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Pour que vive l'enfant Mozart
Au récent congrès de l'« Union nationale des étudiants de France », comme à ceux qui l'ont précédé, la « démocratisation de l'enseignement » a été l'une des revendications le plus souvent formulée.
Cette « démocratisation », dans l'esprit des dirigeants étudiants, c'est l'ouverture de l'enseignement secondaire et supérieur aux jeunes issus des classes pauvres de la société, ou du moins, l'accroissement de leur nombre à l'université.
L'UNEF (mais les partis de gauche font-ils mieux ?) pose d'ailleurs cette question au nom de la « grandeur de la France », du rayonnement de son université, de la nécessité de fournir des cadres à l'industrie et au commerce, c'est-à-dire finalement au nom des intérêts de la bourgeoisie française.
Pour permettre la réalisation de cette démocratisation, L'UNEF demande depuis plusieurs années que l'étudiant soit considéré comme un « jeune travailleur intellectuel » et qu'il perçoive, en tant que tel, un pré-salaire, une allocation d'études, qui lui permettrait quelles que soient par ailleurs ses revenus possibles, d'accomplir normalement celles-ci.
Toutes les critiques adressées à l'enseignement en France mêlent généralement deux questions distinctes : celle du recrutement des étudiants et celle des conditions dans lesquelles se dérouleront leurs études.
Le fait que ce recrutement se fasse pour la plus grande partie dans les milieux bourgeois et petits-bourgeois, et que très peu de fils d'ouvriers et de paysans pauvres accèdent à l'enseignement supérieur n'est pas un phénomène spécifiquement français, cela est vrai dans tous les pays capitalistes et la composition sociale du corps étudiant est une conséquence de la division de la société en classe. Au siècle dernier le nombre des étudiants dans les facultés françaises étaient beaucoup plus faible qu'aujourd'hui mais ils venaient d'un milieu social bien plus limité. Le développement de l'industrie et de la technique a considérablement augmenté la demande et petit à petit, l'éventail du recrutement des étudiants s'est élargi, englobant au-delà des fils de la bourgeoisie, ceux de la petite bourgeoisie et même quelques éléments du prolétariat. Mais cela ne s'est fait que dans la mesure où c'était nécessaire à la bourgeoisie, et l'existence des étudiants issus de la classe ouvrière n'est qu'un fait isolé, payé de sacrifices considérables des parents ou des jeunes, l'aide de l'État étant plus qu'insuffisante. D'ailleurs cet élargissement du recrutement n'est pas tant le fait d'une « promotion sociale » des nouveaux venus accédant au métier d'ingénieur ou de professeurs, que d'une véritable prolétarisation de ces professions.
Par contre il est indéniable que l'enseignement français est particulièrement défavorisé. Locaux vétustes et surpeuplés, enseignants trop peu nombreux et trop mal payés, etc. Il ne s'agit pas là de caractéristiques valables pour tous les pays, mais bien de traits spécifiques des universités françaises, conséquences entre autres de l'appauvrissement de l'État par d'incessantes guerres coloniales.
Malgré cela, jusqu'ici, le contingent d'ingénieurs, de techniciens et d'enseignants qui sortent chaque année des grandes écoles et des facultés, suffit à couvrir les besoins de l'économie française, tant en métropole que dans la communauté.
Mais l'économie n'étant pas planifiée, il n'y a pas de prévision des besoins et ce n'est que par des corrections économiques que la compensation se fait. Pas toujours sans problème, - exemple : l'agrégé de philosophie qui ne trouve pas emploi dans l'enseignement et qui cherche à utiliser ses connaissances dans l'industrie - et un certain nombre d'intellectuels y sont sacrifiés.
La politique des différents gouvernements depuis la naissance de la Quatrième République, en matière d'enseignement, si elle a placé celui-ci dans des conditions difficiles, n'a pas été le fruit de la seule incompétence. Le manque de crédits ne gênait que les étudiants et les enseignants. En fournissant à la bourgeoisie les cadres intellectuels dont elle a besoin, l'État a rempli son rôle, le reste, pour lui, n'est qu'un aspect accessoire de la question.
Dans la société capitaliste l'enseignement n'est dispensé qu'en fonction des besoins économiques, uniquement en vue de former des individus aptes à exercer telle ou telle profession. L'état n'accepte de faire les frais de la formation intellectuelle des jeunes que dans la mesure où cela est nécessaire. C'est-à-dire qu'il finance le fonctionnement des universités et qui rétribue les professeurs (les études proprement dites sont pratiquement gratuites), mais il ne peut en fait accepter de verser un pré-salaire aux étudiants c'est-à-dire les prendre en charge eux-mêmes, que lorsqu'ils se préparent à une profession déficitaire. Sinon, tant que les besoins de la société sont assurés par le recrutement dans les classes les plus aisées, l'État n'a guère besoin d'intervenir. Le problème qui se pose à l'heure actuelle est que les intellectuels salariés sont souvent très mal rétribués, en particulier le professorat. Les étudiants issus des classes riches s'orientent en majorité vers les professions libérales ; les facultés correspondantes deviennent pléthoriques (sans cependant que cela ait un rapport avec les besoins du pays : il y a trop de médecins à Paris et sur la Côte d'Azur alors qu'on en manque dans les autres régions de province).
L'état verse à l'heure actuelle un pré-salaire aux étudiants qui se destinent à l'enseignement en échange d'un « engagement » pour dix ans. Pour un salaire mensuel qui paraît fabuleux à l'étudiant peu aisé, l'État pourra se permettre de le payer mal, lui et ses collègues, pendant dix ans. C'est finalement l'extension des pratiques utilisées par l'armée et la marine pour recruter leurs médecins.
Dans le cas des études conduisant à des professions dites « libérales » (médecins, avocat), le malthusianisme est de règle. Il est le fait de ces professions elles-mêmes, qui se prémunissent ainsi contre la concurrence. D'ailleurs, certaines associations d'étudiants en médecine, en art dentaire et en droit, se sont prononcées à ce congrès contre le pré-salaire au nom de l'indépendance de leur future profession.
Il est donc pratiquement exclu que l'État puisse accepter de verser à tous les étudiants, quelle que soit leur discipline, un véritable pré-salaire. Ce pré-salaire, il le réserve pour effectuer une pression sur les étudiants issus des classes pauvres pour les aiguiller vers les branches qu'il juge bon - c'est-à-dire des carrières de prolétaires intellectuels. Ceux issus des classes riches étant, bien entendu, libres de choisir suivant leur goût. La « démocratisation » de l'enseignement nécessiterait, non seulement la généralisation du pré-salaire, mais encore la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu'à dix huit ans au moins. Ces deux mesures, la société bourgeoise ne peut pas les généraliser. Cette société n'est pas seulement responsable de l'exploitations et des guerres, elle est aussi la cause de la disparition de millions d'enfants « Mozart », selon l'expression de St-Exupéry, qui n'y ont jamais trouvé la possibilité de développer leurs facultés.