D'un février à un autre19/02/19621962Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

D'un février à un autre

Le 6 février 1934 les organisations d'extrême droite et les ligues fascistes appellent à manifester Place de la Concorde. Le prétexte de la manifestation est la révocation de Chiappe Préfet de Police. Les ligues fascistes profitent du mécontentement de la population causé par le scandale Stavisky qui dévoile la pourriture des milieux parlementaires et financiers. La manifestation se déroule aux cris de : « Vive Chiappe » « A bas les voleurs ».

Les organisateurs firent en sorte que les Croix de Feu et les Jeunesses Patriotes, deux ligues fascistes à l'organisation paramilitaire très poussée, se retrouvent d'abord sur place, Ainsi il y eût des militants pour encadrer les gens de l'Union Nationale des Combattants, masse de mécontents qui n'avaient pas de but précis.

Les manifestants, armés de matraques, de rasoirs et d'armes à feu, se regroupent Place de la Concorde. Les organisateurs essaient de faire prendre d'assaut le Palais Bourbon, mais les manifestants se heurtent à un barrage de police. Les combats font rage jusqu'au soir assez tard. C'est finalement le service d'ordre qui reste maître du terrain. L'émeute fasciste n'est en fait qu'une demi-défaite car le gouvernement Daladier, se refusant à agir contre les émeutiers de la veille, démissionne. Doumergue forme un gouvernement « d'Union Nationale », sous les acclamations des organisations d'extrême droite. Il faut à la bourgeoisie un gouvernement « fort », semblant s'élever au-dessus des contradictions des deux camps, mais s'appuyant en fait sûr elles en les exploitant.

Doumergue, gouvernant par décrets lois, réduit pratiquement à néant le rôle du Parlement, il s'appuie directement sur l'État bureaucratique, la police et l'armée. La présence des bandes fascistes à sa droite lui est nécessaire, car ce sont pratiquement elles qui l'ont mis au pouvoir, et c'est par elles que le gouvernement Doumergue se justifie, apparaissant comme le sauveur et l'arbitre.

L'échec partiel de l'émeute s'explique pour différentes raisons. Les chefs des organisations fascistes, Croix de Feu, Camelots du Roi, Jeunesse Patriote, sont plus rivaux qu'alliés. Ils ne forment pas un parti cohérent et rigide, avec des chefs capables d'entraîner la masse avec eux. D'autre part, la petite bourgeoisie déjà ruinée et ré duite au désespoir par la crise, économique, n'a pas encore fait son choix. Bien que dégoûtée des Radicaux elle n'a pas répondu à la grave question qui se pose à elle : fascisme ou révolution prolétarienne ? Ce sont les organisations ouvrières qui par leur dynamisme ou leur inaction feront pencher la balance d'un côté ou de l'autre. De plus, bien que la grande bourgeoisie ne voit pas d'un mauvais oeil le développement des ligues fascistes, elle ne leur accorde pas son appui financier total, car le fascisme ne lui apparaît pas comme une nécessité immédiate.

C'est en fait la situation internationale qui a poussé les ligues fascistes à cette tentative de coup d'état. L'exemple de l'Italie et de l'Allemagne les a enhardies, mais leur a fait surestimer leurs forces.

Mais si c'est la lutte ouvrière qui entraînera d'un côté ou de l'autre la petite bourgeoisie, les organisations ouvrières, elles, semblent impuissantes devant les menées fascistes. La politique sectaire du Parti Communiste empêche de se constituer un front unique de la gauche socialiste et communiste, pour la lutte contre la menace fasciste.

En effet le 6 février 1934 l'Humanité appelle l'Union des Anciens Combattants à manifester Place de la Concorde en même temps que les fascistes : « le PC appelle tous les ouvriers à manifester aujourd'hui vigoureusement à la fois contre les bandes fascistes et contre le gouvernement qui les protège et les développe et contre la social démocratie... » Les ouvriers communistes se trouvent pratiquement en train de manifester côte à côte avec les fascistes. Un témoin rapporte même avoir vu un manifestant fasciste et un communiste (reconnaissables tous deux à leurs insignes) unissant leurs efforts afin de démolir un poteau pour s'en servir de bélier.

Pendant toute cette période le p.c. a une politique de division ; avant la lutte contre le fascisme il place la lutte contre la social démocratie. le 6 février un article de cachin dit dans l'humanité ; « on ne peut lutter contre le fascisme sans lutter aussi contre la social démocratie », en cela d'ailleurs il suit la politique de l'i.c. qui déclare « la social démocratie et le fascisme ne sont pas antipodes mais frères jumeaux ».

Le PC n'entend le front unique que par le « bas », en essayant d'attirer à lui les ouvriers socialistes, comme si ceux-ci allaient tout à coup abandonner leurs chefs réformistes parce que, d'après Thorez ou Cachin, ce sont des traîtres. La même politique incohérente est menée dans un autre domaine : alors que la situation est pré-révolutionnaire, alors qu'une grève politique générale répondrait aux aspirations des ouvriers qui en ont assez du chômage et de la misère, le PC préconise un programme d'action pour la satisfaction des revendications immédiates. On peut lire dans l'Humanité du 3 février : « Pas d'énervement, application sérieuse et raisonnée des résolutions de l'Internationale Communiste et du Comité Central, lutte bolchévique ferme et tenace pour les masses, à la tête des masses, en premier lieu pour les revendications immédiates ». Il n'y a donc, à côté d'une phraséologie ultra-gauche, de la politique sectaire et absurde condamnant le « social fascisme », aucune tentative de mobilisation ouvrière contre le fascisme, et qu'un programme d'action plus que timoré.

Jusqu'au 6 février le Parti Socialiste et la CGT (réformiste) n'attachent pas d'importance à l'agitation des ligues fascistes. Mais à partir de là ils prennent conscience du danger. Dès le 7 les Fédérations Socialistes de la Seine et de la Seine et Oise adressent une lettre au PC pour réaliser « l'unité d'action de tous les travailleurs ». Elles ajoutent qu'elles se tiendront dans leur permanence jusqu'à minuit. Aucune réponse ne leur parvenant une délégation se rend à l'Humanité un peu après minuit, mais sans résultat.

L'Humanité du 8 ne passe pas sous silence la proposition socialiste, mais répond en fait par de violentes attaques contre ceux-ci.

Le 7 la CGT (réformiste) décide une grève générale de protestation de 24 heures pour le 12 février. Dans la soirée du 7 la CGT, le PS et différentes organisations de gauche se réunissent et décident une manifestation pour le 12, en plus de la grève générale.

Le 9 le PC organise seul une manifestation Place de la République avec pour mots d'ordre : « Arrestation immédiate de Chiappe et des chefs des ligues fascistes

A bas les fusilleurs Daladier Frot !

A bas l'Union Nationale réactionnaire et fasciste préparée par le Parti Radical et le Parti Socialiste !

Vive le Gouvernement ouvrier et paysan ! »

Les heurts sont violents entre les militants communistes et la police, la manifestation dure très tard dans la nuit, il y a des morts dans les rangs ouvriers.

En dernière minute la CGTU., (communiste) décide de se rallier à la grève du 12 ainsi que de participer à la manifestation du Cours de Vincennes.

La grève est une réussite. On compte quatre millions et demi de grévistes. Les ouvriers participent nombreux aux manifestations organisées dans toute la France. Au Cours de Vincennes se retrouvent cent cinquante mille manifestants et les cortèges socialistes et communistes se rejoignent et fusionnent spontanément.

C'est en fait la base du PC et du P,S. qui imposent par leur pression constante une unité d'action nécessaire et vitale pour la poursuite de la lutte.

L'actuelle croissance de l'OAS nous met à nouveau devant une menace fasciste, mais à l'encontre de 1934, c'est à une organisation efficace, par sa forme d'organisation, que nous avons affaire. Elle se développe dans l'ombre de l'appareil d'État et ne se dévoilera que lorsque sa force le lui permettra. Elle possède des cadres formés à la lutte si elle n'a pas de base de masse en métropole elle en possède en Algérie. Une crise économique aidant, elle peut se trouver renforcée par l'adhésion des masses petites bourgeoises réduites au désespoir.

Les cinq cent mille travailleurs qui ont accompagné les victimes de la répression du 8 février au Père-Lachaise, ont montré à la bourgeoisie que la classe ouvrière française est loin d'être résignée et qu'il y a, malgré, tout un certain danger à jouer avec le feu.

Partager