Quelles perspectives politiques pour les travailleurs ?01/04/19781978Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1978/04/52_0.jpg.484x700_q85_box-28%2C0%2C2448%2C3504_crop_detail.jpg

Quelles perspectives politiques pour les travailleurs ?

Quelles sont les perspectives politiques pour la classe ouvrière après la défaite électorale de la gauche ?

Pour le moment le PC et le PS s'abstiennent d'en proposer et, pour parler comme la LCR d'un gouvernement PC-PS appuyé sur les luttes des travailleurs qui chasseraient Giscard et la droite, il faut le faire, comme elle, en se passant à la fois du bon vouloir du PC et du PS et de la volonté des travailleurs, dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils n'ont guère conscience ni de la possibilité d'une telle solution ni, à juste titre, de son utilité.

Pour répondre de façon plus juste à cette question il faut d'abord examiner la réalité des perspectives que semblait ouvrir une éventuelle victoire électorale de la gauche.

L'électoralisme de l'union de la gauche

PC-PS prétendaient que la victoire de l'Union de la gauche pouvait résoudre la plupart des problèmes qui se posaient aux travailleurs dans la situation actuelle : niveau de vie, chômage, conditions de travail, démocratie sociale, tout devait être réglé par le futur gouvernement de l'Union de la gauche. A tel point que depuis plusieurs années déjà, les grandes centrales syndicales comme la CFDT et la CGT, implicitement pour la première, ouvertement pour la seconde, renonçaient aux luttes d'ampleur nationale sous prétexte qu'aucun des objectifs qui pouvaient être assignés à ces luttes ne pouvait être atteint avec un gouvernement réactionnaire. Il fallait d'abord changer le gouvernement, selon les dirigeants syndicaux, pour espérer le succès dans des domaines importants. Autrement dit, les luttes d'ensemble des travailleurs ne servent à rien quand le gouvernement est réactionnaire et, bien sûr, elles ne servent à rien non plus quand le gouvernement ne l'est pas, car alors elles deviennent inutiles. Pour ces dirigeants soi-disant ouvriers, la lutte des travailleurs ne consiste qu'en escarmouches partielles contre des patrons hors de la ligne gouvernementale.

Il n'est jusqu'aux organisations se disant d'extrême gauche comme le PSU, la LCR et quelques autres qui ne considéraient la victoire de l'Union de la gauche comme une étape nécessaire et indispensable au renouveau des luttes ouvrières. Là, le raisonnement était un peu différent - c'était l'enthousiasme de la victoire électorale qui aurait entraîné les travailleurs dans l'action - mais la conclusion était identique : il fallait d'abord et avant tout un gouvernement d'Union de la gauche.

Avec les résultats que l'on sait du scrutin de mars, cette perspective-là s'effondre. Mais si l'on admet volontiers qu'il s'agissait d'une perspective politique pour le PS et le PC, est-ce que c'était vraiment une perspective politique pour les travailleurs ?

Un gouvernement d'union de la gauche n'aurait pas ouvert de perspectives politiques à la classe ouvrière

Nous avons toujours considéré que non. En effet, un gouvernement d'Union de la gauche aurait été un gouvernement qui aurait mené fondamentalement la même politique que les gouvernements de droite précédents. En effet, dans le cadre de l'impérialisme vieillissant, comme l'est l'impérialisme français, et à plus forte raison dans la situation de crise mondiale qui existe depuis trois ans, il n'y a pas de place pour deux politiques sociales et économiques qui respectent les intérêts de la bourgeoisie et de l'impérialisme français. Et, inutile de le dire, ni le PC, ni le PS n'avaient l'intention d'aller à l'encontre de ces intérêts.

Et si au cours de la campagne électorale, nous avons déclaré clairement que nous étions en faveur de la victoire de l'Union de la gauche, nous avons déclaré non moins nettement que nous n'attendions rien de bon pour les travailleurs de cette victoire et que notre prise de position était uniquement un geste de solidarité envers l'immense majorité des travailleurs qui souhaitaient cette victoire. Mais en même temps que nous affirmions cette position, nous avons mis en garde les travailleurs contre la politique que mènerait le gouvernement d'Union de la gauche en précisant que les travailleurs n'avaient rien à en attendre.

Aurait-il créé des conditions meilleures au développement des luttes ouvrières ?

Si l'on ne considère pas que la victoire de l'Union de la gauche constituait en elle-même une perspective favorable pour les travailleurs, pouvait-on au moins considérer que, en mettant les partis réformistes au gouvernement, c'est-à-dire en situation de démontrer à l'ensemble de la classe ouvrière dans quel camp ils étaient réellement, cette victoire aurait créé une situation permettant une prise de conscience révolutionnaire de la classe ouvrière ?

Peut-on dire qu'avec cette victoire l'hypothèque du réformisme aurait pu être levée, le PC et le PS auraient pu se démasquer vis-à-vis de l'ensemble des travailleurs, et ceux-ci se seraient trouvés dans une situation où ils auraient pu se tourner vers les organisations révolutionnaires ?

C'était évidemment une évolution possible mais ce n'était en rien une perspective objective. Confrontés à la perspective de la victoire électorale de la gauche, c'est cette évolution que nous avons, par notre politique aussi bien avant la campagne que pendant la campagne, tenté de préserver. Pour cela, nous avons fermement et inlassablement dénoncé la politique, les intentions et les objectifs de l'Union de la gauche afin que quelles que soient les illusions actuelles des travailleurs envers ces partis, ils entendent notre voix et puissent, leurs illusions tombées, se souvenir de ce que nous disions.

Mais cela ne veut pas dire qu'une telle évolution, qu'un telle radicalisation était automatiquement inscrite dans la victoire de l'Union de la gauche

Cette victoire n'aurait pas été une victoire de la classe ouvrière se battant sur son terrain, mais une simple victoire électorale due au vote à gauche d'une fraction de l'électorat centriste. Cette victoire ne se serait accompagnée d'aucune prise de conscience particulière mais au contraire de bien des illusions. Rien ne prouve même que l'enthousiasme de cette victoire aurait déclenché des luttes revendicatives. Et en tout cas rien ne prouve qu'après l'épreuve de l'Union de la gauche au gouvernement, les travailleurs désillusionnés se seraient tournés vers l'extrême gauche plutôt que vers la droite ou l'extrême-droite.

Cela aurait été une course de vitesse entre l'extrême gauche et la droite, et l'extrême droite, et rien ne prouve que l'extrême-gauche avait les qualités politiques et humaines pour gagner cette course de vitesse dans la conquête des masses. Bien au contraire, le suivisme d'une partie d'entre elle vis-à-vis de l'Union de la gauche faisait peser le poids d'un lourd handicap car les travailleurs n'auraient eu aucune raison de faire spécialement confiance à des gens qui avaient contribué à maintenir leurs illusions.

Il ne faut donc pas confondre la politique que nous imposait une situation donnée - l'éventuelle victoire de l'Union de la gauche à laquelle nous ne contribuions pas et que nous prenions pour une donnée objective - avec une perspective politique. Nous ne disions pas : il faut la victoire de l'Union de la gauche parce que ainsi cela permettra aux travailleurs de perdre leurs illusions dans le PC, dans le PS et cela nous ouvrira la voie après. Nous disions : s'il y a la victoire de l'Union de la gauche, il faut dès maintenant combattre et dénoncer les illusions des travailleurs, afin de leur offrir dès maintenant une alternative pour le jour où, immanquablement, ils seront déçus. Comme on voit, pour nous, la victoire électorale de l'Union de la gauche n'offrait pas à la classe ouvrière de perspectives politiques réelles, quelles que soient les réserves que l'on puisse accoler à ces termes.

La défaite électorale de la gauche n'a rien modifié

Est-ce que la défaite électorale de la gauche en offre plus, ou en offre moins ?

Plus, certainement pas. Car la déception s'accompagne généralement de démoralisation et crée dans les rangs ouvriers un climat qui n'est guère propice à l'engagement militant.

Mais est-ce qu'elle en offre moins ? Certainement pas non plus car, rappelons-le, la victoire électorale de l'Union de la gauche ne se réalisant pas sur un terrain de classe aurait été une victoire de l'inconscience et non de la conscience. Elle ne s'accompagnait pas d'une mobilisation ouvrière, les conflits grévistes n'étant ni plus fermes, ni plus amples, ni plus nombreux dans l'année écoulée. En fait à court terme, la victoire électorale n'offrait aucune perspective politique.

Aujourd'hui, il ne peut pas y en avoir moins, mais il n'y en a toujours aucune. Un parti révolutionnaire fait cruellement défaut aujourd'hui, comme hier, à la classe ouvrière. Les organisations révolutionnaires ne représentent toujours que fort peu de choses, tant du point de vue de l'influence, que du point de vue des forces militantes par rapport à la classe ouvrière. Malheureusement, elles ne représentent pas grand-chose non plus sur le plan du capital politique.

Pas de perspectives politiques pour la classe ouvrière sans parti révolutionnaire

On ne peut guère parler de perspectives politiques pour la classe ouvrière française en l'absence d'un parti révolutionnaire tant soit peu digne de ce nom, car les perspectives politiques ne peuvent être que des perspectives conscientes.

Proposer, comme le fait la LCR, l'objectif d'un gouvernement PC-PS serait une plaisanterie si, en fait ce n'était encore une fois un alignement sur le PC ou le PS. Car l'on peut effectivement imaginer une crise sociale telle que la bourgeoisie fasse appel aux hommes politiques du PC et du PS, dont Mitterrand, homme politique bourgeois s'il en est, mais un tel gouvernement serait une machine de guerre anti-ouvrière, un coup d'arrêt à la lutte des travailleurs. Et si les révolutionnaires, dans la dynamique même d'une telle lutte, peuvent être amenés à soutenir un tel gouvernement, ou même à réclamer qu'il prenne tous les pouvoirs, c'est une trahison mesquine et sordide de l'héritage marxiste que de prétendre donner un tel objectif dans la situation actuelle où les travailleurs sont loin d'être mobilisés.

La classe ouvrière n'a pas, pour le moment, de fraction avancée, conséquente et organisée sur le terrain politique. Elle ne peut donc avoir de perspectives politiques indépendante. Les révolutionnaires sont trop faibles soit politiquement, soit organisationnellement pour combler ce vide dans le présent.

La crise au sein du PC

Est-ce qu'il y a au sein du PC une crise telle qu'une fraction de ses militants prenne conscience de la nécessité de créer une autre organisation ? C'est la seule question de l'heure.

Pour le moment, il semble que cette crise touche principalement les milieux d'intellectuels et de petits bourgeois qui reprochent en substance au PC d'avoir fait perdre les élections à la gauche par son intransigeance. Par sa politique ambiguë qui consiste à reprocher à la gauche sa division et plus particulièrement au PC d'en être responsable, la LCR peut parfaitement trouver un écho dans ces couches et y trouver à se renforcer. C'est possible, mais cela n'ouvrira certainement pas de perspectives politiques à la classe ouvrière.

Maintenant, il est possible que, plus à la base, parmi les militants qui n'ont pas l'habitude de s'exprimer publiquement, il y ait aussi, et parallèlement, un désaveu du réformisme et la conscience qu'une autre politique est possible et qu'il faut renouer avec les idées révolutionnaires. C'est possible mais il est difficile de le savoir, les militants ouvriers sont ceux qui s'expriment le moins, sont ceux qui rencontrent le moins d'échos et le moins de journalistes pour faire entendre leur voix. Ces militants, il faut être capable de les trouver là où ils se trouvent, dispersés dans tout le pays, dans les ateliers, les bureaux, les entreprises petites et grandes.

C'est la tâche que nous nous proposons.

Nous ne pensons pas pouvoir offrir dans la période qui vient de

perspectives politiques à l'ensemble de la classe ouvrière. Ce que nous pensons, c'est qu'il faut se donner les moyens de vérifier si la crise au sein du PC et du PS ne touche pas que ceux qui sont déçus de ne pas se trouver dans les allées petites ou grandes du pouvoir, et si elle touche aussi les militants ouvriers, afin d'être en mesure, dans une deuxième étape d'offrir à la classe ouvrière les moyens de se donner des perspectives politiques, c'est-à-dire un parti révolutionnaire réellement lié aux masses.

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