- Accueil
- Lutte de Classe n°5
- Que faire dans les syndicats ? 2 - L'activité des révolutionnaires à FO ou à la CFDT
Que faire dans les syndicats ? 2 - L'activité des révolutionnaires à FO ou à la CFDT
Nous avons montré, dans les précédents articles de Lutte de classe consacrés à l'activité syndicale des militants révolutionnaires [[Voir Lutte De Classe n°1 (Les militants révolutionnaires et les syndicats) et n°3 (Que faire dans les syndicats ? 1- L'activité des révolutionnaires à la CGT).]], que le seul choix politique possible en France, pour une organisation révolutionnaire, est de militer à la CGT.
Mais il est cependant un certain nombre de circonstances où des militants révolutionnaires ne peuvent plus militer à la CGT. Lorsqu'ils ont purement et simplement été exclus, évidemment, mais aussi lorsque la situation qui leur est faite par l'appareil ne leur permet pratiquement plus d'avoir une activité syndicale. Dans ces cas-là, le problème qui se pose à ces militants est bien sûr de chercher un autre cadre dans lequel ils puissent mener une activité syndicale, c'est-à-dire de militer à Force Ouvrière ou à la CFDT.
Mais il faut bien comprendre que l'activité syndicale au sein de l'une quelconque de ces deux confédérations ne peut être, pour les militants concernés qu'une position de repli. Que les autres militants révolutionnaires de l'entreprise qui peuvent continuer à militer à la CGT doivent le faire. Et que ceux qui ont été amenés à militer à FO ou à la CFDT ne doivent pas pour autant cesser de militer en direction des travailleurs organisés par la CGT, ou influencés par elle.
S'il nous paraît nécessaire d'insister sur ce point, c'est parce qu'il ne s'agit pas là d'un débat académique, mais d'un problème qui se pose très concrètement au mouvement révolutionnaire français, puisque tant l'OCI (la section française du Comité International) que la Ligue Communiste la section française du Secrétariat Unifié), privilégient dans le faits l'activité syndicale au sein de l'une des deux confédérations minoritaires, Force Ouvrière en ce qui concerne l'OCI, la CFDT en ce qui concerne la Ligue Communiste. Ni l'une, ni l'autre, de ces organisations trotskystes, n'écrivent certes dans leurs textes qu'il faut abandonner l'activité au sein de la CGT pour militer ailleurs. Mais, pour justifier leur pratique, elles sont amenées à peindre, dans leur presse politique, FO (ou la CFDT) avec des couleurs qui ne correspondent absolument pas à la réalité, et à accorder à ce qui se passe au sein de ces confédérations une importance dans la lutte de classe démesurée.
Cette pratique syndicale profondément semblable sur le fond de l'OCI et de la Ligue Communiste se double d'ailleurs d'une âpre polémique, l'OCI dénonçant violemment le fait que la Ligue Communiste considère la CFDT comme un syndicat ouvrier, et la Ligue Communiste reprochant aux militants de l'OCI leur activité au sein de FO, que la Ligue considère comme un syndicat «jaune», l'opportunisme de l'OCI et de la Ligue Communiste les amenant à voir en rose, sinon en rouge, la confédération qu'ils privilégient dans les faits, et en noir (ou en jaune) celle dans laquelle ils n'ont aucune activité.
Encore une fois, cette différence d'appréciation ne repose pas sur des différences de principe, mais au contraire sur une commune absence de principe, et sur des différences dans le développement de chacune des tendances trotskystes en question. Lors de la scission du Secrétariat International, en 1952-53, la majorité de la section française, qui devait donner naissance à l'OCI, comprenait la presque totalité des militants ouvriers de cette section. Il ne pouvait être question, à cette époque, d'être tenté d'aller militer à la CFTC ouvertement confessionnelle, et tout aussi minoritaire que FO C'est donc dans cette dernière confédération que se retrouvèrent, de force ou de gré, les militants ouvriers de l'OCI La collaboration étroite avec certains éléments anarcho-syndicalistes qu'ils y engagèrent, le fait aussi que le secteur principal d'activité syndicale de l'OCI soit la Fédération de l'Education Nationale, traditionnellement laïque, explique la manière dont l'OCI juge la CFDT (avec en outre, évidemment, le fait que les frères ennemis de la Ligue Communiste y militent volontiers). C'est ainsi que le numéro de novembre 1972 de Jeune Révolutionnaire (l'organe de l'organisation de jeunesse de l'OCI), dans un long article qu'il consacre à la CFDT, caractérise cette confédération comme une «... organisation bourgeoise au sein de la classe ouvrière... l'agent de la hiérarchie catholique dans les rangs ouvriers...», au même titre que la CFTC d'avant le changement de sigle.
Si Jeune Révolutionnaire ne se donne même pas la peine de discuter d'un certain nombre d'autres aspects du problème, et en particulier du fait que le gauchisme verbal de la CFDT lui a permis de recruter, en particulier au lendemain de Mai 1968, un certain nombre de jeunes travailleurs combatifs, le jugement qu'il porte sur la CFDT est cependant très proche de la réalité, en ce sens que la CFDT n'a effectivement subi aucune transformation fondamentale au cours de ces dernières années, la tentative de transformation d'une petite confédération confessionnelle en grande confédération réformiste à l'américaine entreprise par une partie de sa direction, ne constituant en rien un fait particulièrement positif. Mais il est seulement dommage que la presse de l'OCI ne fasse pas preuve d'une semblable intransigeance en ce qui concerne FO, qualifiée à longueur de colonnes de «syndicat ouvrier» au même titre que la CGT, par opposition à la CFDT.
L'OCI se prononce certes, en paroles, contre la politique de la direction de FO Ses militants sont censés défendre une autre politique. Mais cela n'empêchait pas la «minorité Lutte de Classe» (regroupant les militants de l'OCI syndiqués à FO et des anarcho-syndicalistes) d'écrire au lendemain du congrès de 1966 de cette confédération que FO était «le dernier bastion et la première place où vit la démocratie ouvrière», et plus près de nous, en février 1972, un certain nombre de militants et de dirigeants connus de l'OCI de signer un texte public d'allégeance à Force Ouvrière déclarant : «si cette Confédération n'existait pas, combien tout serait plus facile entre le parti liberticide flanqué de sa docile CGT et un nouveau parti socialiste agacé par la CFDT prêchant une prétendue démocratie économique».
Le «parti liberticide», c'est évidemment le Parti Communiste français. Voilà une étrange formulation sous la plume de militants se réclamant du trotskysme, formulation bien digne par contre de militants FO bon teint. Et quand on sait que l'OCI fait du «Front Unique Ouvrier» avec le PCF (parti «ouvrier liberticide» ?) et le PS (parti «ouvrier agacé par une organisation syndicale bourgeoise» ?) la clé de voûte de sa politique, on ne peut qu'être plongé dans une profonde perplexité. Mais il est vrai qu'il ne faut pas demander à des opportunistes d'être conséquents avec eux-mêmes.
Le fait que FO prêche ouvertement la collaboration de classe ne doit absolument pas empêcher des militants révolutionnaires exclus ou écartés de la CGT d'y militer. Mais cela ne fait que rendre plus impératif pour eux de dénoncer dans leur presse politique, au moins, l'attitude de FO, et de rappeler que cette confédération est restée ce qu'elle fut à sa naissance, à la fin de 1947, de par la volonté du gouvernement socialiste de l'époque et des dirigeants syndicalistes auxquels ce gouvernement était lié, une confédération de division, qui commença sa carrière en prenant position contre le vaste mouvement revendicatif dans lequel la classe ouvrière était alors engagée.
La Ligue Communiste, elle, n'écrirait évidemment pas ce genre de choses en ce qui concerne FO qu'elle considère comme un syndicat «jaune», au même titre que la CFT Mais, là aussi, il est dommage que cette intransigeance soit à sens unique, et que la Ligue fasse preuve d'infiniment plus de mansuétude en ce qui concerne la CFDT.
Il est vrai que la Ligue n'a recruté quelques éléments ouvriers que dans la période qui a suivi Mai 1968, et que ces éléments étaient pour la plupart soit des syndicalistes CFDT, soit des jeunes travailleurs ayant beaucoup d'illusions (comme l'ensemble du mouvement gauchiste d'ailleurs) sur la CFDT, et que ceci explique cela (avec en outre, évidemment, le fait que les frères ennemis de l'OCI militent volontiers à FO !).
C'est ainsi que l'essentiel de l'activité syndicale des militants de la Ligue Communiste est consacré à la CFDT, et que ces camarades militent «Pour une CFDT de lutte de classe» (pour reprendre le titre d'une brochure de la Ligue), ce qui est certes affirmer que la CFDT n'est pas encore tout-à-fait un syndicat de «lutte de classe», mais aussi qu'elle peut le devenir. Or c'est se faire, et propager, beaucoup d'illusions que d'émettre pareil jugement, illusions manifestes quand on voit Rouge, l'hebdomadaire de la Ligue Communiste, qualifier (dans son numéro du 12 février 1972) la CFDT de «nouveau centrisme à base salariée et à idéologie syndicaliste-révolutionnaire», et préciser, pour ceux qui auraient eu le tort de croire que cette définition s'appliquait uniquement à la base de la CFDT, que «la direction actuelle de la CFDT est un bon exemple de ce néo-centrisme».
La Ligue Communiste ne juge pas Force Ouvrière sur ce que cette confédération dit d'elle-même, mais sur ce qu'elle fait. Même si elle n'en tire pas toujours des conclusions absolument justes, elle emploie-là la seule méthode valable pour des marxistes. Mais que n'en fait-elle autant pour la CFDT ?
Dans sa brochure déjà citée «Pour une CFDT de lutte de classe», la Ligue Communiste présente en effet l'évolution de la CFTC à la CFDT en ces termes : «L'évolution du christianisme social à l'humanisme social s'achève... au 35e congrès où sera reconnue la lutte des classes et affirmée la volonté d'intervenir dans cette lutte pour construire une nouvelle société socialiste», mais on y chercherait vainement la moindre analyse de la politique de la direction de la CFDT, de ses projets. «Le Congrès... a été d'une totale confusion politique» nous dit-on encore. Mais la confusion politique n'est certainement pas du côté des dirigeants de la CFDT, qui savent très bien se donner un visage «de gauche» sans s'engager, parce qu'ils savent très bien qu'il leur faut se donner ce visage s'ils veulent construire la grande confédération, menant une politique de collaboration de classe, de leurs rêves. La confusion politique est du côté des révolutionnaires qui prennent pour argent comptant les bonnes paroles de l'appareil.
Et la preuve de cette confusion, on la trouve dans la manière dont la Ligue Communiste défend ses militants exclus ou menacés d'exclusion par cet appareil CFDT Dans une brochure consacrée à ce problème, et intitulée «la Ligue Communiste répond à la CFDT», la Ligue constate que : «La lutte contre les fractions a été le vieux cheval de bataille des majorités pour exclure les minorités». Mais c'est pour aussitôt essayer de se justifier, essayer de démontrer que les militants de la Ligue ne constituent pas une fraction au sein de la CFDT, ce qui serait, admet-elle, effectivement répréhensible, mais ne revendiquent que le droit de tendance. Et c'est pour affirmer finalement, en ce qui concerne les pratiques anti-démocratiques de la CFDT : «Mais dans l'ensemble, nous espérons que ce ne sont que des «bavures» (de même qu'il peut nous arriver de faire des erreurs, que nous sommes prêts à reconnaître)».
La Ligue Communiste fait certes de nombreuses erreurs (qu'elle reconnaît d'ailleurs rarement), dont celle de renoncer à la défense du droit de fraction au sein des syndicats, sous prétexte de ne pas effrayer l'appareil, et celle de considérer les pratiques de l'appareil CFDT comme le fruit «d'erreurs» de militants ouvriers honnêtes. Mais en essayant de se débarrasser de militants révolutionnaires qui le gênent, l'appareil de la CFDT ne commet pas une «erreur». Il mène au contraire une politique conséquente, et conforme à ses intérêts. Et à prétendre qu'il ne s'agit-là que d'erreurs fortuites, on se rend, qu'on le veuille ou non, d'une certaine manière son complice.
Mais ce suivisme de la Ligue Communiste par rapport à la CFDT, comme le suivisme de l'OCI par rapport à Force Ouvrière, ne se manifeste pas seulement dans les prises de positions publiques de ces organisations, prises de positions qui, pour être dénuées de principe, ne s'en adressent pas moins qu'à un nombre réduit de militants. Cet opportunisme syndical se manifeste aussi, et c'est au moins aussi grave, dans la pratique syndicale quotidienne des militants de la Ligue et de l'OCI.
C'est ainsi, par exemple, qu'au syndicat Force Ouvrière des usines Michelin à Clermont-Ferrand, les militants de l'OCI de cette entreprise, recherchant contre les militants de notre tendance, l'appui des éléments de ce syndicat qui suivent l'appareil de Force Ouvrière, présentèrent un «Texte d'orientation» dans lequel on pouvait lire : «il ne s'agit pas de nous distinguer, mais de nous couler dans le mouvement syndical avec les moyens que nous avons, où tous, confédération, fédération des industries chimiques, UD63 (c'est-à-dire :Union départementale du Puy de Dôme), sont prêts à nous aider, si nous parvenons à dégager un programme revendicatif cohérent et une méthode qui conduit à nous faire admettre et reconnaître». Autrement dit, ne faisons surtout rien qui nous distingue de Bergeron et de ses amis, et non seulement nous pourrons vivre tranquillement à FO, mais nous pourrons même bénéficier de l'appui de l'appareil. Les militants de l'OCI trouvèrent en tous cas l'appui des partisans de Bergeron au sein de ce syndicat. Mais qu'est-ce qui distingue dans ces conditions, ces militants des membres de l'appareil eux mêmes ?
Il y a d'ailleurs dans l'attitude des militants de l'OCI de chez Michelin, non seulement la volonté de s'aligner sur les positions de l'appareil, mais aussi celle de se démarquer des autres militants révolutionnaires. C'est d'ailleurs une pratique que l'OCI a érigée en principe. Et c'est ainsi que l'on vit, par exemple, au dernier congrès du syndicat FO d'Air-France, les militants de l'OCI voter pour toutes les propositions, sauf celles émanant de militants de notre tendance, voter pour tous les candidats au bureau national, même les plus réformistes, mais pas pour nos camarades. Les militants de l'OCI qui croient pouvoir s'attirer ainsi les bonnes grâces de l'appareil y réussiront peut-être. Mais ce qui est sûr, c'est qu'ils auront cessé bien avant d'être des militants.
Nous avons vu comment, de son côté, la Ligue Communiste se gardait bien de s'opposer, dans sa presse politique nationale, à l'ensemble de l'appareil CFDT, essayant de distinguer les dirigeants «démocrates» des autres, et faisant dans tous les cas toujours semblant de croire à leur sincérité. Cette attitude se retrouve évidemment dans la politique que mènent les militants de la Ligue dans les entreprises.
C'est ainsi qu'on pouvait lire, dans un tract politique de la Ligue diffusé en mai 1972 chez Roussel-Uclaf, à propos de l'attitude des confédérations syndicales lors de la grève du Joint Français : «A la CFDT la parole est à la base. C'est une bonne chose car cela permet aux Travailleurs de mener efficacement la lutte dans leur entreprise. A Pennaroya, Girosteel, le Joint Français, la base a pu organiser la lutte, rechercher un soutien extérieur et remporter la victoire. La CFDT y a été à la pointe du combat». Après avoir décerné à la CFDT un satisfecit sans ambiguïtés la Ligue émet cependant une légère réserve : «Si Edmond Maire a raison de considérer les journées nationales d'action préconisées par Georges Séguy comme un «frein» et un «éteignoir», il ne donne pas non plus de véritables perspectives aux Travailleurs... La direction de la CFDT ne tire pas tous les enseignements de la grève du Joint».
Et exactement comme la politique de l'OCI l'amène à se présenter comme le meilleur défenseur de FO («La direction du syndicat doit être à ses meilleurs constructeurs» pouvait-on encore lire dans le «Texte d'orientation» de Michelin-Clermont déjà cité), la politique de la Ligue l'amène à se présenter comme le meilleur constructeur de la CFDT Dans sa polémique avec l'appareil CFDT de Normandie, Rouge se justifiait ainsi, dans son numéro du 26 février : «L'intervention des militants de la Ligue a partout renforcé et non affaibli le syndicat... A la raffinerie Shell Berre de Petit-Couronné, la CFDT a constamment renforcé ses positions depuis sa création, les élections successives marquent une implantation accrue de la CFDT».
Un militant révolutionnaire que les circonstances ont amené à militer à la CFDT ou à FO a évidemment le droit de faire état de son activité syndicale, de ses résultats, auprès de ses camarades de syndicat. Mais l'organisation révolutionnaire à laquelle il appartient n'a pas le droit pour autant d'essayer de se présenter comme le meilleur défenseur de la boutique syndicale en question. Ce ne serait pas juste en ce qui concerne la CGT. Et c'est encore bien plus faux par rapport à la CFDT ou à FO.
Les révolutionnaires voient certes dans les syndicats la forme élémentaire d'organisation des travailleurs qu'il convient de développer et de renforcer. Parce qu'ils travaillent à organiser tous les travailleurs, sans exception, et parce qu'ils n'ont pas d'autres intérêts à défendre que les intérêts de l'ensemble de leur classe, les militants révolutionnaires doivent être les meilleurs militants du syndicat. Mais s'ils défendent le principe de l'organisation syndicale, s'ils cherchent effectivement à organiser réellement le plus grand nombre de travailleurs possible, les militants révolutionnaires se refusent évidemment à défendre telle boutique syndicale contre telle autre, c'est-à-dire tel appareil contre tel autre, à cautionner la politique de l'un d'eux.
Contraint par l'appareil CGT à aller chercher une activité syndicale de remplacement à la CFDT ou à FO, le militant révolutionnaire poursuit le même but fondamental que celui qu'il se donnait à la CGT : essayer de redonner aux travailleurs le goût de se réunir pour discuter de leurs problèmes, pour décider des solutions qu'on peut leur apporter, en un mot le goût de l'organisation. Sur ce plan-là, son activité sera donc identique à celle qu'il menait auparavant à la CGT : il s'agit de faire en sorte qu'il y ait des réunions syndicales régulières, qu'elles regroupent le plus grand nombre de travailleurs possibles, syndiqués ou non syndiqués, qu'elles soient vivantes et intéressantes, que les décisions y soient prises démocratiquement et les organismes dirigeants démocratiquement élus. Il faut cependant remarquer que si cette activité est généralement plus facile à la CFDT ou à FO qu'à la CGT, à cause du poids plus faible de l'appareil, elle n'y est pas pour autant plus efficace, car il y a finalement plus de travailleurs prêts à se réunir avec la CGT ou en son sein, qu'avec les autres confédérations syndicales.
Dans cette activité, les militants révolutionnaires visent le fond et non la forme, ils visent à organiser effectivement les travailleurs, et pas seulement à les «syndiquer», et ils doivent donner plus de prix au fait de réunir régulièrement un certain nombre de travailleurs, non syndiqués au besoin, qu'au fait de placer des cartes syndicales à des travailleurs qui ne se réuniront jamais. Les deux choses, réunir les travailleurs, et les syndiqués, ne sont évidemment pas, du moins en général, contradictoires. Mais il est bon de préciser quel est l'aspect de ce travail que les révolutionnaires doivent considérer comme le plus important, de préciser - par rapport à ceux qui se veulent les «meilleurs constructeurs» du syndicat - que les militants révolutionnaires se donnent pour tâche de donner aux travailleurs le goût de l'organisation syndicale, et non de chercher simplement à améliorer les statistiques de telle ou telle section syndicale, en ce qui concerne le nombre de cartes ou de timbres placés, ou le nombre de voix obtenues lors de telle ou telle consultation électorale. Dans leur activité syndicale, les militants révolutionnaires doivent aussi, évidemment, défendre les conceptions qui sont les leurs, dans le domaine de l'activité syndicale proprement dite et de l'activité revendicative. Ils peuvent d'ailleurs généralement le faire plus facilement à la CFDT ou à FO qu'à la CGT, et ils doivent en tous cas le faire la plus ouvertement possible, car si l'importance, et la priorité absolue, que nous accordons au travail au sein de la CGT justifie amplement le fait d'y militer quasi-clandestinement, le fait d'y taire une grande partie de ses opinions et de son programme, pour éviter l'exclusion ou la mise à l'écart, la même attitude serait, à la CFDT ou à FO, dépourvue de sens. Elle n'aurait d'ailleurs d'autre signification que de permettre au militant considéré de progresser dans la hiérarchie syndicale, ce qui présente un intérêt certain quand cette progression correspond à un soutien des travailleurs, mais en est totalement dénuée lorsqu'elle est due à la bienveillance de l'appareil. Militer à la CFDT ou à FO n'a finalement de sens que lorsqu'on peut y défendre ouvertement ses opinions, et c'est d'ailleurs en fonction des possibilités d'expression qu'il aura dans tel ou tel syndicat que le militant révolutionnaire écarté de la CGT devra en particulier choisir dans quelle confédération syndicale il poursuivra dorénavant son activité.
Mais il faut bien comprendre que défendre ses conceptions dans la section syndicale, essayer de les faire partager par celle-ci, ce n'est pas forcément contribuer à «construire» le syndicat, au sens du moins où l'entend l'appareil, car le fait que la section syndicale adopte une ligne de classe peut très bien amener un certain nombre de syndiqués réformistes à la quitter, et ne lui vaudra pas forcément la faveur immédiate des travailleurs.
Les militants révolutionnaires, qui défendent le principe d'une confédération syndicale unique et démocratique, susceptible de regrouper tous les travailleurs, quelles que soient leurs opinions, sans aucune exception, ne sont évidemment pas partisans d'exclure les réformistes du syndicat (ou les staliniens à la CGT), ni de les écarter de l'activité syndicale, quand ils ont conquis la majorité au sein du syndicat. La défense de la démocratie ouvrière et syndicale est pour les révolutionnaires une position de principe, et non une astuce tactique, et une telle attitude serait une violation honteuse de leurs propres principes. Mais il peut arriver que ce soient les réformistes (ou même, encore plus exceptionnellement les staliniens au sein de la CGT) qui prennent l'initiative de la rupture, et que la présence de militants révolutionnaires dans le syndicat, ou à sa direction, se traduise finalement par une diminution des effectifs.
De la même manière, la défense par une section syndicale de positions de classe peut très bien amener une diminution de son influence électorale, dans la mesure où cela peut l'amener à se heurter aux préjugés d'un nombre non négligeable de travailleurs. Présenter par exemple sur les listes de candidats aux élections de délégués du personnel des travailleurs immigrés peut très bien amener un certain nombre de travailleurs français racistes à refuser leurs suffrages à cette liste. Plus généralement, il convient de ne pas oublier que si les militants révolutionnaires défendent toujours, en toutes circonstances, les intérêts généraux des travailleurs, l'ensemble des travailleurs ne se reconnaît pas toujours dans l'organisation syndicale qui défend ses intérêts. Pour ces raisons, faire des résultats électoraux d'une section syndicale, ou du nombre de cartes qu'elle a placé, le seul critère permettant de juger la qualité de l'activité de sa direction est donc loin d'être juste, d'un point de vue révolutionnaire, et c'est évidemment encore bien plus faux quand c'est l'appareil que l'on fait juge de cette activité.
Dans le domaine de l'activité syndicale comme en tout autre, le seul critère qui doit déterminer l'attitude des révolutionnaires, c'est le but final qu'ils poursuivent, et la politique qu'ils doivent défendre n'est donc pas forcément, par voie de conséquence, celle qui est la plus susceptible de plaire dans l'immédiat au maximum de travailleurs, mais celle qui sera la plus capable d'élever le niveau de conscience de la grande masse des travailleurs.
Il ne s'agit pas de faire de pauvreté vertu, d'ériger en principes les difficultés de l'activité syndicale, et de préconiser la création de sectes syndicales n'organisant que les travailleurs d'accord avec nos positions politiques. Mais il s'agit, sous peine de sombrer dans l'opportunisme le plus plat, de ne pas oublier les buts que nous poursuivons sur le terrain syndical, c'est-à-dire l'organisation réelle du maximum de travailleurs, bien sûr, mais aussi la défense d'une politique de classe, l'extension et l'influence des idées et de l'organisation révolutionnaire au sein de la classe ouvrière, et évidemment la lutte contre les appareils bureaucratiques qui paralysent le développement des luttes ouvrières.
L'appareil stalinien est, aujourd'hui, en France, le frein le plus efficace sur ce terrain-là. C'est l'une des raisons, d'ailleurs, pour lesquelles nous pensons que les révolutionnaires doivent militer en priorité à la CGT. Mais s'il est le plus efficace, cela ne signifie pas pour autant qu'il est le plus intégré à l'appareil d'État, bien au contraire. L'appareil de FO et l'appareil de la CFDT, au même titre pratiquement l'un que l'autre, sont infiniment plus intégrés à cet appareil d'État, infiniment plus «à droite» politiquement, pour autant que cette expression ait un sens, même si les dirigeants de la CFDT manient volontiers la phrase gauchiste. C'est dire que ce serait une erreur considérable, pour des militants révolutionnaires amenés par la force des circonstances à militer à la CFDT ou à FO, de considérer la direction de l'une ou l'autre de ces confédérations comme un allié possible dans la lutte contre l'appareil stalinien, et une erreur encore plus grave d'épouser les querelles des bureaucrates de FO ou de la CFDT contre l'appareil CGT.
En militant à FO ou à la CFDT, les révolutionnaires ne doivent jamais oublier que s'ils ont été, eux, personnellement contraints d'entrer dans l'un ou l'autre de ces syndicats pour continuer à avoir une activité syndicale, l'effort principal de leur organisation, et par conséquent leur propre effort principal, doit être dirigé en direction des travailleurs influencés par le stalinisme. C'est dire qu'ils doivent généralement défendre une politique diamétralement opposée, sur ce terrain, à celle de leur confédération syndicale respective.
Toute la politique de Force Ouvrière, par exemple, consiste à refuser systématiquement l'unité d'action avec la CGT, accusée d'être l'émanation syndicale du Parti Communiste Français. L'attitude des révolutionnaires militants à FO doit se situer aux antipodes de celle de Bergeron et de ses amis, non seulement en réclamant dans les congrès l'unité d'action avec la CGT, ce que font effectivement les militants de l'OCI, mais surtout en mettant tout en oeuvre sur le plan de chaque entreprise, pour essayer de réaliser concrètement cette unité d'action avec la CGT à l'occasion de chaque mouvement revendicatif ou de chaque manifestation, sans cesser pour autant de défendre leurs propres opinions sur les revendications qu'il conviendrait d'avancer en telle ou telle circonstance, et sur les moyens de les faire aboutir.
Une telle attitude oblige en particulier à se démarquer totalement de l'anti-communisme viscéral de la direction de Force Ouvrière. Mais c'est la seule manière de prouver aux travailleurs influencés par le Parti Communiste Français et par la CGT que les militants révolutionnaires, loin d'être leurs adversaires, se placent fondamentalement dans le même camp qu'eux, celui de la classe ouvrière.
Il s'en faut malheureusement, et de beaucoup, que les militants de l'OCI adoptent toujours au sein de Force Ouvrière une telle attitude. Nous avons déjà cité le communiqué de février 1972 sur le «parti liberticide», reprenant mot pour mot la phraséologie de Force Ouvrière. Mais ce n'est pas le seul exemple, et même lorsqu'ils réclament l'unité d'action avec la CGT (ce qui n'est pas en soi particulièrement révolutionnaire, puisque la CFDT la pratique volontiers) les militants de l'OCI se croient obligés d'utiliser le vocabulaire de FO, c'est-à-dire de se placer du point de vue des réformistes. C'est ainsi qu'au congrès de 1966 de cette confédération, un dirigeant connu de l'OCI s'écria à la tribune, pour réclamer l'unité d'action avec la CGT : «A propos de la CGT, nous pourrions leur tenir le langage suivant : «Vous êtes des canailles et nous le savons ; mais ceci ne nous intéresse pas ; bien. que nous le disions. Mais pour l'intérêt de la classe ouvrière, et par rapport à la politique qui est la nôtre, alors nous sommes prêts à faire l'alliance avec vous».
Propos unitaires ? Si l'on veut. Mais quel travailleur influencé par la CGT pourra croire que les gens qui à la tribune du congrès Force Ouvrière, et quoi qu'ils disent par ailleurs, traitent les dirigeants de la CGT de «canailles», et Bergeron et ses amis de «camarades», sont vraiment dans le même camp qu'eux.
Le réflexe de ce travailleur, ce sera au contraire de croire que finalement les trotskystes et les sociaux-démocrates de FO défendent la même politique, les uns avec un vocabulaire plus radical que les autres, certes, mais en étant tous d'accord sur ce point que les dirigeants de la CGT sont des «canailles».
Ce n'est pas l'épithète, en elle-même, qui nous gêne. Que Frachon, Séguy et Krasucki soient traités de canailles ne nous dérangent pas en soi. Mais que l'on fasse juge de cela le «camarade» Bergeron, qui mérite au moins autant l'épithète de «canaille» nous semble indigne de révolutionnaires.
Et le problème se pose en des termes à peu près identiques pour les révolutionnaires qui militent à la CFDT. Faire semblant de considérer les dirigeants de FO comme des «démocrates sincères», face aux staliniens «liberticides», ou faire semblant de considérer la CFDT (voir Rouge du 18 novembre 1972) comme une confédération sincèrement «socialiste» qui «a su parer les objections qui pouvaient lui être faites du côté du PCF quant à la valeur de ses engagements socialistes, en se déclarant nettement, non seulement pour la lutte de classe, mais aussi pour la production sociale des moyens de production et la planification», et qui «a su parallèlement contre-attaquer en ajoutant que ces éléments étaient indissociables d'une perspective clairement (sic) autogestionnaire», mais qui n'aurait pas par contre «clairement» saisi le problème de l'État, c'est du pareil au même. C'est s'adapter finalement au vocabulaire, et, par la même occasion, à la politique de confédérations réformistes, renoncer à se distinguer de celles-ci, et par la même occasion renoncer à toute politique capable d'influencer les travailleurs qu'il est absolument indispensable de gagner si l'on veut pouvoir un jour construire le parti ouvrier révolutionnaire : ceux qui, jusqu'à présent sont organisés par l'appareil stalinien ou influencés par lui, parce qu'ils ressentent plus ou moins confusément que cet appareil est finalement, de tous les appareils syndicaux, celui qui est le moins intégré à la bourgeoisie française et à son État.
Le travail au sein de la CFDT ou de Force Ouvrière, peut être, pour des militants écartés de la CGT, le tremplin, le moyen par lequel ils peuvent agir, dans certaines circonstances sur l'appareil stalinien de la CGT qui, lui, et lui seul, sauf dans certains milieux limités, possède l'influence sur les travailleurs.
Par cet intermédiaire les militants ouvriers révolutionnaires peuvent intervenir publiquement en tant que révolutionnaires, ce qui leur est généralement refusé au sein de l'appareil syndical CGT.
Mais il ne peut être question de conquérir une influence notable sur la classe ouvrière française, et espérer diriger ses combats à venir par l'intermédiaire de la CFDT ou de FO Le travail au sein de ces confédérations ne peut donc n'être qu'une partie, et qu'une faible partie, d'un tout qui comprend obligatoirement l'activité plus ou moins clandestine au sein de la CGT comme activité purement syndicale, et une activité publique, large, au sein des entreprises, ainsi qu'une activité directe, clandestine ou pas, auprès des militants staliniens.
Hors de ce cadre, il n'y a finalement de possible qu'une activité opportuniste, de «syndicalistes de gauche» peut-être, mais sûrement pas de militants révolutionnaires, au sein des syndicats.