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- Lutte de Classe n°20
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Va-t-on vers la création d'un grand parti social-démocrate en France ?
Les récentes élections présidentielles ont vu s'accentuer le courant de ralliements autour de Mitterrand au sein de ce qu'on appelle communément en France, la gauche non communiste. Certes, le mouvement était amorcé depuis un certain temps. Des hommes étiquetés comme gauchistes - tel Régis Debray, ex-partisan de la guérilla en Amérique latine - se faisaient depuis des mois déjà les chantres, en France, de « l'alternative réaliste » constituée par l'élection de François Mitterrand à la Présidence de la République. Et si Michel Rocard, membre de la direction du PSU, ne s'est publiquement engagé aux côtés de Mitterrand qu'aux premières heures de la campagne électorale, son ralliement n'a surpris personne, tant son impatience à rejoindre le brain-trust du premier secrétaire du PS était perceptible de longue date. Dans ce sillage, nombreux furent ceux qui, tout en se qualifiant eux-mêmes de gauchistes, ont emprunté la même voie, trouvant dans le quotidien maoïsant Libération leur tribune.
De son côté, la direction de la CFDT, abandonnant les réserves formelles qu'elle manifestait jusqu'alors vis-à-vis du programme commun, s'est ralliée totalement à la candidature du secrétaire du PS Là encore, la surprise n'est pas de mise tant les options des dirigeants cédétistes transparaissaient depuis longtemps.
Maintenant que les élections sont passées, aussi bien du côté du PS que de celui de la CFDT, on évoque la nécessité de structurer le rassemblement électoral qui s'est opéré autour de la candidature de Mitterrand. Ce dernier, prenant l'initiative, proposait, au lendemain du 19 mai, la réunion, pour la rentrée prochaine, « d'États généraux du socialisme ». Le projet recevait aussitôt une large approbation des dirigeants du PSU Edmond Maire déclarait de son côté, dans une interview au Nouvel Observateur, qu'il voyait d'un œil favorable la perspective d'un « parti socialiste de masse ». Et, lui emboîtant le pas, plusieurs dizaines de responsables de la CFDT rendaient public un appel dans lequel ils insistaient pour que « soit créé au plus vite le « lieu de rencontre » permettant à tous les socialistes de confronter leurs expériences concrètes et d'élaborer un projet commun de société » . Ainsi, de tous bords, on s'active aujourd'hui pour que se constitue, face à l'organisation du PCF, un parti socialiste susceptible sur ce plan de « rééquilibrer la gauche », selon l'expression même de Mitterrand.
Ces initiatives aboutiront-elles ? Pour l'instant nous n'en sommes qu'aux préliminaires. Les déclarations des leaders des différentes formations restent prudemment dans le flou dont ils sont coutumiers : « États généraux du socialisme », « parti socialiste de masse » ou « lieu de rencontre » , les cadres évoqués sont suffisamment vagues pour que l'on puisse y faire entrer tout et n'importe quoi. Sur ce plan, ni Mitterrand, ni Rocard, ni Maire, ne rompent avec la tradition social-démocrate qui consiste à camoufler les manœuvres d'appareils derrière les prises de positions les plus générales possibles.
Il serait donc présomptueux de se prononcer aujourd'hui sur les chances qu'une telle opération se réalise. Tout au plus peut-on observer et analyser les intérêts qui sont en jeu.
En ce qui concerne Mitterrand, la situation qu'il occupe désormais sur l'échiquier politique et au sein de la gauche, n'est pas tributaire de l'existence ou de l'absence d'un grand parti dont il serait le leader. Sa situation d'arbitre et d'homme providentiel de la gauche, il l'a acquise au travers des péripéties politiques, et plus particulièrement électorales, qui ont jalonné sa carrière depuis 1958. Et, paradoxalement, c'est le PCF qui, en grande partie, lui a dressé le piédestal du haut duquel il domine l'ensemble de la gauche, PCF inclus. Dès 1958, le parti de Waldeck-Rochet lui décerna des louanges, le présentant comme un des rares hommes politiques digne du titre de républicain authentique, parce qu'il n'avait pas accepté la constitution gaulliste de la Ve République. En 1965, le PCF se rallia sans conditions à sa candidature aux élections présidentielles, alors qu'il n'était pas encore membre du PS Enfin, en 1974, il en fit dès le premier tour le candidat commun de la gauche. Il est significatif que, lors de cette élection présidentielle, Mitterrand se soit dégagé de ses responsabilités politiques au sein du PS, pour se présenter comme un candidat au-dessus des partis. En ce sens, l'existence d'un parti important, structuré et implanté, n'était pas nécessaire à Mitterrand. Lui aurait-elle été utile ? Rien n'est moins sûr.
Le PSU, pour sa part, y aspire depuis des mois. On pourrait même dire qu'il y aspire depuis sa constitution. Car en effet, le parti de Depreux, puis de Rocard, n'avait quitté la vieille maison social-démocrate à la fin des années 50, que parce qu'elle semblait près de s'écrouler. L'ambition des Depreux, Martinet et autres Mendès-France, était alors de reconstruire, en plus présentable, un parti taillé sur le même modèle que celui qu'ils quittaient. Ce projet a échoué. Le PSU est resté une organisation social-démocrate marginale, et cela en dépit de ses prises de positions gauchistes après mai 68. Tout au plus cette attitude a-t-elle suscité des illusions dans une partie de sa base, mais elle n'a pas changé le caractère de cette organisation tandis qu'après 1969, se dégageait au sein du nouveau PS une vedette politique susceptible de regrouper derrière sa personne le courant réformiste. Mitterrand était en voie de réussir là où le PSU avait échoué. L'existence du PSU perdait dès lors ses dernières justifications. Les politiciens gestionnaires qui s'étaient réfugiés en son sein dans l'espoir de s'en servir comme tremplin électoral, l'avaient peu à peu quitté.
Ceux qui avaient essayé de faire du PSU le tremplin de leurs ambitions politiques face à une SFIO en déliquescence, constatent aujourd'hui que le PS de Mitterrand occupe le terrain et que, s'ils s'obstinent dans la marginalité, ils risqueraient d'être maintenus à l'écart. Aussi le PSU aspire-t-il maintenant à rejoindre au plus vite la vieille maison aujourd'hui crépie de neuf. Le PSU n'aura alors été, si le projet aboutit, qu'une parenthèse de quinze ans, la socialdémocratie se retrouvant réunie à nouveau dans la même organisation.
Les motifs qui animent les dirigeants de la CFDT sont du même ordre. Ceux qui feignent aujourd'hui de se montrer surpris par le virage de Maire et de ses collègues de la direction cédétiste, oublient que ce syndicat s'est toujours revendiqué de théories réformistes gestionnaires. Et si, jusqu'alors, la CFDT avait maintenu ses distances vis-à-vis de la politique - pas toujours, puisque la CFDT avait appelé à voter Poher lors des élections présidentielles de 1969 - c'était essentiellement pour des raisons d'opportunité tactique mais pas par principe. Pour les dirigeants de cette centrale, les raisons peuvent sembler aujourd'hui sérieuses de se rallier à un mouvement qui, s'il reste encore dans l'opposition, risque dans un avenir proche d'être appelé à des responsabilités dans la gestion de la société. Car l'ouverture faite aujourd'hui par Giscard à l'opposition, peut se traduire par un appel aux socialistes, et plus particulièrement à Mitterrand, afin qu'ils partagent, avec la droite, la responsabilité des mesures dues à la crise. La CFDT, fidèle en cela aux projets qui présidèrent à sa constitution et qui restent les siens, ne veut pas qu'on la tienne à l'écart. C'est pourquoi, aujourd'hui, elle examine d'un œil favorable les projets de rassemblement de la gauche dite non communiste dans lequel elle a une place à tenir.
Chacun souhaite donc le regroupement. Se fera-t-il ? Et surtout, s'il se fait, sous quelle forme se réalisera-t-il ? En fin de compte, c'est François Mitterrand qui, par la position d'arbitre qu'il a acquise au sein de la gauche, reste le maître du jeu. Or, que veut Mitterrand ?
S'il envisage de créer un rassemblement utilisable pour des buts électoraux, les choses sont simples. On peut dire que ce rassemblement peut se réaliser spontanément, grâce à ce que l'on appelle la dynamique unitaire, renforcée par les succès électoraux. Déjà, et même avant l'élection présidentielle, on voyait dans les quartiers des vendeurs de journaux et des colleurs d'affiches du PS, ce qui ne s'était guère vu durant la période précédente, où l'on ne rencontrait pratiquement plus de militants du PS Ce mouvement d'adhésions semble se continuer et même s'amplifier, si l'on en croit les déclarations des dirigeants du PS Que, dans ce contexte, des membres du PSU et de la CFDT rallient le nouveau PS, cela est fort probable. Cela se fait d'ailleurs déjà. A partir d'un tel projet, toutes les formes de regroupement avec le PSU et la CFDT peuvent être envisagées, puisqu'il ne s'agit pas de créer une force politique cohérente, qui intervienne dans les luttes de façon militante, qui fasse, en un mot, pièce au PC Au mieux pourrait-on assister à une vaste fédération d'organisations dont les directions se réuniraient en un bureau qui, de temps à autre, se manifesterait par un communiqué de politique générale.
Autrement ambitieux serait le projet qui viserait à constituer un parti socialiste militant, c'est-à-dire capable d'intervenir, en mobilisant des fractions importantes de la population, dans la vie politique du pays. Un parti qui, à l'image du PCF, serait capable d'organiser des actions, revendicatives ou politiques, dans toutes les catégories de la population. Bref, un parti qui cesserait d'être un comité électoral pour devenir un parti de masse, interventionniste et militant.
Discuter aujourd'hui d'un tel projet, c'est, avant tout, discuter des intentions de Mitterrand. Souhaite-t-il une telle organisation ? Il ne s'agit pas d'être dupe des mots. Si le secrétaire du PS proclame sa volonté de rééquilibrer la gauche, y compris sur le plan organisationnel, il ne s'agit pas tant d'une volonté réelle que d'une affirmation publicitaire. Ainsi, il proclame sa décision de ne pas laisser le champ libre au PCF, et d'engager la compétition y compris sur un terrain sur lequel le parti de Marchais jouit d'une situation de monopole. C'est une manière, pour Mitterrand, d'affirmer qu'il ne sera pas l'otage du PC vis-à-vis de son électorat et surtout vis-à-vis de la bourgeoisie. Mais a-t-il besoin de disposer d'un parti qui, sur le terrain, fasse jeu égal avec le PCF ? Nullement. Car il contrôle le PCF autrement mieux par la situation qu'il occupe sur le plan politique que s'il disposait de troupes à lui opposer dans les usines.
Mais, s'il voulait réellement constituer une telle organisation, le pourrait-il ? Sur quelles forces pourrait-il compter ? Dans les entreprises, sur la CFDT Sur ce plan, la CFDT serait-elle d'un grand apport ? Ce n'est pas parce que l'on regrouperait dans un cadre organisationnel nouveau des forces militantes qui existent déjà, que l'on obtiendrait des capacités militantes nouvelles. Or, aujourd'hui, que pouvons-nous constater dans les entreprises ? Que les militants de la CFDT qui sont prêts à s'engager sur le plan politique - et non simplement à prendre la carte d'une organisation politique - le sont déjà, soit au PSU, soit même au PS D'ailleurs, le plus souvent, ces militants répugnent à intervenir sur le plan politique dans l'entreprise, s'inclinant devant la pression du milieu. Ainsi, de ce côté, l'appoint serait faible pour entamer la compétition politique face au PCF D'autant qu'il faudrait mener cette compétition en intervenant sur la base d'une plate-forme revendicative. Il faudrait que les militants de ce PS « offensif » s'engagent sur la base de ce programme dans des actions, qu'ils prennent des initiatives, qu'ils se manifestent en tant que militants susceptibles de prendre la place qu'occupent depuis des décennies les militants du PCF dans les entreprises. Et qu'ils ne se contentent plus de signer des communiqués en commun. Une telle compétition, Mitterrand la souhaite-t-il réellement ? Y a-t-il un intérêt quelconque ? Il n'a nullement besoin de cela pour obtenir auprès de la bourgeoisie une crédibilité et une représentativité qu'il a déjà depuis longtemps.
Par ailleurs, pour que le PS dispose d'une force militante sur le terrain des villes et des quartiers, sur quelles forces peut-il compter ? Sur celles acquises au travers de son recrutement propre ? Elles sont bien trop faibles pour lui permettre d'engager sérieusement la compétition, là encore, avec le PCF Ce ne sont pas les jeunes, souvent issus du mouvement gauchiste spontanéiste, rétifs a priori aux structures organisationnelles, qui lui seront d'un grand secours, même s'ils apparaissent, ici ou là, dans des actions ponctuelles. La compétition avec le PCF exige une action autrement plus méthodique, autrement plus opiniâtre. Pourrait-il compter sur les militants du PSU ? Là encore l'apport est réduit à la fois numériquement et en capacité militante. Car là encore il s'agirait de comptabiliser des forces préexistantes dont on connaît déjà les limites. Et sur ce terrain, il faudrait que le parti ainsi constitué fonde une politique sur un programme, ou du moins sur une série de revendications et une plate-forme sur laquelle pourraient se mobiliser les militants. Et il est peu probable que Mitterrand souhaite une telle intervention. Pour que le PS puisse se constituer d'emblée sur une base militante, il lui faudrait gagner des jeunes prêts à militer. Ces jeunes existent. ils sont soit au PC, soit dans les organisations trotskystes : AJS, F.C.R. ou Lutte Ouvrière. La seule chance que le PS acquière une base militante de jeunes, capable d'intervenir dans les mouvements, serait qu'un de ces mouvements rallie le PS
Les groupes politiques qui le feraient, le feraient par opportunisme pur et simple. Car, pour qu'une telle hypothèse puisse même être envisagée par une organisation révolutionnaire conséquente, il faudrait que se développe autour de la nouvelle formation un irrésistible courant ouvrier et que les conditions de la construction de l'avant-garde ouvrière révolutionnaire soient finalement plus favorables et plus rapides au sein de ce parti qu'à l'extérieur. Mais pour que le contact avec la classe ouvrière passe par :le ralliement à un PS amélioré et militant, il faudrait que bien des choses soient changées.
L'hypothèse est aujourd'hui hautement improbable. Nous ne l'abordons que par souci de ne rien négliger de ce qui peut être contenu dans la période.
Les révolutionnaires n'ont que faire dans un rassemblement électoraliste et qui plus est, sans contacts vivants avec la classe ouvrière.
Donc, sur le terrain des quartiers, Mitterrand, le voudrait-il, ne pourrait constituer une organisation capable de rivaliser avec le PCF
Ainsi, en tout état de cause, que Mitterrand envisage la création d'un vaste conglomérat qui lui serve de machine électorale, ou qu'il ambitionne de créer un parti militant, structuré, implanté - ce qui est peu probable - le résultat auquel on aboutirait resterait le même. Dans le premier cas, ce serait un nouveau PSU amélioré qui se créerait. Dans la deuxième hypothèse, le résultat serait le même. Parce que Mitterrand ne dispose pas des éléments qui lui permettraient d'édifier autre chose qu'une organisation de ce type. Mais en a-t-il l'intention ? Rien n'est moins probable.