Iran : un peuple désarmé08/01/19791979Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1979/01/60.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Iran : un peuple désarmé

Il y a un an, les émeutes populaires qui éclatèrent en Iran, dans les villes de Qom puis de Tabriz, et qui firent des dizaines de morts, donnèrent le signal d'une agitation ininterrompue depuis lors, une agitation qui a pris dans les derniers mois de l'année 1978 une ampleur exceptionnelle. En particulier depuis la mi-août, on a vu la population de la plupart des villes du pays descendre dans la rue, malgré une répression militaire qui a fait des milliers de morts. La répression du «vendredi noir», (8 septembre) qui a fait près de 4 000 morts n'a pas elle-même arrêté ce mouvement. En octobre, une vague de grève s'est déclenchée et elle paralyse pratiquement toute l'économie du pays actuellement. La durée de la révolte populaire, sa vitalité, le courage avec lequel les manifestants affrontent les balles des militaires, attestent la profondeur de ce mouvement. Ce sont les dignitaires religieux chiites, les ayatollahs, qui apparaissent comme les dirigeants du mouvement de révolte actuel en Iran, et parmi eux tout particulièrement l'ayatollah Khomeiny. Leurs appels à descendre dans la rue et à manifester sont chaque fois suivis massivement. L'exigence qu'ils mettent en avant, qu'ils assignent au mouvement populaire, consiste avant tout dans le départ du Chah. On a pu constater que chaque tentative faite par ce dernier pour mettre sur pied un gouvernement de coalition s'est trouvé condamnée par Khomeiny. Les hommes politiques qui ont accepté de collaborer à ces tentatives se sont trouvé désavoués par les religieux. Khomeiny demeure intransigeant sur le préalable du départ du Chah. Au-delà, ce que réclament les ayatollahs, c'est que la hiérarchie religieuse retrouve le pouvoir politique, la participation aux décisions, que la Constitution élaborée en 1906 en Iran (et qui n'a pratiquement jamais été appliquée) lui accordait. L'islam détient certes en Iran un certain nombre de prérogatives et de privilèges, comme celui de percevoir une dîme indépendamment de l'État, mais ses chefs ont été tenus à l'écart du pouvoir politique par la dynastie Pahlevi. Celle-ci, instaurée en 1921-25, a plus ou moins modernisé le pays au travers du développement de la bourgeoisie affairiste, liée à des secteurs économiques nouveaux. Les religieux chiites se sont ainsi estimés lésés par la monarchie actuelle, et lorsqu'ils revendiquent l'application de la Constitution, c'est en vue de récupérer leur part de pouvoir en tant que religieux. Et même si la presse occidentale n'a pas le sens du ridicule en opposant les ayatollahs réactionnaires au Chah «moderniste», les changements que les chefs religieux se proposent d'introduire dans la vie sociale portent leur marque réactionnaire, à commencer par le port du voile pour les femmes. La politique des ayatollahs ou de leurs protégés politiques, s'ils parviennent au pouvoir, sera peut-être différente de la politique passée du Chah sur un certain nombre de problèmes. Mais ce qui semble certain, c'est qu'ils entendent gouverner et mener leur politique avec l'armée telle qu'elle est, avec le même état-major, avec les mêmes officiers que ceux qui commandent aujourd'hui le massacre des manifestants désarmés. Les manifestants iraniens continuent d'affronter l'armée les mains nues. Et personne ne leur propose de tenter de s'armer. La presse rapporte de nombreux exemples de la cruauté de la répression, de militaires s'en prenant aux hôpitaux eux-mêmes, pourchassant les gens pour les tuer... A l'inverse, elle ne fait jamais état même de cas isolés de riposte populaire. La politique des dirigeants religieux s'y oppose manifestement. C'est même solennellement revêtus des voiles religieux du sacrifice que des milliers de manifestants sont descendus dans la rue à Téhéran à la rencontre de militaires entraînés et équipés. Les manifestations de rue, les dirigeants religieux y appellent certes, mais sans rien faire qui puisse donner à la population des chances de sortir victorieuse de ses affrontements avec l'armée. De ces faits, on est en droit de conclure à une volonté politique : celle de ne rien faire qui puisse ébranler l'armée à sa base sous la pression populaire. C'est de l'état-major que Khomeiny veut voir venir la décision. C'est de lui qu'il entend obtenir qu'il change d'avis quant à un changement de régime en Iran. Respect de l'armée du Chah telle qu'elle est, avec son commandement actuel, qui tient à ce qu'un régime éventuel des ayatollahs aurait, lui aussi, besoin de cette armée pour se mettre en place et gouverner. Il est après tout dans la logique de leaders dont la religion est le drapeau, qu'ils refusent de s'appuyer sur une population en armes pour aboutir à leurs objectifs, qu'ils refusent de lui devoir la satisfaction même de leurs propres revendications politiques. Et il est même vraisemblable que, non seulement ils s'y refusent, mais encore qu'ils mettent tout leur poids dans la balance pour freiner toute initiative qui pourrait se faire jour parmi les manifestants pour organiser leur protection face à l'armée. Mais il existe en principe en Iran une opposition politique distincte de celle des ayatollahs. Non seulement l'opposition dite libérale et modérée du Front National de Karim Sandjabi : de celle-là on a pu constater qu'elle n'a même pas l'intransigeance manifestée par un Khomeiny envers la personne du Chah, puisque plusieurs de ses hommes ont fait des déclarations conciliatrices sur ce point. Mais également une opposition de gauche, un Parti Communiste (le Toudeh), et une extrême-gauche se réclamant du marxisme. Leur poids relatif, leur audience, il n'est pas possible de les mesurer d'ici. Mais, en tout cas, on ne les voit nullement apparaître de manière distincte des ayatollahs. Aucune force politique n'apparaît en Iran comme proposant aux masses populaires une attitude différente envers les forces de répression. Les leaders chiites apparaissent comme ralliant l'ensemble de l'opposition iranienne derrière eux. Pour les politiciens du Front National, c'est évident, ils ont déclaré eux-mêmes se rallier à Khomeiny, et subordonner toute initiative à son accord préalable. Mais, ni du côté du Parti Communiste, ni du côté des étudiants et intellectuels se réclamant du marxisme, on ne voit d'attitude différente. Ainsi, de proche en proche, c'est l'ensemble de la gauche qui, se fondant dans le sillage des chefs religieux, laisse la population désarmée, inorganisée, impuissante face à une armée dont les sommets, eux, demeurent arbitres de la situation présente et à venir. De la part des ayatollahs comme de la part de la gauche et de l'extrême-gauche iraniennes, cette attitude politique de silence et de passivité sur la question de l'armement et de l'organisation de masses en lutte, dans le cadre d'un mouvement de l'ampleur de celui qui a lieu actuellement en Iran, reflète une attitude de classe : le refus de courir le risque que la population armée brise l'armée, et une profonde méfiance à l'égard des masses populaires. Tous ces gens sont prêts à envoyer la population au massacre par l'armée, mais ne veulent pas prendre le risque inverse. Ce n'est pourtant pas la volonté de lutte qui fait défaut en Iran de la part de la population. Elle le démontre en permanence. Le même courage qui la fait marcher aujourd'hui au-devant des militaires les mains nues pourrait sûrement lui permettre de trouver dans ses rangs les hommes résolus prêts à prendre les risques d'organiser la population face à l'armée. Dans la situation politique que connaît actuellement l'Iran, organiser la population quartier par quartier, rue par rue, l'armer, ne seraient sans doute pas des tâches insurmontables. Bien sûr, pour le moment, les armes sont entre les mains des soldats du Chah. Mais faire passer une partie de des armes de ces mains à celles de la population est plus un problème politique qu'un problème technique. Attaquer des casernes, même par surprise, en serait par exemple un moyen (après tout, il doit pourtant bien y avoir en Iran des admirateurs de Castro et de l'attaque de la caserne Moncada). Montrer que les masses sont résolues, prêtes à se battre, serait aussi un moyen de susciter parmi les soldats du rang des désertions et des ralliements au mouvement populaire, avec armes et bagages. Tous les mouvements populaires, dans le passé, qui se sont armés, se sont armés de cette façon. Ils l'ont fait parce qu'il y avait dans le pays des organisations ou des fractions qui ont donné cet objectif-là aux masses. Mais c'est cela qui semble précisément manquer en Iran. Apparemment, aucune initiative de ce genre n'est apparue, même en provenance de la petite bourgeoisie intellectuelle, des étudiants, qui comptent pourtant sans doute parmi eux bon nombre d'admirateurs de Castro, de la Chine, des Palestiniens du FPLP Bien sûr, il ne suffirait pas de proposer à la population de s'armer et de s'organiser pour être suivi. Mais force est de constater que de toute manière cela ne semble pas être l'objectif de ceux qui seraient le mieux placés pour le faire. Les révoltés iraniens armés, la population organisée indépendamment des structures religieuses, cela ne signifierait pas forcément qu'ils se donnent des objectifs et des mots d'ordre différents de ceux qui sont les leurs actuellement. Cela leur permettrait cependant, non seulement d'organiser leur protection en face de la répression, mais encore de se donner les moyens d'ébranler la masse des soldats. Jusqu'à présent, on n'a pas vu de secteurs de l'armée passer dans le camp des révoltés, et c'est à une armée selon toute apparence unie dans la discipline que les manifestants ont à faire face. Et ce n'est pas surprenant, en l'absence de toute politique visant à dresser les soldats du rang contre ceux qui les commandent en leur offrant des raisons de le faire. Ce qui passerait d'abord par des initiatives venant des manifestants eux-mêmes, par leur armement, par une volonté politique manifeste de se battre et non de composer avec la hiérarchie militaire en place. Tant que les soldats ne voient pas en effet des manifestants disposant de la décision et des moyens nécessaires pour imposer leur volonté, même s'ils sont en grand nombre, ils n'ont pas de raisons d'envisager une insubordination éventuelle envers leurs chefs. Tant qu'ils peuvent constater au contraire un respect général à l'égard de l'état-major et de l'encadrement tels qu'ils sont, qu'ils peuvent donc avoir la quasi certitude de se retrouver au lendemain des événements en présence de la même hiérarchie, des mêmes officiers supérieurs, des mêmes règlements, des mêmes cours martiales, ils ne peuvent qu'observer la discipline. On ne voit peut-être pas la gauche iranienne faire des déclarations d'allégeance à l'état-major du Chah. Mais son silence même par rapport à l'armée est éloquent. Son absence de politique en vue de l'organisation, de l'armement de la population, est en soi une politique : celle qui consiste à suivre, à se mettre à la remorque des hommes comme Khomeiny dans leur respect de l'instrument militaire actuel du régime. Et l'extrême-gauche si elle existe ne fait finalement pas autre chose que suivre, elle aussi. Les forces politiques de l'opposition petite-bourgeoise en Iran attestent dans les événements actuels leurs craintes, leur profonde méfiance envers les classes populaires. Même si cela doit leur laisser échapper une chance de voir se réaliser leur chance de voir se réaliser leurs espoirs politiques, tous contribuent à laisser le pouvoir de décision aux cercles dirigeants de l'armée, plutôt que d'envisager d'armer la population. A la différence de ce qui s'est passé à Cuba ou dans d'autres pays où, de la petite bourgeoisie nationaliste, on a vu surgir des groupes d'hommes encadrant une paysannerie en armes, la révolte actuelle en Iran se déroule dans les villes. C'est la population urbaine de Téhéran, Ispahan, Chiraz ou Machad que l'on voit manifester. Et ceci explique peut-être cela. Car organiser une guérilla en milieu rural ne revêt pas les mêmes risques sociaux à terme que l'organisation de masses citadines concentrées et incluant la classe ouvrière. Les dirigeants de la petite bourgeoisie nationaliste ont pu, dans certains cas, envisager de conquérir des villes à la tête de troupes paysannes, mais devoir leur venue à la tête du pays à une population citadine organisée, structurée, armée, apte à contrôler le régime qu'elle mettrait en place, c'est une tout autre affaire. Des révolutionnaires socialistes, eux, ne nourrissent de craintes quant à l'armement des classes populaires urbaines en aucune circonstance. Mais c'est que, fondamentalement, leurs intérêts s'identifient avec ceux des travailleurs, de leurs alliés dans la population pauvre. Le fait que la population iranienne en lutte s'organise et s'arme n'entraînerait pas automatiquement par lui-même la transformation en objectifs socialistes des objectifs actuels du mouvement. Cela exigerait bien d'autres choses : une conscience de classe élevée du prolétariat, une organisation et un armement indépendants (existence de conseils ouvriers et de milices ouvrières) et un parti révolutionnaire prolétarien capable de proposer, au nom du prolétariat, une issue à toutes les classes sociales exploitées. On n'en est manifestement pas là en Iran. Mais, même dans le cadre du mouvement tel qu'il est, des révolutionnaires socialistes proposeraient - seraient-ils suivis, c'est une autre question - l'organisation et l'armement de ceux qui luttent. Ils essaieraient de faire en sorte que, d'une population combative et courageuse, on cesse de faire des victimes par milliers, sans autres perspectives que celles de dignitaires religieux se subordonnant eux-mêmes au consentement du commandement militaire. Même en restant dans le cadre et sur les bases politiques actuelles du mouvement, ce serait là pour eux une tâche prioritaire et impérative. Car il ne s'agirait pas forcément de se heurter de front et d'emblée à la direction actuelle au niveau des mots d'ordre et des objectifs immédiats. Il y aurait, pour des révolutionnaires implantés en Iran, toute une attitude politique à définir par rapport à ce mouvement tel qu'il est avec sa direction religieuse. Mais organiser la population sur des bases propres, indépendantes des structures religieuses, l'armer afin d'organiser sa défense, cela lis devraient nécessairement le proposer. C'est cette politique que tout le monde, gauche comprise, refuse de proposer en Iran. Et c'est cela le drame de la situation. La politique menée par les dirigeants actuels du mouvement envoie les manifestants mourir passivement sous les balles, jusqu'au jour hypothétique où l'état-major changerait de position et cesserait de soutenir le Chah. Et même si ce jour arrive, et même si le Chah part, et même si les nouveaux dirigeants introduisaient quelques changements démocratiques allant dans le sens des aspirations des masses populaires, l'armée serait toujours là, la même armée qui montre aujourd'hui toute sa férocité, et c'est elle qui resterait maîtresse de la situation. C'est cet avenir-là que l'opposition iranienne, toute l'opposition, prépare activement ou, au meilleur des cas, c'est de cela qu'elle est complice.

Le Secrétariat Unifié et l'Iran

En l'absence de tout pôle politique autre que celui offert par les chefs religieux, en l'absence de toute forme d'organisation autonome des masses populaires, et en particulier des travailleurs, en l'absence même de tout armement des émeutiers qui affrontent désarmés les militaires sur consigne de leurs leaders, peut-on sérieusement parler de «révolution iranienne» comme le fait Rouge (2 janvier), ou de «puissant soulèvement révolutionnaire» comme le fait Intercontinental Press (18 décembre) ? Analysant le mouvement (numéro du 11 décembre), la revue du Secrétariat Unifié déclare à propos des luttes qui se déroulent actuellement en Iran que si elles peuvent être aussi radicales aujourd'hui (contrairement aux circonstances d'une grève des travailleurs du pétrole trahie par les staliniens, en 1946), c'est parce que les travailleurs «n'ont pas de direction réformiste pour dévoyer et trahir leur combat». Ceci pour conclure plus loin : «Maintenant, cependant, ils ont à apprendre à vaincre. Et cela exige davantage que de la combativité et de l'héroïsme, davantage que la simple absence (souligné par Intercontinental Press) de dirigeants trompeurs». Tout est sans doute dans le terme «davantage». Mais, pour l'instant, le mouvement a apparemment une direction en Iran ne serait-ce que par absence de toute autre direction, en la personne des leaders religieux, à la tête y compris du mouvement gréviste. Personne ne «dévoie» peut-être le mouvement d'opposition, car il semble se placer, de par ses objectifs comme de par ses moyens, sur le terrain choisi par les chefs religieux. Il n'y a certes rien de réconfortant dans le fait que, cette fois, les directions réformistes, s'il en existe, collent derrière l'ayatollah Khomeiny. Pour que les masses populaires «apprennent à vaincre», à leur façon, c'est-à-dire en utilisant le courage dont elles donnent tant d'exemples afin de se défendre activement contre l'armée, pour prendre elles-mêmes le contrôle de la situation il faudrait, même dans le cadre du mouvement tel qu'il est, une tout autre politique que celle des chefs religieux. Et une autre politique signifie des hommes, des organisations pour la défendre. A plus forte raison encore, il faudrait une organisation révolutionnaire prolétarienne pour que, au sein de ce mouvement, le prolétariat se batte pour ses objectifs politiques propres ! La gauche française se fait elle-même significativement complice de la politique de la gauche iranienne. A tel point que les membres du Parti Communiste français qui manifestaient le 5 janvier à Paris, s'ils scandaient des mots d'ordre hostiles au Chah, ne disaient rien en revanche des chefs militaires. Et la Ligue Communiste Révolutionnaire, qui participait aussi à cette manifestation, n'a pas jugé bon de se démarquer publiquement de cette politique du silence sur le problème de l'armée. Le Secrétariat Unifié franchit allégrement, sur le papier, tous les obstacles pour affirmer que «... au cours des deux derniers mois, la classe ouvrière a montré sa force puissante dans une massive vague de grèves. Les travailleurs ont joint leurs propres revendications économiques à l'opposition politique au régime détesté. Une fois de plus, nous assistons au processus tendanciel qui pousse la classe ouvrière d'un pays semi-colonial à prendre la direction de l'ensemble des masses laborieuses dans leur lutte pour la démocratie et une vie meilleure, et à la tendance de cette lutte à se transformer en révolution socialiste contre le capitalisme et la domination impérialiste» (déclaration en date du 21 novembre). En quoi voit-on les ouvriers iraniens à la tête de la révolte actuelle ? En quoi les voit-on seulement apparaître de manière autonome, sur le plan politique, au sein du mouvement populaire ? Et comment voir ici la tendance de cette lutte «à se transformer en révolution socialiste», sinon avec les lunettes du Secrétariat Unifié ? Alors que la population soulevée en Iran n'en est pas à s'armer, même sur la base des objectifs limités et nationalistes offerts par les ayatollahs, parce qu'il ne se trouve aucun parti, aucun groupe politique pour lui indiquer cette voie ! Cette façon de voir la révolution socialiste s'annoncer en quelque sorte par la bouche de Khomeiny, c'est une façon de faire du suivisme à l'égard de ce dernier. Il y en a d'autres dans les prises de position du SU La revue du Secrétariat Unifié donne du rôle de l'ayatollah Khomeiny une analyse qui ne manque pas d'ambiguïtés. Dans un article signé Parvin Najafi (numéro du 18 décembre), on peut lire ceci : «Khomeiny réclame une république islamique qui mettrait fin à tous les accords économiques et militaires avec les pays impérialistes, et qui confisquerait les biens de l'impérialisme en Iran. Il appelle à continuer les grèves et les manifestations jusqu'à ce que le régime soit abattu. Et il a ordonné à la hiérarchie religieuse de faire don de 50 % de la dîme qu'elle perçoit aux ouvriers en grève. En outre, il a fait appel à la base de l'armée pour que les soldats rejoignent la révolte du peuple». C'est mettre bien des choses au crédit de Khomeiny qui n'en a jamais tant dit, en particulier en ce qui concerne les relations que son éventuel régime entretiendrait avec l'impérialisme, même s'il est bien possible par ailleurs que les religieux versent des oboles aux grévistes ! Plus loin, du fait que les activités d'opposition en Iran sont traditionnellement passées par les structures religieuses, en raison de la dictature, l'auteur de l'article déduit : «En l'absence d'une direction politique, les masses ont improvisé leurs propres instruments de lutte». En l'occurrence, il s'agit des réunions dans les mosquées ! Citons enfin la conclusion de l'article : «Khomeiny, le seul dirigeant religieux à s'opposer résolument au Chah, a émergé en tant que symbole de la lutte. (...) Les socialistes révolutionnaires reconnaissent que ce ne sont pas ses convictions religieuses mais bien plutôt son opposition irréductible au Chah, ses appels répétés à des manifestations de masse, et son appel à une action politique indépendante, qui lui ont conquis une audience massive à travers l'Iran. La popularité de Khomeiny donne une indication des conditions qui existent pour la création d'un parti ouvrier révolutionnaire qui puisse mener l'actuel soulèvement au succès, à l'instauration d'une république des ouvriers et des paysans». Si les militants qui se réclament du Secrétariat Unifié mesurent les chances de la création d'un parti ouvrier révolutionnaire - et même sa victoire ! - à la popularité de Khomeiny, ils ne sont pas près de créer eux-mêmes ce parti, ni même d'intervenir dans les événements d'une façon indépendante.

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