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Turquie : la grève s’étend dans l’automobile
Depuis le 14 mai, les 5 000 travailleurs de la plus grande usine de Turquie, Renault Oyak, sont en grève. Ils occupent l’usine jour et nuit, week-end compris. À leur tour, les 4 500 travailleurs de l’usine Tofas, du groupe Fiat, ont commencé une grève avec occupation. Ils ont été suivis par les 2 000 ouvriers de Coskunoz et les 1 200 de Mako, deux équipementiers de Renault. Ces usines se trouvent dans l’immense zone industrielle de la plaine de Bursa, où travaillent 300 000 ou 400 000 ouvriers, principalement dans l’automobile ou sa sous-traitance.
Le principal objectif des travailleurs en grève concerne le salaire. La devise, la livre turque, ayant chuté de plus de 25 % en un an, les salariés ont perdu plus de 20 % de pouvoir d’achat sur la même période, les accords signés par le patronat et le syndicat ne proposant qu’une augmentation symbolique de 3 %. La contestation grandissait déjà depuis plusieurs semaines parmi les ouvriers de Renault, qui s’entendaient répondre, aussi bien par les patrons que par les dirigeants syndicaux de Türk-Metal, lié à la confédération propatronale Türk-is, que les accords étaient désormais signés et qu’on reverrait cela… dans trois ans. C’était une provocation de plus, les accords habituellement signés entre Türk-is et les patrons de l’industrie regroupés dans le MESS étant d’une durée de deux ans.
Or, depuis le 15 avril, les travailleurs de l’usine Bosch, dans la même zone industrielle, ont rapidement obtenu, à la suite d’une grève et malgré les accords déjà signés, une augmentation d’environ 20 %. En dépit de la discrétion des grands médias, cela s’est su très vite dans les usines voisines.
Partageant les mêmes revendications, les travailleurs des autres usines de la zone industrielle expriment leur solidarité. Depuis plusieurs jours ils refusent les heures supplémentaires, boycottent les cantines et viennent à la rencontre des grévistes qui occupent leur lieu de travail, malgré les menaces du préfet et de la police. Des pancartes affichant ce soutien sont placardées sur les enceintes et la contagion atteint les travailleurs d’autres entreprises, comme Valeo ou Delphi. Les familles des grévistes, les amis et les voisins viennent leur apporter de la nourriture : Bursa entre en ébullition.
Comme à son habitude, la direction de Renault a d’abord voulu répondre à la contestation, en licenciant 14 ouvriers considérés comme des meneurs. Elle n’a fait que provoquer l’élargissement du conflit, et a dû reculer en retirant les licenciements… trop tard, car la grève était devenue générale.
Maintenant, les directions de Renault et de Tofas essaient de faire reprendre le travail à l’aide de promesses peu convaincantes et en assurant qu’il n’y aura pas de sanctions. Mais ils se voient répondre : « Ce genre de promesses, on connaît ! Ce qu’on veut, c’est une augmentation de salaire de plus de 20 %, comme ceux de Bosch, le droit de choisir notre syndicat, l’amélioration de nos conditions de travail et la fin de toutes les sanctions. » La détermination des grévistes peut se mesurer aux slogans scandés au cours de l’occupation : « Nous sommes des ouvriers, nous avons raison et nous vaincrons ! » ou « Plutôt la mort que la capitulation ! » Des comités ont été élus pour diriger la grève et les grévistes semblent décidés à ne pas se laisser influencer par les confédérations syndicales, qu’elles emploient la menace, comme Türk-is qui qualifie la grève d’illégale, ou qu’elles se prétendent une alternative, comme la confédération Disk, en fait tout aussi prête aux compromis avec les patrons.
Les ouvriers d’autres grandes villes industrielles, dans la région d’Istanbul notamment, sont eux aussi gagnés par la contagion, chez Hyundai et Ford par exemple. Dans cette dernière usine, près d’Izmit, une grève devait débuter le 20 mai, sur les revendications de salaire et pour exiger la réintégration de plusieurs dizaines de travailleurs licenciés.
L’agitation trouve un écho particulier dans le contexte de la campagne des élections législatives du 7 juin. Dans ce cadre, les partis d’opposition, principalement le parti social-démocrate CHP, ont choisi de mettre l’accent sur la situation des travailleurs, faisant campagne depuis quelque temps sur le salaire minimum. Ils promettent de faire passer ce dernier de 960 livres turques net à 1 500 (environ 500 euros) et d’instaurer un mois double pour les retraités à l’occasion des deux périodes de fêtes. La revendication des grévistes de Renault, dont la fourchette de salaire se situe nettement au-dessus du salaire minimum, entre 1 300 et 2 000 LT, apparaît justifiée à nombre de travailleurs.
En effet l’inflation n’a fait que s’ajouter au mécontentement dû aux conditions de travail déjà éprouvantes dans l’industrie du pays. De son côté Erdogan, président et chef du parti conservateur au pouvoir, a maintenant perdu une partie du crédit qui lui avait permis de remporter les élections présidentielles au nom de la croissance économique qu’avait connue le pays. Il se trouve à présent confronté à un mouvement de grève susceptible de s’étendre, car les revendications de ceux de Renault et de Tofas sont celles des 14 ou 15 millions de travailleurs. Qu’il remporte ou non les élections législatives du 7 juin, c’est maintenant un véritable incendie social qui pourrait s’étendre à toute la Turquie.