La solidarité avec le FLNKS ne dispense pas de la critique révolutionnaire des nationalistes01/02/19851985Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1985/02/116.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

La solidarité avec le FLNKS ne dispense pas de la critique révolutionnaire des nationalistes

« La solidarité envers la lutte du peuple kanak semble poser problème à certaines organisations et personnalités se réclamant traditionnellement d'un anticolonialisme militant. C'est le cas de l'avocat Denis Langlois, des camarades de Lutte Ouvrière et du journal Le Monde Libertaire » .

Ainsi LO voit en Nouvelle-Calédonie une lutte « placée sous la direction des notables kanaks » ... écrivent les camarades de la LCR ( Rouge du 4 janvier 1985) dans un article intitulé : « Où va le mouvement national kanak ? »

De fait, le seul problème véritable que nous pose cette question aujourd'hui est la confusion, entretenue par les camarades de la LCR, entre la solidarité nécessaire envers la lutte du peuple kanak (nous n'avons jamais eu d'autre position), et la caution politique que la LCR croit bon d'apporter au FLNKS, à ses dirigeants et à sa politique.

Soutenir la lutte du peuple kanak, y compris ses aspirations nationales. Oui. Soutenir le FLNKS face à l'impérialisme français. Oui, deux fois oui.

Mais cela ne signifie pas qu'il faille renoncer à défendre, devant le peuple kanak, comme devant le prolétariat français (et tous les travailleurs immigrés qui font partie de ce prolétariat) la politique communiste révolutionnaire, c'est-à-dire à combattre, politiquement, la politique des nationalistes ce qui ne signifie nullement tourner le dos aux aspirations nationales des masses populaires, ou renoncer à la solidarité avec leur lutte telle qu'elle est menée.

Mais la politique de la LCR consiste réellement à renvoyer la défense des idées socialistes révolutionnaires à une phase ultérieure de la lutte, quand ce n'est pas à l'espoir d'un infléchissement, spontané ou pas, de la politique des dirigeants nationalistes. Croire qu'il suffit à la LCR de se faire « reconnaître » par des dirigeants nationalistes pour préserver cette éventualité est plus qu'une erreur, c'est tourner le dos à tout l'enseignement de Trotsky, c'est renoncer, et ce n'est pas nouveau, à construire des organisations trotskystes là où il y a un mouvement nationaliste, en remettant la lutte pour la révolution socialiste aux calendes.

Non seulement, les camarades de la LCR renoncent ainsi à utiliser le poids éventuel du secrétariat unifié pour créer une éventuelle organisation de la ive internationale en nouvelle-calédonie, mais ils renoncent même à en défendre le programme, ce qui ne pourrait se faire que dans la critique ouverte de la politique des organisations nationalistes.

Oui, nous voyons incontestablement en Nouvelle-Calédonie une lutte placée sous la direction de notables dont la politique se place sur le terrain de la bourgeoisie. Cela ne nous pose aucun problème de solidarité envers la lutte du peuple kanak. En tant qu'organisation prolétarienne appartenant à un pays oppresseur, nous sommes pleinement solidaires de cette lutte, y compris sous la direction que le peuple kanak accepte. Notre appréciation politique des dirigeants kanaks ne conditionne en aucune façon notre solidarité face à l'impérialisme français. Nous affirmons qu'indépendance ou pas, la direction du FLNKS mène la lutte du peuple kanak dans une impasse, mais nous restons néanmoins solidaires de ces mêmes dirigeants face à l'impérialisme français. Oui, nous soutenons Tjibaou contre Pisani et Mitterrand. Comme nous soutenions Ben Bella contre Guy Mollet ou de Gaulle ; Castro contre Kennedy et ses successeurs ; Ortega contre Reagan, etc. Cela ne pose aucun problème, contrairement à ce que prétend la LCR pour justifier son soutien à la politique du FLNKS ou plus précisément la caution politique qu'elle lui apporte. Face à l'impérialisme, nous choisissons sans hésiter notre camp, même si les Machoro, Tjibaou, Ben Bella, Castro ou Ortega, eux, n'ont jamais choisi le camp du prolétariat mondial.

Cette solidarité élémentaire nous pose si peu de problèmes, que LO est sans doute la seule organisation politique française s'étant adressée directement depuis déjà des semaines à plusieurs centaines de milliers de travailleurs français (au moyen des éditoriaux successifs de ses bulletins d'entreprises) pour défendre sur le terrain de la lutte des classes la lutte du peuple kanak .

Seulement, et c'est là où réside sans doute notre désaccord réel, nous ne pensons pas que le devoir de solidarité des communistes révolutionnaires envers le peuple kanak doive s'arrêter à soutenir ses dirigeants du moment contre l'impérialisme et ses représentants. Ce devoir consiste, aussi à donner au peuple kanak, la possibilité de juger ses dirigeants au cours de la lutte, la possibilité de choisir entre plusieurs politiques celle qui lui paraîtra la plus à même de lui faire remporter une victoire réelle contre l'impérialisme français, la plus à même d'ouvrir une autre perspective d'avenir que celle d'une indépendance politique peut-être, mais incapable d'échapper au pillage impérialiste, souveraine tout au plus sur son propre dénuement comme tant de régimes nationalistes en ont donné l'exemple depuis trente ans.

Et toute la question pour le peuple kanak qui aujourd'hui s'ébranle, s'assemble, se mobilise, et peut donc se poser rapidement toutes les questions, est de savoir pour quel enjeu il s'agit d'engager un combat qui, on le voit bien, exige de toute façon tous les sacrifices.

Alors de deux choses l'une : ou bien ce petit peuple engage toutes ses forces, toute sa détermination dans un combat limité dès le départ à cette seule petite île du Pacifique où le rapport des forces est à l'évidence écrasant en faveur de l'impérialisme français, tout le monde, au sein même du camp kanak, acceptant de fait la donnée préalable de ce rapport de force. Au pire des cas, le peuple kanak sera vaincu pour l'exemple comme à Saint-Domingue ou à Grenade. Au meilleur des cas, il aura combattu pour permettre à ses dirigeants de disputer à l'impérialisme français quelques concessions symboliques ne menaçant en rien ses intérêts. Il aura combattu pour leur permettre de proclamer l'indépendance nationale, c'est-à-dire leur propre accession à l'indépendance vis-à-vis du peuple kanak qui la leur aura conquise. Et cette victoire consacrera la véritable défaite politique du peuple kanak.

Et le regret que nous avons, c'est de voir que la principale section du Secrétariat Unifié ne fui offre, elle non plus, pas d'autre perspective politique, qu'elle le laisse entièrement à la remorque de dirigeants nationalistes parés pour la circonstance de toutes les vertus possibles.

L'autre perspective serait que le peuple kanak engage ses forces et sa détermination dans un affrontement dont l'enjeu essentiel, justement, vise à créer un nouveau rapport de forces, en refusant de se laisser enfermer dans les limites de la seule calédonie, en se débarrassant du carcan micro-nationaliste, en cherchant à entraîner dans sa lutte, pour commencer, ceux-là mêmes qui ont subi les mêmes spoliations, les mêmes ségrégations, les mêmes humiliations que lui-même, ces centaines de milliers, ces millions d'exclus des sociétés coloniales et néo-coloniales des ilôts et des archipels du pacifique, tous ceux qui exactement au même titre que les kanaks peuvent avoir le sentiment d'être les noirs de l'ordre impérialiste blanc sur le pacifique. là non plus, bien sûr, le succès n'est pas garanti. mais les enjeux de la victoire, eux, sont formidables. et même en cas d'échec, cette fois, les germes de la révolution des noirs de kanaky se seront répandus chez leurs frères de race comme de classe, inaugurant un processus effectif de révolution permanente autrement menaçant pour l'hégémonie impérialiste dans le monde que toutes les révolutions nationales volontairement circonscrites dont, au bout du compte, l'impérialisme peut toujours s'accommoder pour peu qu'il en décide ainsi.

Bien sûr, cette politique, en Kanaky, personne ne la propose. Ce n'est pas une raison pour qu'une organisation qui s'appelle la IVe Internationale ne la propose pas non plus.

Ces deux politiques sont antagonistes. La première n'est pas l'étape de la seconde, elle est son sabordage. Accepter l'hégémonie des directions nationalistes au nom de notre solidarité avec elles face à l'impérialisme, renoncer ne serait-ce qu'à les critiquer publiquement en vue, pour le moins, de susciter parmi les militants kanaks anti-impérialistes des vocations communistes révolutionnaires (à supposer que la IVe Internationale n'ait pas les forces de créer une section trotskyste sur place), nous semble un dangereux renoncement politique.

Notre solidarité avec le peuple kanak, avec les plus pauvres, les plus démunis de Nouvelle-Calédonie, avec les opprimés et laissés pourcompte de toujours, est une solidarité totale, une solidarité dé nature, en un mot une solidarité de classe envers ceux qui n'ont rien à perdre, ni biens ni privilèges bien sûr, ni position sociale si précaire et relative soit-elle. Cette solidarité-là est constante, indépendante des circonstances comme des rapports de force établis. Elle a ses exigences politiques propres, qui dépassent le seul soutien propagandiste dans la métropole impérialiste. Ceux-là sont plus que nos alliés, ce sont les nôtres.

Notre solidarité avec les dirigeants kanaks quant à elle, est d'une toute autre espèce. Pour être inconditionnelle (au sens où nous ne leur demandons pas d'être ce qu'ils ne sont pas) elle est de nature circonstancielle et provisoire. Ceux-là sont nos alliés, pour un temps, le temps qu'ils jugent, eux, nécessaire de se faire porter par le combat anticolonialiste afin de consolider, d'obtenir, voire d'arracher à l'impérialisme une position sociale et politique, un fief national même minuscule, et le siège à l'ONU qui va avec.

Alors oui, notre solidarité militante a un caractère politique contradictoire, ce qui à vrai dire n'est pas pour embarrasser des organisations se réclamant de la tradition bolchevique. Et il s'agit là d'un vieux débat, en effet, comme le soulignent les camarades de la LCR dans Rouge. Pas un débat, comme ils le pensent, pour savoir s'il faut ou non reprocher leur nationalisme aux peuples opprimés (personne ici ne le leur reproche), mais un débat autour de ce que les bolcheviks appelèrent le Front Unique (qu'ils réalisèrent de façon révolutionnaire de février à octobre 1917 avec le succès que l'on sait), débat repris par Trotsky au sein de l'Internationale Communiste, puis en dehors, jusqu'à la fin de sa vie, à propos de pratiquement toutes les questions politiques majeures de la période, de la grève des mineurs anglais de 1926 comme de la question de l'alliance avec le Kuomintang en Chine, de la lutte à mener contre le fascisme, comme de la signification des « Fronts Populaires ».

Et c'est ce même débat qui ressurgit si fréquemment aujourd'hui au sein du mouvement révolutionnaire.

Huguette CHEVIREAU (LO)

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