peuple uni ne sera jamais vaincu ». Il illustrait un espoir sans doute, mais aussi bien des illusions dont l'issue fut tragique.
DU RÉFORMISME DE DROITE AU RÉFORMISME DE GAUCHE
Le Chili qui, dans les années 1960-1970, comptait environ 10 millions d'habitants, était parmi les pays d'Amérique latine au revenu moyen par tête d'habitant le plus élevé. Néanmoins, l'immense majorité des paysans vivait dans la misère. Les mines, les industries, les banques appartenaient aux compagnies nord-américaines ou aux plus riches familles.
Il y avait au Chili une tradition de luttes sociales et un mouvement ouvrier avec des partis de gauche et un mouvement syndical importants, représentés notamment par la CUT (Centrale unique des travailleurs), étroitement liée au Parti communiste.
Les tentatives de réformes du gouvernement du démocrate chrétien Eduardo Frei, au pouvoir depuis 1964, ne changèrent rien à la situation des classes populaires. Les grèves se multipliaient et en 1966, l'armée tira sur les mineurs à El Salvador. Le responsable de la tuerie était le colonel Augusto Pinochet.
Le gouvernement d'Allende et ses alliés répondit au mécontentement populaire en promettant des réformes sociales, entre autres une réforme agraire radicale et de nouvelles nationalisations. En effet, en butte à l'opposition des classes possédantes, il avait besoin de gagner l'appui des classes populaires. Allende s'engageait à faire appel à leur mobilisation si les classes possédantes et l'armée s'opposaient à ses réformes. Mais en même temps il expliquait aux ouvriers, aux mineurs, aux paysans, qu'il fallait savoir composer avec Eduardo Frei et limiter provisoirement leurs exigences. En réalité, le nouveau gouvernement choisissait de marcher dans les pas du précédent.
Au lendemain de sa mise en place, le gouvernement d'Unité populaire prit quelques mesures en faveur des plus pauvres. Elles valurent à Allende une certaine popularité, en leur assurant notamment la distribution de produits alimentaires de base. Mais c'était peu et cela ne faisait pas oublier que les mesures de réforme agraire profitaient essentiellement aux couches moyennes de la paysannerie. Quant aux nationalisations, elles s'accompagnaient de procédures de rachat par l'État, ruineuses pour les finances publiques.
LA MONTÉE DES TENSIONS SOCIALES
Au fil des semaines et des mois, l'agitation sociale continua, marquée par les luttes des travailleurs, des mineurs, des paysans pauvres. Le régime paraissait impuissant tandis que les classes moyennes s'agitaient et que l'armée faisait pression pour exiger le maintien de l'ordre.
La crise s'aggrava en juillet 1971, au lendemain de la nationalisation des mines de cuivre, quand apparurent les conséquences des mesures de « rachat » sur l'endettement du pays. Le mécontentement des classes moyennes fut exploité par la droite et l'extrême droite. Des manifestations de bourgeois et petits-bourgeois hostiles à Allende parcouraient les rues des grandes villes en clamant leur opposition à une politique qui, selon eux, conduisait le pays à la ruine. En octobre 1972 éclata une ample grève des camionneurs, organisée par la droite et soutenue par la bourgeoisie chilienne, les directions d'entreprises liées aux capitaux américains, ainsi que par l'extrême droite et une partie de l'état-major.
La situation était tendue sur tous les fronts car en même temps, dans les quartiers populaires et les campagnes, le mécontentement se traduisait par des grèves, des occupations de terres et des manifestations. La menace d'une intervention de l'armée devint de plus en plus pressante. Même si aux élections législatives de mars 1973, l'Unité populaire resta majoritaire avec 43,4 % de voix.
À diverses reprises, Salvador Allende renouvela ses appels aux classes populaires, déclarant vouloir leur appui et se disant prêt à leur donner des armes si son gouvernement était menacé. En réalité, les dirigeants de l'Unité populaire tentaient de montrer leur capacité à calmer les revendications populaires, alors que les mouvements sociaux se développaient et que la classe ouvrière s'organisait.
Mais bientôt les mineurs de cuivre ripostèrent par la grève aux attaques du patronat des mines. Lors d'une manifestation à Santiago, de nombreux affrontements eurent lieu. La situation devint encore plus tendue.
FACE À UN COUP D'ÉTAT ANNONCÉ, LA CLASSE OUVRIÈRE DÉSARMÉE
L'extrême droite et les militaires intervenaient de plus en plus contre la population dans les campagnes et les quartiers populaires. Mais les travailleurs de leur côté s'organisaient et faisaient face, se défendant contre les nervis d'extrême droite et se mobilisant pour combattre le marché noir et assurer le ravitaillement dans les quartiers. Alors que, du côté des militaires, il devenait de plus en plus évident qu'un putsch se préparait, la classe ouvrière se montrait prête à réagir si on le lui demandait.
Mais Allende demanda aux classes populaires de la sagesse et... des efforts pour augmenter la production afin de combattre le fascisme. Quant au Parti communiste, il lança une campagne de pétitions pour dire « Non à la guerre civile ». En fait, les dirigeants du gouvernement d'Unité populaire démobilisaient la classe ouvrière.
Une première tentative de coup d'État militaire échoua le 29 juin 1973. Allende chercha à se concilier les militaires et, le 9 août, il les appela au gouvernement, nommant Pinochet commandant en chef des armées. L'armée, relayée par l'extrême droite, commença à prendre le contrôle de régions entières.
Face à cette situation, les classes populaires attendaient des chefs de l'Unité populaire des consignes et des armes. Allende leur répondit le 9 septembre en proposant l'organisation d'un référendum !
Le 11 septembre, le coup d'État militaire, au cours duquel Pinochet fit bombarder le palais présidentiel, ne fut pas une surprise. Mais tous ceux qui, dans les villes, les campagnes, les quartiers populaires, se préparaient à faire face aux militaires, attendirent en vain les consignes et les armes que les dirigeants du Parti socialiste et du Parti communiste leur avaient promises.
Rien ne vint. L'armée ne se cassa pas en deux comme l'avaient laissé espérer les dirigeants du gouvernement d'Unité populaire. Les carabiniers, hostiles à Pinochet, se rangèrent du côté de l'état-major après avoir attendu en vain des ordres du gouvernement qui ne vinrent pas. Tous ceux qui refusèrent d'obéir furent exécutés. En quelques jours, des dizaines de milliers de personnes, travailleurs, paysans, militants et suspects furent arrêtés, parqués dans des stades, des terrains vagues. Beaucoup furent torturés, des milliers furent exécutés. La mort d'Allende, dont on apprit plus tard qu'il s'agissait d'un suicide, fut annoncée.
Il s'agissait de briser par la terreur toute velléité de résistance des classes populaires. La gauche et le mouvement ouvrier chiliens étaient écrasés. Le peuple chilien entrait dans les ténèbres d'une dictature qui allait durer dix-sept ans.
Salvadore Allende est aujourd'hui célébré à gauche comme un martyr victime de la réaction et des violences militaires, mais c'est une partie de la réalité. La politique réformiste d'Allende et des partis de l'Unité populaire se voulait respectueuse de la bourgeoisie, de la propriété capitaliste, mais aussi de l'armée, des institutions et de l'ordre bourgeois. Face à la réaction militaire, appuyée par la bourgeoisie chilienne et par l'impérialisme américain, ils excluaient de faire appel à une mobilisation populaire qui serait alors devenue révolutionnaire. Ce faisant, ils conduisaient consciemment les travailleurs à l'abattoir.
Le suicide d'Allende, préférant se donner la mort plutôt que d'organiser la lutte du peuple qui l'avait soutenu, reste aussi le symbole de l'impasse du réformisme.