Ou va l'union de la gauche ?01/07/19751975Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Ou va l'union de la gauche ?

Depuis le début octobre 1974, plus de neuf mois donc, la vie politique à gauche est dominée par une polémique publique entre le Parti Socialiste et le Parti Communiste.

Ce n'est pas que l'Union de la Gauche (cette alliance conclue formellement, en 1972, par la signature d'un Programme Commun de gouvernement entre le Parti Communiste Français et le Parti Socialiste, auxquels se joignit plus tard le Mouvement des Radicaux de Gauche) représente réellement les intérêts des travailleurs. Le Programme Commun n'a d'ailleurs rien de révolutionnaire et se propose seulement d'apporter quelques améliorations à la société actuelle. Et puis ces partis de gauche - en tout cas le Parti Socialiste - ont été maintes fois au gouvernement. La plupart du temps ils n'y ont pas mené une politique de gauche, pour ne pas parler d'une politique révolutionnaire, mais celle de la droite. Ainsi Guy Mollet, leader du Parti Socialiste, élu pour faire la paix en Algérie, y accentua la répression coloniale et y augmenta le nombre des soldats français. Lorsque le PCF lui-même fut, en compagnie du PS, au gouvernement, de 1944 à 1947, ce fut pour y défendre là aussi les intérêts de la bourgeoisie et de l'État bourgeois. L'Union de la Gauche entre ces deux partis, ce n'est donc rien d'autre que la constitution d'une éventuelle équipe gouvernementale de rechange, prête à remplacer la droite actuellement au pouvoir au cas où celIe-ci trop discréditée perdrait une des prochaines élections.

Pourtant, comme il s'agit des deux grands partis se réclamant de la classe ouvrière bien des travailleurs avaient mis leurs espoirs dans cette alliance. Aussi cette polémique désole ou irrite bon nombre de gens de gauche et bon nombre de travailleurs. Au début, un certain nombre de militants et de sympathisants du Parti Communiste eux-mêmes s'émurent et critiquèrent l'attitude de leur parti. Car c'est le Parti Communiste qui a déclenché la querelle. Et c'est lui qui la poursuit, le Parti Socialiste se contentant de répondre, et même pas à tous les coups, aux attaques de son partenaire de l'Union de la Gauche. Depuis, émotion et critiques se sont atténuées ou ont disparu, soit que les explications du PCF aient convaincu ses militants et sympathisants désemparés, soit que la querelle elle-même, le temps aidant, semble devenue une routine à laquelle tout le monde s'habitue.

Il n'en est pas de même des sympathisants du Parti Socialiste qui interprètent volontiers la volonté systématique et évidente du PCF de chercher querelle tous azimuts au PS comme une volonté d'entraver, sinon de briser l'Union de la Gauche. De là à voir dans cette volonté l'influence de Moscou, qui passe à tort ou à raison pour hostile à François Mitterrand, premier secrétaire du PS, il n'y a qu'un pas. Il fut parfois franchi par les dirigeants du PS eux-mêmes, dont certaines déclarations laissaient entendre que c'était la seule explication possible au changement d'attitude du PCF Une fraction de leur base, en tout cas, à la suite d'ailleurs de la presse bourgeoise, se gêne encore moins pour l'exprimer tout haut.

Il est vrai que depuis neuf mois le PCF s'ingénie à soulever contre le Parti Socialiste les griefs les plus divers et les plus variés, certains portant sur des points de détail, d'autres étant de véritables procès d'intention, d'autres encore étant soulevés tout à fait arbitrairement, sinon dans le fond, du moins dans le moment choisi pour le faire. Ainsi le PCF a été jusqu'à revenir sur la carrière politique de Mitterrand, son passé de ministre dans de nombreux gouvernements bourgeois de la Quatrième République.

Pourquoi cela maintenant, se demandent un certain nombre de gens de gauche, alors qu'il avait fait un complet silence là-dessus les années précédentes ; qu'il n'en avait pas touché un mot en faisant voter massivement pour Mitterrand ; qu'il accusait alors, il y a encore quelques mois, les révolutionnaires qui le faisaient de n'avoir d'autre but que de briser l'unité.

Mois après mois, semaine après semaine, le PCF revient à la charge. Même les coups de chapeau donnés à l'union par le Parti Socialiste ne calment pas sa pugnacité. Ainsi le 19 juin, une rencontre au sommet entre les principaux dirigeants des trois partis signataires du Programme Commun PCF, PS, et Mouvement des Radicaux de Gauche, relançait solennellement l'Union. Dès le début juillet, sans s'inquiéter de la trêve des vacances, le PCF, lui, relançait une série d'attaques contre le PS, attaques couronnées notamment par la publication du rapport de Georges Marchais devant le Comité Central de son parti le 29 juin 1972, au moment de ratifier la signature du Programme Commun. Cette publication, destinée à démontrer que la méfiance de la direction du PCF envers le Parti Socialiste et Mitterrand, ne date pas d'aujourd'hui, même si elle ne s'était pas toujours exprimée publiquement, tombe tellement à point que l'on peut se demander si le texte ne vient pas d'être écrit ou réécrit ces dernières semaines. Elle est en tout cas la preuve que la direction du PCF n'envisage nullement de conclure la paix et de cesser sa querelle dans les jours qui viennent.

Va-t-on vers un fossé grandissant entre les deux grands partis de gauche ? Vers une rupture éventuelle ?

Avant de répondre à ces questions, deux remarques s'imposent.

D'abord la querelle entre PCF et PS n'a nullement empêché les luttes sociales de se développer depuis neuf mois. S'il fallait une preuve que la critique politique entre les partis et organisations qui se réclament de la classe ouvrière ne paralyse nullement celIe-ci, elle a été administrée par les travailleurs des postes, puis de Renault, puis de Chausson et ceux des centaines d'entreprises qui ont fait grève ou occupé leur usine en ce printemps 1975. Les dirigeants du PCF, sans le vouloir sans doute, ont fait eux-mêmes la démonstration de ce qu'il fallait penser de leurs propres affirmations comme quoi les critiques que les révolutionnaires adressent aux organisations politiques ou syndicales réformistes divisent la classe ouvrière, brisent son unité et nuisent à ses luttes. Pourquoi le feraient-elles davantage que celles que le PCF adresse au PS ?

D'autre part le PCF reprend aujourd'hui envers Mitterrand et le PS une part des critiques mêmes que Arlette Laguiller, la candidate de Lutte Ouvrière, avait émises durant la campagne présidentielle. Là aussi il expliquait, alors, que c'était là diviser la gauche. Depuis, le PCF lui-même juge - et le dit - que ces critiques, loin d'affaiblir l'Union de la Gauche, sont nécessaires pour la renforcer sinon même pour la maintenir en vie. C'est le Parti Communiste qui là encore démontre que les critiques adressées à l'extrême gauche étaient bien de mauvaise foi.

Ceci étant dit, quel est l'avenir de l'Union de la Gauche ?

Pour répondre à cette question, il faut d'abord voir pourquoi il y a eu Union de la Gauche.

La recherche de l'alliance avec le Parti Socialiste est depuis des dizaines d'années une politique constante du PCF Les dirigeants du PCF ont parfaitement raison de ce point de vue-là de rappeler à toute occasion que l'Union de la Gauche fut le résultat d'efforts inlassables de leur part.

En effet, dans la mesure où le PCF a abandonné, depuis bien longtemps maintenant, toute perspective de parvenir au pouvoir par la voie révolutionnaire, et n'envisage plus de le faire que dans le cadre de la société et du régime actuels, c'est-à-dire par la voie électorale et parlementaire, il lui faut absolument des alliés. Ne totalisant pas plus de 20 à 25 % des voix, défavorisé de plus par l'actuel mode de scrutin, s'il demeure seul il n'a pratiquement aucune chance d'accéder jamais au gouvernement. Cela explique que depuis qu'il en fut exclu, en 1947, il n'a jamais cessé de proposer et reproposer l'unité au Parti Socialiste, y compris aux moments où pourtant le fossé entre les deux partis était le plus grand, comme pendant la guerre froide. On le vit ainsi, par exemple, voter les pouvoirs spéciaux, qui permirent d'intensifier la guerre coloniale en Algérie, au gouvernement présidé par le socialiste Guy Mollet. Celui-ci n'avait pourtant pas besoin du vote des députés communistes et il n'était pas question pour lui de former un gouvernement avec le PCF Mais le PCF tenait, même dans ces circonstances, à rappeler que sa politique visait à une alliance avec le Parti Socialiste. Cette politique s'est évidemment encore renforcée, avec quelques espoirs d'aboutir enfin, quand sous la Cinquième République les socialistes se trouvèrent évincés du gouvernement.

Car ce qui a permis la conclusion de l'Union de la Gauche et la signature du Programme Commun de gouvernement en 1972, c'est le changement de la politique du Parti Socialiste. Si celui-ci, dans les années 70, a changé de politique, accepté de conclure une alliance formelle avec le PCF après l'avoir repoussé pendant des années, c'est aussi pour des raisons essentiellement électorales. Face à la droite regroupée autour de l'UDR, le Parti Socialiste n'avait aucune chance de pouvoir remporter les élections. Plus cela allait, plus il devenait évident que le Parti Socialiste était condamné à demeurer dans l'opposition, et plus il enregistrait une désaffection des électeurs à son égard. Le nombre de voix recueillies par lui allait diminuant, atteignant même le résultat catastrophique d'à peine plus de 5 % pour son candidat, Gaston Defferre, lors des élections présidentielles de 1969.

Face à la droite unie, du moins électoralement, il n'y avait d'espoir pour le PS de revenir au gouvernement, c'est-à-dire de remporter une élection, que dans l'alliance avec le Parti Communiste.

Au-delà de toutes les péripéties qui devaient marquer le chemin qui a mené à sa conclusion (candidature unique de Mitterrand aux élections présidentielles de 1965 par exemple, mais sans accord formel avec les communistes) c'est la raison fondamentale qui explique l'Union de la, Gauche.

Et c'est cela qui explique aussi ses limites, et en particulier la querelle actuelle.

Tout d'abord l'Union était avant tout une union en vue des élections, elle perd assurément de son sens lorsque.... il n'y a pas d'élections, ou du moins pas d'élections en vue dans un délai rapproché. C'est justement le cas en ce moment puisque les prochaines élections municipales n'auront lieu qu'au début 77 (et ce ne sont justement pas des élections ou l'union soit très utile au Parti Socialiste), les élections législatives en 1978 et les élections présidentielles encore plus loin en 1981.

L'Union de la Gauche ne serait utile dans ces périodes qu'à des partis qui seraient prêts à mener une lutte extra-parlementaire, à organiser des campagnes politiques, à proposer aux masses des objectifs et des formes d'organisation qui leur permettent de les atteindre, d'organiser la lutte des travailleurs, indépendamment des élections.

Ce n'est pas le cas. Le Parti Socialiste est en semi-léthargie entre deux périodes électorales. Et si le Parti Communiste est davantage prêt à participer sinon organiser des luttes extra- parlementaires, ne serait-ce que par l'intermédiaire des syndicats qu'il contrôle, il ne recherche pas l'épreuve de force avec la bourgeoisie.

De toute manière donc, l'Union de la Gauche qui avait joué à plein en faveur de Mitterrand au printemps 74 lors des élections présidentielles, était destinée à tomber en sommeil au moins jusqu'en 1977, sinon 1978.

Et il était sans doute naturel alors que chacun des partis, dans la mesure de ses possibilités, songe d'abord à se renforcer lui-même.

Mais à cela il s'est ajouté un deuxième problème. Malgré la signature du Programme Commun, - malgré l'optimisme affiché lors de cette signature, ou encore lors des périodes électorales, le Parti Communiste n'a aucune confiance dans son partenaire socialiste. Il sait - et tout le passé du PS le prouve - que celui-ci est prêt, si les circonstances changeaient, à changer ses alliances. Il se rappelle qu'un Mitterrand, pendant des années, fut ministre de coalitions gouvernementales anticommunistes. Il sait que l'Union de la Gauche n'a été conclue par le PS qu'en désespoir de cause, parce que sans cette alliance électorale, le PS se voyait privé de tout espoir de revenir un jour au gouvernement.

Mais les seules garanties qu'a le Parti Communiste que le PS restera fidèle à son alliance, c'est d'une part les circonstances politiques générales, et l'impossibilité pour le PS de trouver des alliances efficaces à droite, d'autre part la force du Parti Communiste lui-même - et d'abord évidemment la force électorale - qui en fait un allié indispensable.

Sur le premier point, le PCF ne peut pas grand-chose, le second dépend davantage de lui.

Or une série de six élections partielles, fin septembre et début octobre 74, tirait brusquement la sonnette d'alarme pour le PCF Leurs résultats prouvaient que le Parti Socialiste était en train de se renforcer électoralement, aux dépens du PCF C'était une menace pour le PCF dans la mesure où plus le PS serait fort et plus il serait libre de ses manoeuvres par rapport au PCF, d'autant plus libre bien sûr si celui-ci était affaibli dans le même temps. A cela se sont ajoutées quelques déclarations des leaders socialistes, Defferre puis Mitterrand lui-même, dans lesquelles le Parti Communiste a cru voir ou feint de voir une réponse des socialistes à des avances que leur avaient faites les hommes de la majorité, le président de 1 République Giscard d'Estaing en tête.

Il n'en fallait sans doute pas plus pour déclencher une vase campagne du PCF contre son allié, ou plus exactement contre les mauvaises intentions supposées de son allié.

Cette campagne n'avait pas seulement pour but de faire reculer le Parti Socialiste ou Mitterrand, de l'amener à donner des gages dans l'immédiat au Parti Communiste. Sur ce point, le PCF en a d'ailleurs obtenu. Il a, par exemple, obligé Mitterrand à renoncer à répondre favorablement aux invites de dialogue de Giscard d'Estaing aux leaders de l'opposition. Le PCF sait que ce sont là quelques points marqués par lui, mais qui ne sont pas essentiels. Le refus de rencontrer Giscard aujourd'hui n'empêcherait pas Mitterrand d'accepter un poste gouvernemental demain si l'occasion s'en présente, sans ses alliés communistes ou même contre eux.

Mais la campagne du PCF a un tout autre but. Et c'est pourquoi aussi elle se poursuit bien au-delà de ce premier résultat.

Il s'agit pour le PCF d'empêcher que ses électeurs le quittent pour le Parti Socialiste. C'est pour cela que jour après jour, il s'emploie à montrer que le Parti Socialiste n'est pas un allié sûr, que la seule garantie que les promesses de l'Union de la Gauche seront tenues ou tout simplement que cette union sera maintenue, c'est lui, Parti Communiste, et la force qu'il représente, qu'en conséquence tous ceux qui espèrent dans l'Union de la Gauche ont intérêt à le renforcer lui, Parti Communiste, plutôt que le Parti Socialiste, contrairement à ce qu'ont fait les électeurs des partielles de septembre ou octobre dernier.

Il ne s'agit pas pour lui de remettre en cause l'Union. Pas du tout. Il s'agit de maintenir sa force relative par rapport au Parti Socialiste ou même de l'accroître. Mais pas pour imposer sa domination à celui-ci comme on le dit à droite. Simplement pour l'obliger à respecter ses alliances actuelles, à ne pas trahir le pacte conclu en 1972.

Sauf coup de théâtre, on peut donc s'attendre à ce que la querelle continue, alimentée toujours par le PCF Tant que les élections seront loin, celui-ci a tout intérêt en effet à travailler à se renforcer. Il se peut même que les élections municipales ne soient pas l'occasion d'une réconciliation pleine et entière entre les deux partis. Lors de ces élections qui sont, par principe, des élections locales, le Parti Socialiste a intérêt à conclure non pas des alliances nationales mais au coup par coup, ici avec la droite, là avec le Parti Communiste, en fonction de la situation locale. C'est cette perspective qui fait déjà enrager le PCF et ajoute d'ailleurs un grief de plus à sa liste. Dans ce cas, il faudra attendre les législatives pour voir les deux partis se réconcilier. Mais ce qui ne fait aucun doute c'est que, si cela ne dépend que du PCF, la réconciliation se fera lors des élections.

En réalité, le seul qui peut rompre l'alliance, c'est le PS, pas le PCF L'Union de la Gauche est la seule perspective politique qu'ait ce dernier. C'est pour cela que les dirigeants socialistes, Mitterrand en tête, accueillent avec tant de philosophie les attaques du PCF, Ils en connaissent, sans aucun doute, très exactement et les raisons et les limites. Et ils savent qu'ils restent les maîtres du jeu.

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