Kazakhstan : un régime qui craint sa classe ouvrière26/06/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/06/une_2917-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1265%2C1644_crop_detail.jpg

Dans le monde

Kazakhstan : un régime qui craint sa classe ouvrière

Depuis le soulèvement populaire et ouvrier de
janvier 2022, qui avait ébranlé le régime des
bureaucrates kazakhs, celui-ci n’en finit pas
de réprimer les « bandits et terroristes ».

Ainsi, à Almaty, la principale ville du pays, un procès qui a duré neuf mois vient de conclure à la culpabilité des onze accusés : ils auraient pris d’assaut la mairie de la ville et, plus grave, la résidence du président. Le procureur avait d’abord requis dix à douze ans de prison. Puis, il a demandé quatre ans, devant l’absence de preuves incriminant précisément tel ou tel. Et c’est bien un des problèmes des juges, des policiers et finalement des dirigeants kazakhs : c’est l’immense majorité de la population qui, révoltée par des hausses de prix des carburants, s’était dressée contre la dictature de l’ex-président Noursoultan Nazarbaïev et de son successeur Kassym-Jomart Tokaïev.

Pire pour eux, cette révolte politique contre le régime avait débuté, comme dix ans auparavant à Janaozen, par des grèves massives dans le coeur économique du pays : l’industrie gazière et pétrolière de l’Ouest. La classe ouvrière kazakhe, nombreuse, concentrée et combative, avait démarré la lutte, entraînant à sa suite le reste de la population.

Deux ans et demi plus tard, le régime n’ignore pas qu’il reste honni, même s’il a pris ses distances avec Nazarbaïev, qu’il a lâché. Alors, il réprime toujours et encore ceux qu’il suspecte, et i l sait qu’i ls sont très nombreux, d’avoir sympathisé avec la révolte, sinon d’y avoir participé.

Durant ce « Janvier sanglant » de 2022, Tokaïev avait donné l’ordre à la police et à l’armée de « tirer sans sommation » sur les « 20 000 bandits et terroristes », disant qu’ils voulaient la perte du pays. Sans succès. Les trusts européens, américains et chinois qui exploitent les richesses minières du Kazakhstan ayant alors exigé du régime qu’il fasse cesser les grèves et les manifestations, Tokaïev appela Poutine à la rescousse. Ayant envoyé sur place des tanks et ses forces spéciales, le Kremlin se chargea de sauver la mise à la bureaucratie locale ainsi qu’à Total, E x xon, A rcelorM it ta l et autres géants mondiaux.

Du 2 au 10 janvier 2022, la répression fit officiellement 238 morts, en réalité bien plus. Il y eut 10 000 personnes arrêtées, détenues sans jugement, parfois torturées. Depuis, les procès se succèdent dans chacune des villes touchées par la révolte et 1 400 personnes ont déjà été condamnées pour « par ticipation au x émeutes ».

Le régime veut faire des exemples, dans l’espoir que cela effraie la population et rassure les « investisseurs » occidentaux et leurs États. Mais l’expérience des grèves et manifestations des ouvriers du pétrole et du gaz en 2012 montre que leur répression féroce n’avait pas empêché, dix ans plus tard, la colère sociale d’exploser à nouveau à partir des mêmes foyers. Et, même si les médias occidentaux n’en parlent pas, la répression actuelle n’a pas empêché, en décembre dernier, qu’éclate une grève massive des ouvriers du groupe pétrolier privé West Oil Software. Ils exigeaient notamment une hausse de leurs salaires – qui ne dépassent pas 320 000-350 000 tengués, soit 660-720 euros – et l’amélioration d’une sécurité au travail quasi inexistante. Et même si, dès le premier jour, un tribunal a déclaré la grève illégale, elle a duré plus de deux mois.

Le régime de Tokaïev peut condamner à tour de bras, il n’est pas certain que cela lui assure durablement la paix sociale.

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