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A propos d'un accord germano-soviétique
La publication par le Gouvernement d'Allemagne Occidentale du mémorandum soviétique dans lequel l'URSS propose à Bonn la révision des relations entre les deux pays a suscité dans la presse mondiale une série de discussions et de polémiques. Quant au fond de l'affaire, tous s'accordent qu'un rapprochement entre ces « deux plus grands États d'Europe », comme les qualifie le mémorandum, pourrait avoir des répercussions importantes, peut-être même la réunification des deux Allemagne et la sortie de la République Fédérale de l'OTAN.
Par contre les opinions sont divisées quant à la possibilité d'un tel rapprochement. Pendant que les uns doutent qu'un accord durable puisse intervenir, les autres rappellent un traité, qui, signé il y a bientôt 40 ans par les représentants de l'Allemagne et de la Russie Soviétique, est entré dans l'histoire sous le nom d'accord de Rapallo. Pourtant les conditions qui ont donné naissance à cet accord ont été bien différentes de celles qui existent aujourd'hui.
C'était en 1922. La Russie Soviétique venait de sortir d'une guerre qui l'avait opposée durant 4 ans, plus ou moins directement à toutes les puissances impérialistes. Elle en sortit victorieusement certes, mais affaiblie et isolée.
Le pays dévasté par les guerres, les famines, les épidémies, était en ruines. L'industrie n'assurait pas le quart de la production d'avant-guerre. Les voies de communication étaient dans un état lamentable, le matériel roulant à peine utilisable, les ponts détruits. La plupart des usines tombaient en ruines ou, faute de matières premières, fermaient. Dans celles qui subsistaient, les machines délabrées marchaient mal et le blocus ne permettait pas de les remplacer.
Par contre-coup, les paysans renonçaient à produire plus que pour leur propre subsistance : en 1920 la superficie cultivée a baissé de moitié. Après la mauvaise récolte de 1921 de terribles famines sévirent, qui firent près de 5 millions de victimes.
L'affaiblissement intérieur était d'autant plus dangereux que la révolution mondiale souhaitée et attendue, fut écrasée dans l'oef. Après les années 1919-1920 témoins d'une vague révolutionnaire parcourant l'Europe entière de la Finlande jusqu'à la Hongrie en passant par l'Allemagne, 1921 consacrait la victoire de la contre-révolution. Peu d'espoir donc, du moins dans l'immédiat, qu'une Europe prolétarienne puisse, à l'aide de son potentiel industriel, contribuer à, relever l'économie soviétique. Or il était impensable qu'un tel relèvement puisse se produire sans l'apport de l'industrie des pays plus développés.
Il était donc vital pour l'avenir économique du pays de chercher des accords commerciaux avec des pays capitalistes, pour obtenir ce dont l'économie avait le plus besoin : des capitaux. A partir de 1921, parallèlement au lancement de la NEP à l'intérieur, une des préoccupations essentielles du régime fut de chercher à développer les échanges extérieurs, à obtenir des crédits, et à conclure des accords économiques avec les groupes capitalistes les moins réticents. (Ce qui, soit dit en passant, ne devait nullement empêcher l'Internationale Communiste de mener la lutte anti-capitaliste, y compris dans les pays liés à l'URSS par des traités quelconques).
Or 1921 était l'année où les derniers restes des troupes contre-révolutionnaires de Dénikine et de Wrangel furent dispersées. Il fut désormais clair pour les impérialistes que sans l'intervention directe et totale de leurs armées, ce qui eut été trop dangereux comme le prouvaient les nombreuses mutineries, aucune bande contre-révolutionnaire n'était capable d'abattre le régime soviétique.
Incapables de la vaincre par les armes, les gouvernements bourgeois étaient contraints de tolérer la russie des soviets et de chercher à commercer avec elle. d'autant plus que l'immensité du marché russe et les promesses du gouvernement soviétique étaient autant de tentations pour certains groupes capitalistes, sûrs de pouvoir réaliser des bénéfices respectables.
Mais si la tentation était forte sur le plan économique, des raisons politiques militaient en faveur de l'isolement total de la Russie.
En France et en Angleterre, la fraction la plus importante de la bourgeoisie était convaincue qu'un accord, aussi bien économique que diplomatique, ne pouvait que renforcer la position du régime soviétique. Or en dehors de la haine qu'ils portaient à la révolution, les bourgeois anglais et français étaient violemment hostiles à l'URSS. D'une part pour des raisons économiques : non content de refuser la reconnaissance des dettes du tsarisme, le nouveau régime avait mis la main sur une bonne partie des capitaux français et anglais investis en Russie. Et d'autre part pour des raisons politiques : les événements ont leur logique propre, et l'Angleterre et la France ne pouvaient, après avoir ouvertement combattu les Soviets 4 ans durant, faire une volte-face en aidant ces mêmes soviets à se relever. Il faut aussi ajouter le fait que ces deux puissances étaient sorties de la guerre en vainqueurs, et que le marché russe s'il les tentait, ne leur était pas indispensable.
Tel n'était pas le cas de l'Allemagne. Grande vaincue de la guerre, suivant la loi du banditisme impérialiste, elle devait payer. Elle n'avait pas réussi à s'emparer de cet « espace vital » dont le besoin l'avait poussée vers la guerre, mais, de plus, elle fut amputée d'une bonne partie de ses territoires. Traitée en paria sur le plan économique, elle était isolée sur le plan politique.
Dans ces conditions elle ne pouvait qu'accepter les avances de l'URSS. Et cela pour trois raisons. Économique d'abord ; elle espérait contrebalancer, du moins en partie, la perte de ses marchés africains et européens par le monopole du marché russe. Politique ensuite : elle pensait de cette façon rompre son isolement. Militaire enfin : elle sentait sur sa frontière Sud la menace constante de l'armée française, menace nullement imaginaire comme le prouva quelques mois plus tard l'occupation de la Ruhr. Elle espérait en cas de conflit avec la France pouvoir compter sur la participation de l'Année Rouge à ses côtés, du moins sur sa neutralité.
Haïes et rejetées, l'une parce qu'elle était l'Allemagne et qu'elle était vaincue, l'autre parce qu'elle était socialiste, l'Allemagne et la Russie Soviétique conclurent le 15 avril 1922 à Rapallo un accord comportant des clauses militaires (garantie de neutralité réciproque en cas d'attaque par un tiers) et des clauses commerciales.
Ce fut une double victoire pour la diplomatie soviétique : elle réussit à établir des relations commerciales avec un des pays les plus avancés d'Europe, mettant ainsi fin à un semi-blocus, et à briser la coalition anti-soviétique des impérialistes.
Un examen même superficiel de la situation politique actuelle suffit pour convaincre de l'impossibilité d'un nouveau Rapallo.
Certes du côté soviétique, il y a autant de raisons (même si elles ne sont pas les mêmes) qui poussent les dirigeants à conclure un accord avec Bonn, qu'en avait le gouvernement de Lénine. D'abord parce que malgré les spoutniks l'économie de l'URSS ne peut que difficilement vaincre le handicap d'être coupée de l'économie mondiale et, malgré la théorie du socialisme dans un seul pays, l'URSS aurait bien besoin «'notamment des machines, branche laquelle les Allemands sont particulièrement forts » comme il est indiqué dans le mémorandum soviétique.
D'autre part, tandis que pour le gouvernement soviétique de 1920 l'aspect politique d'un traité, conclu avec un pays capitaliste, s'il n'était pas sans importance, n'était en aucun cas destiné à remplacer l'agitation pour des actions révolutionnaires, qui restaient la suprême garantie de la survivance du régime soviétique, les dirigeants actuels de Moscou croient assurer l'avenir de l'URSS et par la même occasion le leur, par des marchandages avec les pays capitalistes où, de leur côté, ils sont disposés à vendre tout mouvement prolétarien contre des acquisitions territoriales ou contre des promesses de non-agression militaire. Ainsi il n'y a rien d'étonnant dans le mémorandum soviétique. Par contre l'Allemagne, elle, n'a aucune raison de rechercher un accord avec l'Union Soviétique.
Vaincue, détruite, et ruinée bien plus qu'en 1918, l'Allemagne a pu au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, se relever avec une vitesse prodigieuse. L'aide des USA et des pays vainqueurs a créé les bases économiques du relèvement de l'Allemagne : ce qu'on appelle le « miracle allemand » fut le fruit de l'effort déployé par le gouvernement américain en vue de la replacer à part entière dans le système de défense occidental.
Tout rapprochement avec le bloc de l'Est ne rentrant pas dans le cadre de la politique dictée par les USA signifierait pour l'Allemagne la perte de ce soutien qui est indispensable à la bourgeoisie allemande aussi bien sur le plan économique que sur le plan politique.
Dans ces conditions on peut prophétiser à bon compte que tout rapprochement germano-soviétique se réduira inévitablement à des tentatives unilatérales du côté russe.
Et si comme l'affirment certains journaux, un tel rapprochement conditionne l'unification de l'Allemagne, le peuple allemand devra pendant longtemps encore subir le « rideau de fer » divisant son pays en deux.