Avril 1944, les femmes peuvent enfin voter29/05/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/05/une_2913-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1262%2C1644_crop_detail.jpg

il y a 80 ans

Avril 1944, les femmes peuvent enfin voter

Le 21 avril 1944, il y a 80 ans, le droit de vote était accordé aux femmes par le gouvernement provisoire de De Gaulle. Un an plus tard, le 29 avril 1945, lors des élections municipales, elles allaient exercer massivement ce droit que la République française et les autres régimes leur avaient obstinément dénié jusqu’alors.

La France était particulièrement en retard, la Nouvelle-Zélande avait permis le vote des femmes en 1893, le Danemark en 1915, la Russie révolutionnaire en 1917, le Luxembourg et l’Allemagne en 1918. Même des pays aux régimes bien plus autoritaires l’avaient déjà admis, comme la Turquie en 1934.

La bourgeoisie française, qui craignait les milieux populaires et ouvriers, fut déjà très réticente à accorder le droit de vote à l’ensemble des citoyens de sexe masculin. Ce fut le cas en 1848, mais étendre ce droit à la population féminine aurait augmenté le poids des masses populaires dans le corps électoral, alors que les femmes avaient participé massivement à la Révolution française de 1789 comme aux révolutions de 1830 et 1848. Une fois son pouvoir établi, la bourgeoisie avait rompu avec les idées de ses membres les plus progressistes, pour se réfugier dans le conservatisme social.

La Révolution française vit Olympe de Gouges écrire en 1791 une Déclaration des droits des femmes, et les femmes n’allaient cesser de se mobiliser pour arracher leurs droits, dont celui de voter. Après la révolution de 1848, Jeanne Deroin fut une des premières femmes à braver les institutions en se présentant en 1849 à une élection. La limitation des droits des femmes ne s’arrêtait d’ailleurs pas au droit de vote, elle concernait aussi l’impossibilité de pratiquer de nombreuses professions, imposait de rester sous la tutelle du mari, père ou frère toute sa vie. Ces mesures édictées sous Napoléon Ier, avec le recul de la révolution, frappaient tous les milieux, les femmes bourgeoises comme les femmes prolétaires.

Premières tentatives

Sous la IIIe République, instaurée après la répression féroce de la Commune de Paris, les revendications des femmes furent étouffées et l’on vit fleurir les thèses prétendument scientifiques affirmant leur infériorité et leur incapacité de jugement.

Le mouvement pour le droit de vote des femmes se reconstruisit grâce à l’action de militantes comme Hubertine Auclert. « Femmes de France, nous aussi nous avons des droits à revendiquer : il est temps de sortir de l’indifférence et de l’inertie, pour réclamer contre les préjugés et les lois qui nous humilient. Unissons nos efforts, associons-nous ; l’exemple des prolétaires nous sollicite », écrivait-elle en 1876. Elle défendait conjointement l’égalité des salaires, la fin de la double morale condamnant les femmes bien plus durement que les hommes en cas d’adultère. Intervenant lors du congrès des socialistes à Marseille en 1879, elle y fut chaudement applaudie.

En 1885, Louise Barberousse s’étant battue pour s’inscrire sur les listes électorales, son acharnement donna lieu à un arrêt « Dame Barberousse » stipulant l’invalidité des inscriptions de femmes sur les listes électorales. Quelques mois plus tard, une fédération socialiste présenta une liste de quatorze femmes qui osèrent braver les moqueries, les insultes des journalistes et du monde politique et d’une partie du public. Elles n’en recueillirent pas moins des voix d’hommes et deux d’entre elles furent même élues lors des élections communales à Houquetot en Seine-Inférieure et à Vornay dans le Cher, avant que leur élection soit invalidée.

Le mouvement féministe bourgeois

Les milieux intellectuels en particulier craignaient la concurrence des femmes. De plus, la combativité des ouvrières et de toutes les femmes de prolétaires allait être en France un frein au mouvement des femmes bourgeoises qui se développait au même moment dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne, celles-ci craignant d’être assimilées aux communardes désignées comme des sauvages, des « pétroleuses ».

Au tournant du siècle, le mouvement dit des suffragettes, issu des milieux bourgeois, se développa, encouragé notamment par l’exemple des suffragettes anglaises qui avaient pris d’assaut à 300 la Chambre des communes de Londres. Relatant le congrès de deux associations féministes, Le Figaro du 12 avril 1896 écrivait : « On conçoit que de braves bourgeoises, voyant en pays étranger des femmes régner sur de grands peuples, se demandent pourquoi, chez elles, on leur refuse le droit d’être électeurs ou éligibles », témoignant ainsi d’un début d’évolution.

En juillet 1906, Paul Dussaussoy, député du Pas-de-Calais, déposa un amendement pour le vote des femmes aux élections municipales et départementales. Il fallut attendre 1919 pour qu’une proposition de loi soit enfin discutée et... repoussée par le Sénat. « Ce n’est pas parce que la France a contracté une dette de reconnaissance vis-à-vis de la femme, qu’il faut se livrer à des exagérations telles que de dépouiller à leur profit nos héros de la direction des affaires publiques », déclara alors un sénateur conservateur. Et, lors d’une nouvelle discussion au Sénat en 1932, Raymond Duplantier justifia son opposition en ces termes : « Au contact des femmes dans les luttes électorales, le caractère des hommes, s’il risque de gagner en violence impulsive, perdra de son énergie et de sa virilité. »

La politique des partis ouvriers

Après la guerre de 1914-1918, le combat fut repris en particulier par le Parti communiste, né en 1920 dans la foulée de la révolution russe. Les années suivantes, il présenta systématiquement des listes comportant des femmes en position éligible, dont les préfectures ou le Conseil d’État annulaient l’élection. Mais, en 1936, le gouvernement de Front populaire refusa de s’engager pour le vote des femmes, se limitant à la nomination de trois secrétaires d’État femmes, même pas reconduites lors de la formation de son deuxième cabinet en 1938. La guerre ayant de nouveau reposé la question, le régime de Pétain, établi avec les pleins pouvoirs en juillet 1940, révisa la Constitution. Les femmes furent notamment exclues de la fonction publique, mais eurent un siège réservé dans les conseils municipaux pour y défendre la natalité et s’occuper des œuvres charitables.

Il fallut attendre avril 1944, alors que s’approchait la fin du régime de Pétain et de l’occupation allemande, pour que le gouvernement provisoire présidé par de Gaulle mette la reconnaissance du droit de vote des femmes à son programme. Au moment où la bien bourgeoise république française tentait de retrouver une continuité et d’asseoir son crédit, il lui fallait faire ce type de concession démocratique pour que les possédants puissent sauvegarder l’essentiel et que le Parti communiste, notamment, puisse justifier son soutien à de Gaulle.

Bien des aspects réactionnaires de la législation frappant en particulier les femmes allaient encore demeurer pour de longues années. Quant à la véritable égalité entre les sexes, elle ne pourra être atteinte qu’avec la libération de toute la société du carcan du capitalisme.

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