Russie : le régime contre les grèves20/11/20242024Journal/medias/journalnumero/images/2024/11/une_2938-c.jpg.445x577_q85_box-0%2C7%2C1265%2C1644_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : le régime contre les grèves

Un débrayage de deux heures était prévu le 19 novembre dans une brigade d’une quarantaine d’ouvriers sur deux équipes d’une grande usine de camions. Cette usine, AZ Oural, est située à Miass, une ville de 150 000 habitants, dans la région très industrielle de l’Oural.

Les ouvriers de la chaîne d’assemblage des plateformes de camions militaires réclament l’intégration à leur salaire d’une prime récemment octroyée d’un montant de 16 050 roubles, soit à peine plus de 150 euros. Ils ne veulent pas que, demain, la direction puisse leur reprendre ce qu’elle vient de leur céder pour les « motiver » à remplir les objectifs de production.

L’annonce du débrayage a pourtant suffi pour que, avant même qu’il ait lieu, la direction s’en prenne aux ouvriers ayant contresigné la déclaration de grève déposée par le syndicat indépendant Oural, le principal de l’entreprise.

Le 15 novembre, le président du syndicat ayant confirmé que le débrayage aurait bien lieu, les chefs l’ont « retenu » par la force à son poste de travail et menacé de « sanctions administratives » (pénales) s’il persistait. Puis, la direction a convoqué un par un les 18 ouvriers signataires et leur a mis sous le nez la loi du 19 juin 2004 « Sur les réunions, les rassemblements publics, les manifestations, les marches et piquets de protestation ». Cette loi réprimant de fait toutes ces formes d’action, il s’agissait de les intimider.

Bien que le syndicat ait choisi d’agir dans les règles avec le dépôt d’un préavis et l’approbation de la grève signée par ceux qui revendiquent, la direction l’a accusé d’infraction à la loi : il avait omis de consulter sur la grève une vingtaine d’intérimaires. Quant à la police, prévenue par le patron, elle a cueilli le responsable du syndicat à la sortie pour le menacer des peines encourues pour non-respect de la loi.

Cette usine fournit toutes sortes de chantiers (BTP, exploitation forestière, etc.), mais est surtout connue, depuis sa création en 1941, pour livrer à l’armée des transports de troupes, des tracteurs de canons, des plateformes mobiles de lance-roquettes. Or la grève menaçait juste une semaine après la bruyante annonce d’un investissement de 500 millions de roubles (5 millions d’euros), dont une majorité de fonds fédéraux. L’objectif était de porter la production des semi- remorques à 660 par an, car si la guerre en Ukraine fait des ravages dans la troupe, elle n’épargne pas le matériel militaire. Alors, pour la direction, les autorités militaires et policières, il n’était pas question de laisser des grévistes perturber la production.

Dans les usines du complexe industriel de défense, il n’est pas rare que des travailleurs, estimant se trouver en position de force, tentent d’obtenir qu’on améliore leurs conditions de salaire et de travail, alors que faire 60 heures par semaine est fréquent. Mais les autorités ne laissent rien passer sans réagir. Elles s’y prennent même de façon préventive, notamment avec une campagne télévisée « patriotique » qui exalte ceux qui « combattent pour la patrie » et dénonce comme traîtres tous ceux dont les agissements nuiraient à « l’opération spéciale » de Poutine. Cela vise entre autres à décourager les velléités grévistes, mais aussi à susciter partout un climat de suspicion, sinon de délation. Et dans les entreprises, les « patriotes » stalino-poutiniens sont prompts à voir des ennemis parmi ceux qui rechignent, disent un mot de travers ou ceux qu’ils pourraient accuser de sabotage. Quant aux médias, ils mettent en avant les prétendus agents ukrainiens débusqués par le pouvoir, tels des jeunes ou moins jeunes qui s’en prennent aux centres de mobilisation et qu’une justice aux ordres condamne à de lourdes peines de prison.

Avec l’inflation qui flambe et ampute le pouvoir d’achat, avec les pertes énormes au front que les autorités ne pourront pas éternellement dissimuler, il n’est pas dit que le mécontentement ne finira pas par éclater dans la classe ouvrière. Le pouvoir des bureaucrates et des oligarques ne pourra pas toujours l’empêcher.

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