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Argentine : élections après douze ans de péronisme à la sauce Kirchner
L'inflation est très forte. Le gouvernement ne parvient pas à juguler le marché noir des devises où dollar et euro s'achètent 50 % plus cher que le cours officiel. La dévaluation du peso est à l'ordre du jour. Le successeur devra aussi régler la question des fonds vautours, ces spéculateurs qui ont racheté à bas prix une fraction de la dette pour en tirer un profit exorbitant et ont obtenu des jugements défavorables à l'État argentin.
Ces questions se discutent dans les journaux de la bourgeoisie, mais n'ont pas été abordées dans la campagne car, comme on dit là-bas, « si tu annonces ce que tu vas faire, tu ne seras pas élu ».
L'élection primaire du 9 août dernier
70 % des électeurs ont voté à l'élection du 9 août, contre 81 % en 2011. Cela représente 22 millions de votants mais plus de 9 millions d'abstentionnistes : c'est beaucoup dans un pays où le vote est obligatoire, sauf pour les plus de 70 ans.
Le candidat arrivé en tête avec 38 % des voix, Daniel Scioli, est le successeur désigné de la présidente et gouverneur de la province de Buenos Aires, qui concentre le tiers des 41 millions d'Argentins. Il fut vice-président de Nestor Kirchner de 2003 à 2007.
Il est porté par la coalition politique qui a assuré les douze ans de règne du couple Kirchner : le Front pour la victoire, alliance du parti péroniste avec la fraction de la gauche sensible aux droits de l'Homme, dont les Mères de la place de Mai, mères des victimes de la dictature, sont l'expression visible, et aussi le Parti communiste.
Le deuxième candidat, Mauricio Macri, un riche homme d'affaires, a obtenu 30 %. Ex-président d'un populaire club de football, il s'est lancé en politique. Député en 2005, il est maire de Buenos Aires depuis 2007. Sous l'étiquette « Changeons », il exprime à voix haute les souhaits du patronat, comme supprimer allocations et aides aux classes populaires.
Enfin, Sergio Massa, député péroniste dissident à la tête d'un Front rénovateur, a obtenu 20 % des voix. Ex-chef de cabinet de la présidence en 2008-2009, ex-maire d'une banlieue chic, il dénonce l'insécurité, le travail au noir, l'impôt, avec des accents réactionnaires. Opposant aux Kirchner depuis 2009, il se dit partisan d'un « ordre juste ».
À eux trois, ces candidats se sont partagé 88 % des suffrages, laissant à leurs opposants un espace fort mince.
La campagne des trotskystes
Parmi ceux-ci, cinq courants trotskystes étaient en lice pour les primaires. Deux d'entre eux, le MAS (Mouvement vers le socialisme) et le MST (Mouvement socialiste des travailleurs), se partageant près de 200 000 voix, n'ont pas passé la barre des 1,5 % permettant de rester en lice. En revanche, le FIT (Front de gauche et des travailleurs), un front électoral qui unit depuis 2011 trois autres organisations (le Parti ouvrier, PO, et deux organisations issues du courant moréniste, le Parti des travailleurs pour le socialisme, PTS, et la Gauche socialiste, IS), sera présent à l'élection.
La loi permettant d'avoir une primaire dans la primaire, le FIT est apparu divisé, le PO et le PTS ne s'étant pas mis d'accord sur un candidat présidentiel commun. Son candidat, Nicolás Del Caño, ayant obtenu dans une élection partielle à Mendoza un bon résultat (17 %), le PTS a revendiqué pour lui la tête de liste présidentielle, ce que le PO et son candidat, Jorge Altamira, ont refusé. Ils sont allés séparément à l'élection, d'un côté le PO et IS, et de l'autre le PTS, mais sous l'étiquette commune FIT, leurs voix s'additionnant pour la primaire. Ensemble, ils ont obtenu 3,3 % et 730 000 voix.
Le jeune candidat du PTS l'ayant emporté, en octobre les candidats du PTS seront tête de liste présidentielle, tandis que les trois organisations se partageront les autres postes. Ils pensent obtenir quatre à six députés.
Le parti péroniste, naissance d'un mythe
Si Daniel Scioli a dominé la primaire, il le doit à l'emprise que les Kirchner ont imprimée au parti péroniste depuis douze ans, faisant oublier la décennie ultralibérale de Menem, et renouant avec le mouvement péroniste des origines, notamment la recherche d'un soutien populaire.
Le parti péroniste, dont le nom officiel est le Parti justicialiste, a été fondé en 1947 par le général Juan Domingo Perón. En 1943, des officiers s'étaient emparés du pouvoir par un coup d'État. Influencés par le fascisme, ils étaient opposés à la participation de l'Argentine à la Deuxième Guerre mondiale dans le camp des Alliés. Secrétaire d'État au travail, Perón y acquit une telle popularité qu'il fut jeté en prison par ses rivaux en octobre 1945. Mais, le 17 octobre, une mobilisation dite des « sans chemise », organisée par l'appareil de la CGT, confédération syndicale née en 1930, le porta au pouvoir. Président de 1946 à 1955, il s'inspira de la politique du président mexicain Lázaro Cárdenas qui, de 1934 à 1940, avait noué une relation privilégiée avec les syndicats pour développer l'économie nationale.
La guerre ayant assuré la prospérité de l'Argentine, fournisseur des belligérants, Perón put satisfaire des revendications ouvrières comme le treizième mois, ce qui marqua les ouvriers. En outre, sa compagne, Eva, surnommée affectueusement Evita, s'occupa de protection sociale, se rendant très populaire dans les familles modestes.
Aux patrons qui s'inquiétaient de cette sollicitude pour les classes populaires, le couple ne manqua jamais de rappeler qu'il n'entendait pas privilégier le travail au détriment du capital, mais tout le contraire. Le décès d'Evita en 1952, à 33 ans, en fit un mythe qui dure encore. Perón fut chassé par l'armée en 1955 ; son parti interdit, la CGT prit le relai. Son exil en Espagne franquiste cessa en 1973, quand il revint en Argentine, pour un court moment puisqu'il mourut en 1974.
Un péronisme écartelé
À partir de 1969, la radicalisation des ouvriers, marquée par plusieurs soulèvements dans des villes comme Cordobá ou Rosario, mais aussi par la radicalisation de la jeunesse, écartela le mouvement péroniste entre une aile d'extrême gauche, les Monteneros rêvant d'un Perón castriste, et une extrême droite, conduite par José Lopez Rega qui, avec l'appui des tueurs de la Triple A, se chargea, bien avant le coup d'État de 1976, d'exécuter les Monteneros, mais aussi les militants ouvriers ou d'extrême gauche.
La dictature militaire (1976-1983) élargit cette persécution, torturant et assassinant pendant sept ans, faisant disparaître quelque 30 000 opposants, dont 30 % d'ouvriers. À la sortie de la dictature, le parti radical, l'Union civique radicale, parti de la bourgeoisie depuis 1891, prit les rênes de l'État derrière le président Raúl Alfonsín, qui lança des procès contre les militaires pour finalement les amnistier.
La dictature ayant multiplié par sept la dette, le pays se débattait dans les difficultés économiques. En 1989, l'inflation frisant 5 000 %, Alfonsin céda la place au péroniste Carlos Menem, qui allait présider pendant dix ans.
Un péronisme antiouvrier
Pour Menem, il ne fut question ni de développer l'économie nationale ni de ménager les travailleurs. Il privatisa massivement, achevant le démantèlement de l'industrie nationale amorcé par la dictature pour offrir plus d'espace aux multinationales étrangères. Cela entraîna des centaines de milliers de licenciements et l'apparition d'un mouvement de chômeurs, les piqueteros qui, pour obtenir des aides, barraient les routes. Au terme de sa décennie, Menem était vomi.
En 1991, il aligna le peso sur le dollar à parité, donnant ainsi à la petite bourgeoisie un pouvoir d'achat accru. Mais, avec la crise financière de 1997 qui allait frapper l'Asie, la Russie puis l'Amérique latine, cela devint intenable. Cette politique déboucha sur le krach de décembre 2001, mais à cette date Menem n'était plus aux commandes. Battu en 1999, il fut remplacé par le radical Fernando de la Rúa, qui fut lui-même balayé par le krach. Sa fuite en hélicoptère marqua au point que le parti radical ne s'en est toujours pas remis.
Le krach de 2001
Le peso perdit 75 % de sa valeur ; le chômage grimpa à 21 %, le taux de pauvreté à 54 % et le taux d'indigence à 27 %. L'industrie était en panne et la majorité de la population vivait d'expédients. Cela déclencha des pillages de supermarchés et une émeute réprimée dans le sang, 35 morts. La petite bourgeoisie, excédée par l'encadrement bancaire, manifestait sa colère en frappant des casseroles ; les chômeurs amplifiaient les barrages routiers et les salariés de 150 entreprises maintinrent l'activité malgré la fuite du patron.
Les péronistes cherchaient un successeur à de la Rúa. En une semaine, cinq candidats se présentèrent. Le meilleur tint cinq jours. L'intérim fut assuré par le gouverneur de la province de Buenos Aires, Eduardo Duhalde, épaulé par l'économiste Roberto Lavagna, qui se chargea de réparer les dégâts de son prédécesseur, Domingo Cavallo, qui avait sévi sous Menem et de la Rúa. Lavagna dévalua le peso pour amorcer la relance de l'activité et la décrue du chômage. Duhalde distribua des aides aux chômeurs, tandis qu'il cherchait un candidat pouvant incarner le renouveau et empêcher le retour de Menem. Ce fut Nestor Kirchner.
Il y eut trois candidats péronistes à la présidentielle. Menem obtint 24 % et Kirchner 22 %. Il n'y eut pas de deuxième tour car Menem jeta l'éponge.
L'embellie sous la présidence de Nestor Kirchner
Quand Kirchner prit la tête de l'État en 2003, il avait 52 ans et gouvernait depuis douze ans la province de Santa Cruz, après avoir été maire de Río Gallegos. Jusqu'en 1995, il fut un relais fidèle de Menem, puis il critiqua sa proximité avec les États-Unis et l'amnistie des militaires.
Sa province étant riche en pétrole et en gaz, les exportations assuraient une grande prospérité à la province et aux Kirchner. Autre atout, son épouse Cristina connaissait les rouages du système, ayant été de 1989 à 2001 conseillère régionale, députée et sénatrice.
Kirchner conserva Lavagna à l'Économie et s'attaqua aux lois d'amnistie des militaires abolies en août 2003. Cela ouvrit la voie à de nouveaux procès contre les militaires, y compris les chefs des juntes, qui additionnèrent les années de prison. Ces procès se poursuivent encore actuellement. Kirchner renforça ainsi ses liens avec le milieu des Mères de la place de Mai, qui restent mobilisées contre l'impunité des tortionnaires et dans la recherche des enfants de militants assassinés et volés par l'armée.
Kirchner reçut le soutien de la CGT, réunifiée en 2004 après avoir été divisée en deux factions, pro et anti-Menem. Il légalisa les entreprises relancées par leurs salariés devenues des coopératives. Le climat social s'apaisa, les piqueteros disparurent.
Le marchandage de la dette
Restait le problème de la dette externe. Inexistante en 1949, elle explosa sous la dictature, grimpant de 5 à 35 milliards de dollars. Elle était de 132 milliards en 2001. Une bonne part de ces milliards provenait de la reprise par l'État du passif de plusieurs fleurons de la bourgeoisie nationale, entre autres, les groupes Pérez Companc, Techint, Fate, Bunge y Born et Socma (Macri). Kirchner consacra l'essentiel des recettes de l'État à rembourser les prêts des instances internationales. Il fut moins souple avec les créanciers privés. Il agita la menace du défaut de paiement pour obtenir le soutien tacite du FMI qui entendait continuer d'être remboursé, et put ainsi imposer une forte réduction aux créanciers privés.
De 2004 à 2005, Lavagna proposa aux créanciers d'échanger leurs titres contre des bons aux montants diminués et étalés dans le temps. Soixante-seize pour cent des créanciers acceptèrent, réduisant la dette de 62 milliards. En décembre, il effaça la dette du FMI avec un versement anticipé de 10 milliards de dollars. En 2009, le service de la dette, les intérêts versés aux prêteurs, ne représentait plus que 7 % du budget contre 35 % en 2003. En 2010, 93 % des créanciers avaient négocié.
La fin du mandat fut marquée par des scandales, la corruption du système n'ayant pas disparu. Cela touchait des comparses mais, plus tard, cela devait éclabousser les Kirchner. En 2013, leur fortune avait augmenté de 700 % en dix ans ! Mais à l'heure de l'embellie économique des années 2005-2007 marquée par des taux de croissance moyens de 9 %, un taux de chômage retombé à 8 % et un taux de pauvreté divisé par deux, la réélection de Nestor était assurée. Il surprit en mettant en avant son épouse Cristina, laissant entendre qu'il reviendrait en 2011. Les « K » étaient aux commandes.
Quatre mois de conflit avec la bourgeoisie agricole
L'élection de Cristina Kirchner se déroula sans difficultés et une partie des ministres de Nestor furent reconduits. Il en alla différemment l'année suivante.
En quête de recettes fiscales et constatant que les exportations agricoles étaient florissantes, 5,5 % du produit intérieur brut mais 18 % des exportations, la présidente annonça en mars 2008 l'augmentation des taxes à l'export.
En dix ans, les surfaces agricoles consacrées à la culture du soja étaient passées de 25 à 53 %, tandis que celles consacrées au blé avaient reculé de 30 % à 18 %. Les abattoirs de Buenos Aires traitaient trois fois moins de bétail. Les Kirchner escomptaient réorienter la production agricole pour faire baisser le montant des importations. Mais les organisations d'exploitants agricoles se mobilisèrent contre les nouvelles taxes, en tête la Société rurale, héritière de la bourgeoisie terrienne, pionnière du capitalisme argentin.
Cela déclencha un débat sur le monde agricole, les difficultés des agriculteurs modestes, souvent sous-traitants des riches propriétaires, masquant les exigences de la bourgeoisie. Les agriculteurs bloquèrent les routes. La présidente resta ferme. La droite et Macri rejoignirent la protestation. Les Kirchner négocièrent, mais leur proposition d'aides aux petites entreprises fut rejetée. Les prix alimentaires doublèrent dans la capitale. La présidente espérait que sa majorité ferait passer sa proposition. Mais son propre vice-président annonça qu'il ne la soutenait pas. Le projet fut remballé et la popularité des Kirchner au plus bas.
Dès lors, la présidente dénonça la presse qui avait soutenu la bourgeoisie agricole, en tête le quotidien Clarin (Le Clairon), anti-péroniste depuis sa fondation en 1945, dont la propriétaire, la très fortunée Ernestina Herrera de Noble, avait soutenu l'armée pendant la dictature. Le quotidien devint la voix des anti-Kirchner, mais ces attaques remobilisèrent les soutiens des « K ».
Du social et du sociétal pour remonter la pente
La présidente accentua alors sa politique sociale. La gestion des pensions de retraite avait été privatisée par Menem en 1993. Pendant des années, on vit manifester des retraités dont les pensions, très faibles, étaient versées avec des mois de retard. La présidente s'attaqua aux fonds de gestion. Le système fut renationalisé. Depuis, les retraites, toujours modestes, sont versées régulièrement et même augmentées, mais en dessous de l'inflation. Elle revalorisa les allocations pour accident du travail, mit en place une allocation universelle par enfant qui tira de la misère 1,6 million de personnes, dont une moitié d'enfants. Dans les quartiers déshérités, Cristina devint synonyme d'Evita.
En 2010, une loi autorisa le mariage des couples homosexuels, qui avaient déjà les mêmes droits que les hétérosexuels. La présidente apparut ferme face à l'Église ; elle s'était gardée cependant de proposer la légalisation de l'avortement.
La crise économique de 2008 qui menaça le système bancaire international épargna l'Argentine. Soutenue par des dizaines de milliards d'aides et grâce aux exportations, elle maintint un rythme de croissance élevé, 9 % en 2010.
Fin de règne
Le 27 octobre 2010, la radio annonça le décès de Nestor Kirchner. La présidente devait donc se succéder à elle-même. L'action de Nestor fut mise en valeur, ainsi que l'action sociale en cours, et elle fut réélue.
S'étant fait beaucoup d'ennemis, à droite mais aussi dans la CGT, elle chercha d'autres alliés sur sa gauche. Nestor s'affichait avec Lula du Brésil, elle se rapprocha de Chávez du Venezuela. Elle adopta un ton anti-impérialiste contre les États-Unis et aussi le Royaume-Uni, en réveillant la revendication du retour des îles Malouines à l'Argentine.
Elle en joua encore, non sans raison, lors du bras-de-fer avec les fonds vautours. En octobre 2012, la cour d'Appel de New York déclarait que la restructuration de la dette de 2005 ne valait que si le gouvernement remboursait aussi les créanciers n'ayant pas choisi d'échanger leurs titres. L'État argentin était sommé de verser 3 milliards à ces créanciers et 1,3 milliard aux fonds vautours, ces fonds spéculatifs qui avaient racheté à bas prix des créances pour les revendre dix-sept fois leur prix. Un deuxième jugement défavorable, intervenu cette année, a fait grimper la facture de l'Argentine vis-à-vis de ces fonds à 7 milliards. En payant, l'État argentin risque d'inviter les créanciers ayant échangé leurs titres à réclamer leur part, évaluée à 95 milliards de dollars...
En 2012, au nom de la souveraineté, elle proposa la renationalisation de Repsol, une compagnie espagnole qui, sous Menem, avait pris le contrôle de la compagnie YPF qui exploitait et distribuait le pétrole argentin. Deux ans plus tard, Repsol ne disait plus « non » à 5 milliards de dollars d'indemnités.
La présidente dut cependant remballer son rêve d'un troisième mandat face à une manifestation monstre qui rassembla tous ses ennemis. Il ne lui restait qu'à préparer sa succession.
Face à l'austérité annoncée
L'Argentine est aujourd'hui dans une situation moins tourmentée qu'en 2003. Les « K » ont atténué la dette. Mais ils ont géré en fonction de leurs échéances électorales, continuant, comme leurs prédécesseurs, à vivre à crédit, ce qui alimente une dette que leurs successeurs tenteront de faire payer aux classes populaires.
Avec la relance de l'activité industrielle, la pauvreté a reculé, mais la contestation ouvrière aussi. Il y a encore des conflits sociaux durs, mais isolés, comme Lear, Gestamp ou la ligne de bus 60. Les ouvriers obtiennent parfois des résultats marquants, comme ceux des huileries de soja qui ont imposé cette année un salaire minimum égal au « panier de la ménagère » officiel, ce qu'il faut pour faire vivre une famille, 14 000 pesos par mois, alors que bien des travailleurs ne gagnent que 5 000 pesos et les mieux payés 12 000 ou 13 000. Mais des luttes ont été réprimées, comme celle de ces ouvriers du pétrole de Las Heras, condamnés à la prison à perpétuité. Avec les travailleurs, les Kirchner ont conjugué clientélisme pour leur électorat avec répression contre ceux qui luttent.
Même si les « K » ont pu s'opposer à une fraction du patronat, l'Argentine qu'ils ont contribué à remettre sur pied est celle où la bourgeoisie locale, et pas seulement les multinationales, domine la société. Qu'ils s'opposent aux travailleurs comme Menem ou qu'ils cherchent leur soutien comme les Kirchner, les péronistes sont au gouvernement pour maintenir l'ordre social. De ce fait, ni la corruption ni la misère n'ont disparu.
La corruption découle en partie du système fédéral : faire passer la ligne du gouvernement exige de mobiliser les gouverneurs des provinces, cela s'accompagne d'aides et de subventions qui parfois s'égarent... Quant à la misère, elle découle de la nature capitaliste du système.
Les péronistes, les chavistes, voire des trotskystes, mettent volontiers l'accent sur le caractère « semi-colonial » du pays, dénonçant le FMI et les multinationales étrangères. Cela a pour conséquence de faire oublier l'autre « semi », son caractère capitaliste. La bourgeoisie nationale est puissante, les « K » ont pu le vérifier. Leurs successeurs, quels qu'ils soient, défendront le même ordre social. Les travailleurs ne doivent pas perdre de vue que leurs ennemis sont aussi à l'intérieur, et pas seulement au gouvernement.
Le redéploiement de l'industrie a fait entrer dans les usines une génération d'ouvriers, jeunes et combatifs. Lors des négociations sur les salaires, les bureaucraties syndicales sont conciliantes, mais la base est mobilisée. Quand le patronat ne tient pas compte de l'inflation, des grèves éclatent et obtiennent plus. Dans la plupart des branches, il y a des oppositions à la bureaucratie, souvent animées par des trotskystes.
Quel que soit le vainqueur des élections, les travailleurs n'y gagneront rien, mais leur combativité et leur force collective restent un gage pour l'avenir.
16 septembre 2015