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France - Décentralisation : l'État se débarrasse à bon compte des services publics
Le 19 décembre 2002, le porte-parole du gouvernement donnait lecture de la décision du président de la République et du gouvernement à propos de l'adoption du projet de loi constitutionnelle sur la décentralisation : " Il y a un rendez-vous qui sera pris avec le congrès, probablement réuni à la fin février ". Plus question de référendum sur cette question " essentielle ", les députés et sénateurs se réuniront donc à Versailles pour adopter la modification de la Constitution.
Il faut dire que les changements en question se limitent à faire ajouter dans l'article premier de la Constitution, à propos de la République : " Son organisation est décentralisée ". Puis devraient être intégrées les indications aussi décisives qui disposent que " la loi et le règlement peuvent comporter des dispositions à caractère expérimental ". Pour le reste, il est institué que la loi peut prévoir, ce qu'elle a fait depuis vingt ans et plus, des transferts de compétences exercées par l'État et autres aménagements qui pourraient en découler.
Onze articles au total qui ne changent rien à la Constitution car il y a bien longtemps que sur le fond tous les partis de la droite à la gauche non seulement approuvent cette décentralisation, mais la mettent en application dès qu'ils sont aux affaires. Il a fallu, dans les semaines qui ont précédé, la guerre larvée des clans au sein de la majorité, avec les éclats du président de l'Assemblée nationale, Jean- Louis Debré, pour que les ténors du PS s'aventurent à faire quelques critiques de forme. Il faut dire que le gouvernement ne fait que reprendre, avec peut-être moins d'audace, leur propre politique en ce domaine.
Le PS revendique d'avoir été depuis vingt ans le principal acteur de cette politique de décentralisation, c'est-à-dire de désengagement continu de l'État des services publics qu'il assurait auparavant. Et c'est le gouvernement Jospin qui, juste avant de laisser la place à la droite, a opéré deux transferts de poids, ceux des transports ferroviaires et de l'aide aux personnes dépendantes, transferts dont les conséquences négatives ne font que commencer à se faire sentir.
Le gouvernement Raffarin a décidé, quant à lui, ces derniers mois, d'envoyer son Premier ministre et ses ministres au charbon à travers toute la France pour tenir " Les assises des libertés locales ". Les 26 réunions tenues ont réuni un public nombreux de... notables venus écouter les mérites et avantages de la politique vendue par le gouvernement. Quant au reste de la population, malgré les grands titres dans les journaux, elle ne s'est pas sentie concernée par ce déploiement médiatique.
Cela dit, c'est pourtant elle qui fera les frais du développement de cette politique, comme elle en a fait les frais depuis vingt ans. Car cette politique a eu et aura des conséquences néfastes sur la vie de la population. L'objet de cet article est d'en faire le bilan, mais sans aborder les cas spécifiques de la Corse et des départements et territoires d'outre-mer qui, en eux-mêmes, relèvent d'une politique particulière.
Une vieille pratique de l'État, institutionnalisée en 1982
Dès avant 1982 et les grandes lois de décentralisation de la gauche, les gouvernements successifs s'étaient arrangés pour faire prendre en charge par les communes et les départements (les régions n'existant pas alors) une part toujours plus grande de ce qui dépendait théoriquement du seul budget de l'État. D'abord pour le réseau routier, la remise en état des routes se faisait souvent par le déclassement de portions de nationales en départementales afin d'en transférer la charge vers les départements. Et plus généralement, l'État savait très bien conditionner la mise en place d'un équipement à la participation financière des collectivités locales. La différence, c'est qu'à l'époque cela se faisait souvent au coup par coup au lieu d'être institutionnalisé comme aujourd'hui. Et, autre différence avec le présent, cela entraînait systématiquement la protestation véhémente des élus locaux, qui dénonçaient régulièrement le pillage des caisses locales par l'État, alors qu'aujourd'hui les mêmes portent aux nues cette même politique, qui a pourtant, dans le contexte actuel, des conséquences bien pires.
Ainsi les dépenses totales des collectivités locales ont augmenté régulièrement en volume depuis la fin de la guerre : elles représentaient 5 % du Produit intérieur brut en 1945, 7 % en 1970, 8,9 % en 1982, 10 % en 1992, soit dix ans après la mise en place de ce que les socialistes présentent comme une quasi-révolution institutionnelle. Au cours des dix années précédant 1982, l'augmentation en volume des dépenses des collectivités locales avait été de 1,9 %, contre seulement 1,1 % durant les dix ans qui ont suivi 1982.
Cela dit, si le phénomène s'est amplifié depuis le début des années soixante-dix, c'est que cela a correspondu au développement de la crise économique. Celle-ci est devenue ouverte en 1973 et s'est accompagnée par la suite d'un tassement et, par moments, d'une baisse de la production. Depuis cette époque, l'État a mobilisé toujours plus les finances publiques pour voler à l'aide des capitalistes et renflouer leurs caisses afin de leur permettre avec l'argent public de maintenir les taux de profits les plus élevés possibles. Un des moyens de libérer des liquidités au niveau des budgets de l'État a donc été de transférer vers les budgets des collectivités locales le maximum des charges que l'État avait en théorie à assumer, les moins décisives du point de vue des intérêts de la grande bourgeoisie.
C'est dans ce contexte de crise que la gauche, arrivant au pouvoir en 1981, a mis sur pied le chantier des lois de décentralisation. La gauche venue au pouvoir sous la direction de Mitterrand, avec Mauroy comme Premier ministre, tenait à montrer à la bourgeoisie qu'elle était aussi soucieuse de ses intérêts que ses prédécesseurs de droite qui s'étaient assurés le pouvoir pendant 23 ans. Les lois de décentralisation votées en 1982 n'étaient qu'un volet d'une politique pro-patronale qui avait ceci de commun avec les nationalisations qu'elle présentait dans un emballage à couleur progressiste une vieille politique sordide de pillage des fonds publics au profit du grand patronat.
D'ailleurs les lois de 1982 se contentèrent de fixer un cadre, avec son habillage de paillettes et les discours sur " la démocratie locale rénovée " ; l'essentiel des lois qui ont eu les conséquences financières les plus importantes ont été votées entre 1982 et 1986. En fait de " démocratie locale rénovée ", les notables locaux voyaient la tutelle des préfets assouplie : ceux-ci, au lieu d'intervenir avant que les décisions soient promulguées, pouvaient intervenir après en saisissant la juridiction administrative. De même, un certain nombre d'actes, comme les permis de construire, dépendaient dorénavant du maire et non plus de la préfecture.
Une nouvelle collectivité, avec des pouvoirs de gestion directe, était confirmée la région, dont les représentants allaient être élus au suffrage universel à partir de 1986. Au seul niveau institutionnel, l'essentiel de la réforme consistait à transférer aux présidents d'exécutifs locaux, maires et présidents de conseils généraux et régionaux, des pouvoirs exercés par les préfets, des pouvoirs exorbitants, sans contrôle et quasi dictatoriaux. Et être ainsi maîtres de budgets se chiffrant en milliards de francs pour les principales collectivités représentait un attrait certain pour les bénéficiaires potentiels de l'opération. Ce bel os à ronger donné à la caste des notables locaux avait une contrepartie : ils allaient avoir à assumer, de façon définitive et pas seulement ponctuelle, le transfert de pans entiers des services publics assurés jusqu'alors par l'État.
Des transferts qui coûtent cher aux collectivités locales
Or, dès le départ, il est apparu que l'opération de transfert de compétences de l'État vers les collectivités locales, qui n'a pris sa pleine vitesse qu'après 1986 avec le transfert de la charge des collèges aux départements (pour lesquels la part communale d'intervention existant auparavant a été totalement supprimée) et des lycées aux régions, allait se faire dans des conditions déplorables. L'État s'engageait financièrement à garantir, à travers le transfert de compétences, le seul montant de ce qu'il consacrait lui-même à ces postes auparavant. L'État entendait se débarrasser de la construction, reconstruction, entretien et fonctionnement des lycées et collèges, qui depuis des dizaines d'années avaient été laissés à l'abandon. Une multitude de collèges et lycées, par exemple, se trouvaient être dans la catégorie des " Pailleron ", du nom de ce collège parisien en pré-fabriqué bas de gamme qui avait brûlé en quelques minutes après le début d'un incendie. La simple remise aux normes de sécurité élémentaires des lycées et collèges du pays allait nécessiter, de fait, après la prise en charge de ceux-ci par les départements et régions, des travaux et reconstructions dont on entrevoit seulement la fin maintenant. Car même quand il avait été obligé de construire, l'État l'avait fait bien souvent selon la mode des constructions de transit de l'après-guerre, à la va-vite, avec du " provisoire " qui a duré des années, voire des dizaines d'années. Et d'ailleurs, très vite, les chiffres allaient montrer la distorsion entre les transferts de l'État et la réalité des dépenses que régions et départements allaient être obligés d'assumer.
Pour les lycées, les investissements des régions, désormais seuls intervenants, sont passés de 899 millions de francs en 1986 à 2,957 milliards de francs dès 1987, puis ont doublé chaque année pour atteindre 15,451 milliards de francs en 1991. En 1992, ces investissements ont baissé de 1,9 %, et de 3,7 % en 1993.
Pendant le même temps, l'évolution de la part de participation de l'État pour compenser ces dépenses a suivi une courbe contraire. En 1986, la part, directe et indirecte, de l'État dans l'ensemble de ce transfert de compétences était encore de 92,9 %. Celle-ci tombait à 53,7 % dès 1987, pour arriver à 18,6 % en 1990. Il aura fallu attendre le recul des investissements des régions pour les lycées pour voir la part de financement total de l'État légèrement remonter à 21,5 % en 1993.
Pour les collèges, l'effort financier d'investissement des départements a été au départ inférieur à celui des régions pour les lycées, environ deux fois moindre, mais s'est poursuivi jusqu'en 1993. Le phénomène a été parallèle à celui constaté pour les lycées. Au départ, en 1986, le niveau d'investissement était de 938 millions de francs, montant à 2,686 milliards de francs dès 1987, pour atteindre 9,309 milliards de francs en 1993.
La part de l'État, versée par l'intermédiaire de la Dotation de décentralisation d'équipement des Collèges, DDEC, correspondait à 46,3 % des dépenses en 1986, pour n'atteindre plus que 14,4 % de cette dotation spécifique en 1993.
Et pourtant le rapport du Conseil économique et social qui faisait ce constat avait tout fait pour ne pas apparaître comme anti-État. Le rapporteur concluait ainsi ces tableaux par la remarque suivante : " Les deux exemples précédents illustrent parfaitement toute l'ambiguïté de la décentralisation sous l'angle financier et l'impossibilité de formuler une appréciation globale ".
Il y a eu une autre série de compétences exercées par l'État, non jugées comme essentielles, qui allaient être ainsi transférées. L'État se défaussait, en plus des collèges, d'une partie de l'équipement et de la construction des routes en direction des départements. Une partie des attributions des Directions départementales de l'équipement a été transférée aux départements, de même qu'une part toujours plus grande des dépenses sociales. Les départements allaient recevoir également la charge des transports scolaires, des ports maritimes et de pêche, des aides aux aménagements destinés aux cultures, des bibliothèques départementales, puis les services de lutte contre l'incendie. Les régions, en dehors des lycées, se sont vu confier une part toujours plus importante de la formation professionnelle et de l'apprentissage, les aides au renouvellement et la modernisation de la pêche, les aides aux entreprise de cultures marines, les ports fluviaux et les voies navigables.
Cette politique de transfert de compétence allait amener les dépenses totales des collectivités locales dès 1990 à hauteur de 700 milliards de francs, soit 50 % des dépenses de l'État. A cette date, avec 174 milliards de francs d'investissements réalisés par an, les collectivités locales représentaient 12,5 % de l'investissement national et 72 % de l'investissement des administrations publiques. Ces proportions, sans être bouleversées, ont continué de croître légèrement depuis. Pendant plusieurs années après la mise en place de ces transferts de compétences, les investissements spécifiques d'équipements des collectivités locales ont augmenté au total de près de 5 % en volume chaque année. Ce qui était considérable, car tout d'abord c'était hors inflation, et surtout il s'agissait d'un chiffre global, incluant le budget des communes peu touchées par ces transferts. Or, les communes représentaient, en 1990, 60 % des dépenses totales des collectivités locales, les départements 24 % et les régions 6,6 %. Les régions ont d'ailleurs vu leurs dépenses exploser : en huit ans, elles sont passées de 2,6 % du montant global des dépenses des collectivités locales à 6,6 %, et ce chiffre n'a fait que monter par la suite.
Le financement complexe des collectivités locales
Les finances locales ne sont pas totalement financées par les impôts locaux. Ce n'était pas le cas dans le passé, et c'est de moins en moins vrai depuis les lois de décentralisation. Si l'État se débarrassait d'une part croissante des dépenses des services publics qui lui incombaient auparavant, il n'était pas enclin pour autant à abandonner en conséquence le contrôle des recettes destinées à financer ces dépenses. Il y a en réalité trois grandes sources de financement des collectivités locales : les impôts locaux certes, mais aussi la multitude des dotations, compensations et subventions de tous ordres payées par des reversements de l'État, et les impôts nationaux délégués aux collectivités locales pour assurer une partie du financement des transferts de compétences des services assurés par l'État.
Les impôts locaux comprennent essentiellement ce qu'on appelle les " quatre taxes " : taxe professionnelle (qui jusqu'à peu représentait 50 % des rentrées fiscales des collectivités), taxe d'habitation, taxe sur le foncier bâti et enfin taxe sur le foncier non bâti. A cela s'ajoutent, comme impôts directs que les collectivités peuvent instituer, les taxes d'enlèvements des ordures ménagères et les prélèvements pour financer les transports en commun. De son côté, la fiscalité locale indirecte est vraiment marginale.
Seulement, même à ce niveau, la réalité est plus complexe. Toute une partie (de plus en plus grande depuis vingt ans) de ces impôts n'est plus payée par les entreprises ou les particuliers qui les devaient à l'origine, mais par l'État qui a décrété au fil des ans une série de dégrèvements sur ces impôts locaux, dont il assure, en théorie, le reversement aux collectivités locales par le biais de compensations.
La deuxième grande catégorie de financement est constituée par les dotations directes de l'État qui elles-mêmes en théorie se découpent en trois parties : les dotations diverses de fonctionnement, les aides à l'investissement, et enfin les financements des accroissements de charges résultant des transferts de compétences. Parmi cet ensemble, la plus importante est la dotation donnée à toutes les collectivités pour assurer leur fonctionnement, c'est la Dotation globale de fonctionnement, la DGF, dont l'évolution décidée par l'État sert de référence à la plus grande partie des autres dotations.
Enfin, il y a les transferts d'impôts nationaux aux collectivités locales pour assurer le financement d'une partie des transferts de compétences décidés. Mais là aussi les choses se sont énormément compliquées dans la pratique. Ainsi toute une série de ces impôts a été transférée dans le cadre de la décentralisation " pour assurer l'indépendance financière des collectivités locales ". Ce sont la vignette automobile, la part régionale et départementale sur les droits de mutations, supprimées depuis par l'État qui, en échange, verse en principe une compensation aux collectivités locales.
Une décentralisation qui accroît les inégalités
Le rôle des services publics devrait être d'atténuer au moins un peu quelques-unes des conséquences des inégalités qu'engendre sans cesse l'économie capitaliste. Il devrait être de permettre à la population laborieuse un accès à l'éducation, aux soins, aux transports collectifs, aux communications, qu'elle ne pourrait pas avoir si tous ces services collectifs étaient intégralement payants.
Les inégalités sociales qu'engendre la société de classes entraînent également des inégalités entre régions, entre villes, entre quartiers d'une même ville, etc., que non seulement les services publics n'ont évidemment jamais permis de surmonter complètement, mais qu'ils ont eux-mêmes reflétées. Même avant le démantèlement en cours des services publics, des inégalités criantes existaient à l'intérieur des villes et des régions, comme entre elles, quant aux infrastructures ou à la qualité de nombre de ces services publics. Les villes ou les quartiers bourgeois ont toujours disposé des écoles avec les classes les moins nombreuses et les meilleurs professeurs, alors que les quartiers populaires doivent se contenter de classes surchargées et d'enseignants en nombre insuffisant par rapport à des besoins plus grands. Et, pour ce qui est des soins, il y a trois fois plus de médecins par habitant sur la Côte d'Azur que dans les régions industrielles et ouvrières les plus minées pourtant par la maladie.
L'État, malgré son contrôle sur les services publics, et la dénonciation dans les discours de cette situation inégalitaire, n'a pas véritablement agi pour combler le fossé des inégalités existantes. Dans le domaine de la santé et des équipements sanitaires, les engagements de la gauche, dans les discours, se sont envolés en fumée, et encore aujourd'hui Nord-Pas de Calais, Picardie, Limousin... font le concours des régions les plus déshéritées, celles qui ont le plus fort taux de mortalité. Les revenus par habitant de la région parisienne restent trois fois plus élevés que ceux du Nord. La Picardie avec sa population ouvrière continue à avoir les plus mauvais résultats dans le domaine éducatif. Ces disparités injustes ne pourraient être réduites que par une action volontariste, énergique et à long terme au niveau de l'État. Aucun gouvernement ne s'y est engagé.
Cependant, même s'il y avait des différences pour ce qui est des équipements, il n'y avait pas, du moins en théorie, de différences dans les prix. Le kilomètre de chemin de fer coûtait le même prix sur les lignes secondaires dites non rentables que sur les autres et, pour poster une lettre, on collait le même timbre dans les endroits les plus perdus et dans les grandes villes. Les routes pouvaient être empruntées gratuitement, qu'elles qu'aient pu être les difficultés et donc le coût de leur construction.
Derrière l'égalité formelle des tarifs de la SNCF ou de la poste, il y avait, déjà à l'époque, inégalité des dépenses pour les usagers en raison du sous-équipement. Mais, surtout, cette égalité théorique est battue en brèche depuis belle lurette par la recherche de rentabilité introduite dans les services publics eux-mêmes. Les tarifs sont modulés depuis bien longtemps pour les chemins de fer et la généralisation des autoroutes à péage rend toute relative la notion de gratuité du réseau routier.
Mais la décentralisation déjà effectuée a aggravé la situation, qui sera encore pire par la décentralisation à venir. Sans même parler ici du fait que, dans bien des secteurs, la décentralisation n'est manifestement qu'une étape vers l'abandon d'un nombre croissant de services naguère publics à la gestion des intérêts privés.
Les services publics gèlent d'entrée les inégalités existantes au moment du transfert, mais par la suite c'est la richesse de chaque collectivité qui va seule déterminer les évolutions, forcément de plus en plus inégalitaires. Le retard ne peut que s'élargir avec le temps. Pour illustrer les conséquences de cette décentralisation, un sénateur relevait que la région des Pays-de-la-Loire avait institué, après la régionalisation des lycées, un concours au plus offrant pour l'installation des nouveaux lycées. C'est la commune qui mettait le plus d'argent sur la table, au titre de la participation financière que la région avait instaurée de son propre chef, qui emportait l'installation du lycée en question.
A cela s'ajoute aussi le coût de l'accès à ces services qui va dépendre dorénavant des choix desdites collectivités, et aussi de leurs revenus. Dans les villes et régions ouvrières, les finances sont grevées par les dépenses sociales qui représentent une part considérable des dépenses, aussi bien pour les aides sociales de toute nature que pour le logement social. Dans les régions les plus sinistrées par les licenciements et le chômage, il n'est pas rare que plus de 30 % des ressources des familles dépendent des revenus sociaux. Inutile de dire que dans les villes, quartiers ou régions où habitent les plus riches, les dépenses sociales représentent une part quasi inexistante du budget, et toutes les dépenses peuvent être consacrées à " l'amélioration du cadre de vie " de ceux pour qui la misère est seulement un sujet de méditation, quand le curé a décidé d'en parler dans son homélie.
Et ce sont d'ailleurs les mêmes privilégiés qui ont réclamé haut et fort les baisses des impôts, pour " ne pas encourager l'oisiveté ", pas la leur mais celle des sans-ressources, de ceux qui survivent avec leurs allocations. Or, dans le cadre de la décentralisation, la caste politique est encore plus sensible aux pressions venues de ce milieu-là, et tous se sont félicités d'avoir pu baisser les impôts des plus fortunés, avec une aggravation en conséquence des inégalités existantes.
Il y a bien eu, pour répondre à ce problème régulièrement dénoncé, la mise en place de systèmes de péréquation, voire des lois imposant 20 % de logements sociaux aux communes. Mais les systèmes de péréquation étaient tellement marginaux qu'ils n'ont jamais eu d'effet. Quant à la loi, comme souvent sur ce genre de problèmes, elle est restée dans les placards sans aucune application. Tous les systèmes qui devaient, paraît-il, réduire les inégalités ont fait faillite. Les différences n'ont fait que grandir.
La décentralisation dans l'opacité
Inégalitaire dans son principe, la décentralisation telle qu'elle est menée depuis le gouvernement Mauroy, l'est encore plus dans son application car, bien entendu, aucun contrôle véritable n'est fait sur des opérations dont beaucoup se chiffrent par dizaines de milliards de francs.
Les premiers rapports officiels commandés par le gouvernement ont été ceux demandés en 1993 et 1994 par Balladur, douze ans après la mise en place de la décentralisation. Et encore s'agissait-il surtout, à l'époque, de calmer la fronde des élus locaux après l'annonce brutale de " la pause " dans les compensations versées par l'État aux collectivités locales, tant pour les transferts de compétences que pour les suppressions ou dégrèvements d'impôts locaux décidés par les gouvernements successifs. En fait de " pause ", il s'est alors agi d'une baisse brutale du peu qui était versé aux collectivités locales.
Les rapporteurs avaient eu bien du mal à y voir clair. Voici ce qu'écrivait l'un d'eux : " Il apparaît impossible aujourd'hui d'effectuer un bilan global de ce transfert pour déterminer les gains ou les pertes de chacun des partenaires, État, régions, départements, communes ".
Les seuls rapports détaillés et critiques sur la décentralisation émanèrent du Sénat, qui par nature est directement lié aux élus locaux. En 1996 un rapport du sénateur de droite, Paul Girod, faisait scandale. Il réaffirmait que les finances des collectivités locales servaient de réservoir où l'État se servait, à travers la non-compensation des compétences transférées et des impôts locaux supprimés. Il notait qu'en 1993, sur 100 milliards de francs de dépenses liées aux compétences transférées, les collectivités locales avaient dû en financer le tiers sur leur propre budget, soit 30 milliards.
Même Mauroy, dans le rapport qui lui a été commandé par Jospin en 2000 pour dire tout le bien possible de la décentralisation, fut obligé d'avouer " les insuffisances du dispositif d'évaluation ". Il était mieux placé que quiconque pour en juger.
L'augmentation des impôts locaux
L'immensité des besoins, en particulier pour les constructions et équipements nécessaires aux lycées et collèges, avait entraîné à partir de 1986 une explosion des dépenses d'investissements, ce qui, par chance, correspondit à une période temporaire de reprise économique. Pour compenser le montant notoirement insuffisant des reversements de l'État, les collectivités allaient devoir augmenter de façon considérable leur fiscalité. Mais, après 1991 et le retournement de conjoncture, cette hausse des investissements a été stoppée (et jusqu'à aujourd'hui) et, au contraire, les premières baisses des budgets d'investissements pour les lycées commencèrent, suivies par celles pour les collèges.
Pour compenser les transferts de compétences, l'État, on l'a vu, avait d'une part, alloué des dotations spécifiques, et de l'autre il avait délégué aux collectivités locales des impôts (vignettes, cartes grises, droits de mutation...), pour lesquels ces collectivités pouvaient décider à leur guise les augmentations de taux, au détriment de la population bien sûr. De 1985 à 1993, les principales dotations de décentralisation allaient augmenter en francs courants de 45,25 %, pendant que, dans le même temps, les contribuables subissaient une hausse de 74,5 % sur les impôts dévolus à la décentralisation dont les taux étaient fixés chaque année par les différentes collectivités locales. Mais cela cachait des disparités encore plus importantes en ce qui concerne les impôts, car si le prix de la vignette n'augmentait alors " que " de 41,6 % durant cette période, la part des droits de mutation des départements et des régions, qui représentaient l'impôt le plus important, augmentait de 90,7 %, et la carte grise battait les records avec une augmentation de 120 %. Et encore ne s'agissait-il là que des impôts spécifiques liés en théorie à la décentralisation.
En réalité, les défaillances de financement de l'État pour ces transferts de compétences ont été plus globalement financées par tous les impôts locaux car, au final, tout fut mis dans le pot commun des budgets locaux. Et les impôts locaux, tout particulièrement la taxe d'habitation payée par tous au même taux et qui pénalise ceux qui gagnent le moins, ont connu une augmentation accentuée pendant plus de quinze ans. On estime que, de 1985 à 1997, les impôts locaux ont connu une hausse moyenne de 5 % par an, en francs constants.
C'est la majorité la moins fortunée de la population qui a, dès le départ, payé les conséquences de cette politique. Et il faut souligner que, si le transfert de compétences de l'État vers les collectivités locales sert de justification pour augmenter les impôts locaux, ceux payés à l'État n'ont pas baissé pour autant. Malgré les économies que l'État réalise en se déchargeant d'une partie de ses dépenses sur les collectivités locales, ses dépenses globales n'en diminuent pas pour autant. Alors on est en droit de poser la question : à quoi ont servi et à qui ont été distribuées ces dizaines de milliards ainsi économisées ? Aux aides directes et indirectes au grand patronat, peut-on répondre à coup sûr, même si là aussi l'opacité la plus grande règne volontairement.
Les contrats de plan : l'État ne respecte pas le contrat
Les gouvernements ont trouvé un autre moyen, toujours au nom de la décentralisation, pour s'exempter du plus possible de leurs obligations en matière d'équipements et de services publics. Parallèlement à ces transferts de compétences vers les régions et départements, ils ont mis sur pied un dispositif capable à lui seul de récupérer des dizaines de milliards sur le dos des collectivités : ce qu'ils ont appelé improprement " les contrats de plan ". Improprement car il s'agit exactement du contraire d'un contrat où deux parties s'engagent. Pour ces " contrats "-là, la loi a édicté d'entrée que l'État n'est pas engagé par ses engagements ! Et puis surtout, il s'agit pour l'essentiel de faire financer des équipements ou des services qui sont en principe à la charge totale de l'État, autoroutes, enseignement, universités... En clair, ces contrats de plan sont, en ce qui concerne les collectivités (d'abord les régions, mais aussi les départements, voire les communes), une ponction indue sur leurs budgets, car aucune compensation d'aucune sorte n'a été prévue à cet effet.
Ainsi depuis 1984, tous les cinq ans, un " contrat de plan " a été établi avec une enveloppe financière globale arrêtée par l'État. Puis, chaque région et collectivité concernée a dû approuver la déclinaison régionale de ce plan qui comportait une multitude de lignes budgétaires sur les sujets les plus divers.
Le premier contrat de plan de cinq ans,1984-1988, avait été fixé à 68 milliards de francs pour une participation théorique de l'État de 38,9 milliards de francs contre 25,9 milliards pour les collectivités locales. Pour le suivant de 1989-1993, 106,5 milliards : 58,5 milliards " théoriques " pour l'État et 48 pour les collectivités ; et celui de 1994-1998 était de 165 milliards avec une participation prévue de l'État toujours plus faible en proportion, à 81 milliards contre 84 pour les collectivités. Pour cette période de quatorze ans, cela correspondait donc à une ponction de 158 milliards au moins de l'État sur les budgets des collectivités. C'est une somme considérable ainsi détournée par l'État. Mais la réalité est pire. Car jamais l'État n'a respecté ses engagements financiers.
Le premier incident de taille a eu lieu après 1991, avec Jospin, alors ministre de l'Education nationale, et son plan " Université 2000 ", dont il était si fier, qui devait manifester tout l'engagement de l'État pour construire des locaux universitaires en nombre suffisant. D'entrée, l'État a imposé aux collectivités, dans le cadre de ce contrat, une prise en charge de 7,8 milliards sur les 24 du projet. Puis, l'État a réévalué les montants, les passant à 32 milliards, et d'autorité, malgré les protestations, a prélevé 8 milliards supplémentaires pour ce seul poste sur l'ensemble des collectivités du pays.
En dehors des manquements réguliers et permanents dans les financements de l'État, le deuxième incident national a eu encore Jospin comme initiateur, mais cette fois au poste de Premier ministre de la gauche plurielle. De façon unilatérale, quelques mois après son arrivée au pouvoir, Jospin décidait de repousser d'un an le terme du contrat de plan 1994-1998. En le faisant courir jusqu'en 1999, le gouvernement diminuait donc la participation de l'État de 20 %. En effet celle-ci, maintenue pour son montant global, se répartissait dorénavant sur six ans au lieu de cinq. Mais même cela ne sera pas respecté. Des milliards de participation financière de l'État, pourtant votés dans les lois de Finances, ne seront jamais versés pour les projets arrêtés par l'État lui-même dans le cadre de son " contrat ".
Le sort du dernier contrat de plan 2000-2006 ne rompt pas avec ces pratiques. Au bout d'un peu plus d'un an, le retard des engagements de l'État se monte parfois à plus de 20 % sur ce qu'il aurait dû affecter comme crédits.
L'État renonce officiellement aux compensations "intégrales"
De toute façon, depuis 1994, l'État, c'est-à-dire les gouvernements, a mis fin officiellement à la belle théorie de la compensation intégrale des transferts de compétences. Les temps étaient durs, la crise avait repris de plus belle depuis 1991, après une courte pause, elle s'approfondissait. En 1993, le cap des 3 millions de chômeurs officiels était largement dépassé. Les rentrées financières de l'État étaient au plus bas au moment même où le grand patronat demandait à cor et à cri qu'on lui alloue des dizaines de milliards pour garantir ses profits. Le 24 janvier 1994 était votée la loi d'orientation quinquennale de redressement des finances publiques. Cette loi établissait que, dorénavant, le gouvernement devait fixer chaque année le montant maximum de l'ensemble des contributions financières de l'État aux collectivités locales, comprenant non seulement les compensations relatives aux transferts de compétences, mais également ce qu'on appelle les dotations d'État, dont la principale, la Dotation globale de fonctionnement, la DGF, qui augmentait jusque-là automatiquement par un jeu d'indices prévu à cet effet.
Ainsi, c'est l'ensemble des finances locales qui se trouvait attaqué et qui fut touché de plein fouet par la " pause " de 1994. L'État entendait dorénavant décider lui-même de ce qu'il allouerait à ce titre, à sa guise.
Pour illustrer les conséquences de cette nouvelle politique, en 1994 le total des dotations, 254,6 milliards de francs, augmentait seulement de 0,78 %, ce qui était largement moins que la seule hausse des prix. Cela permettait au gouvernement de récupérer plusieurs dizaines de milliards sur les finances locales en une seule année. A titre de comparaison, la hausse moyenne de ces dotations les années précédentes s'étalait entre 6 et 7 %.
Comme le déclarait le rapporteur du Sénat en 2000 à propos de la décentralisation : " La justification de l'absence de compensation intégrale des transferts de charges par l'accroissement des autres charges supportées par la collectivité nationale constitue un aveu de taille : les collectivités locales sont bel et bien, dans l'esprit de l'administration de l'État, la variable d'ajustement des finances publiques ". C'est cette situation qui s'est poursuivie jusqu'à aujourd'hui. De 1996 à 1998, cet encadrement des finances locales a pris le nom de " pacte de stabilité entre l'État et les collectivités locales ", puis, gauche oblige, la dénomination plus élégante de " contrat de croissance et de solidarité ", avec le même fondement. Les plus fortes ponctions ont encore été l'oeuvre du gouvernement Jospin en 2000. Cette année-là, la compensation de l'État pour les dégrèvements de taxe professionnelle (celle de 1986) était tombée à 11 milliards de francs contre 19 en 1995.
Le total des ressources des collectivités locales devrait atteindre 150 milliards d'euros en 2003, soit 1000 milliards de francs. Là-dessus, le montant des transferts assurés par l'État au titre des investissements, après avoir baissé de 4,8 % en 2002, devrait timidement augmenter de 1,7 % en 2003. Mais tout cela n'empêche pas les grands discours hypocrites sur les effets bénéfiques du développement de la décentralisation, avec la complicité de l'immense majorité des notables locaux qui savent bien ce qu'il en est.
Il y a d'ailleurs eu toute une série de compétences transférées pour lesquelles les gouvernements ont décrété d'emblée qu'elles ne donnaient lieu à aucune compensation et qui, d'autorité, ont été prises intégralement sur les budgets ordinaires des collectivités. Parmi elles, la loi Creton sur les handicapés, le droit au logement des plus défavorisés, les dépenses liées au RMI, et bien d'autres.
Les derniers "cadeaux" de la gauche gouvernementale
Comme si cela ne suffisait pas, c'est encore le gouvernement Jospin qui a pris des décisions lourdes de menaces pour l'avenir et dont les effets n'ont fait que commencer à se faire sentir. En décidant de supprimer progressivement une partie de la taxe professionnelle, celle assise sur les salaires payés par l'entreprise cette part représente 35 % environ de la taxe professionnelle -, le gouvernement a fait un beau cadeau au patronat. Dès 1999, cette part a commencé à diminuer. En cette année 2003, elle aura complètement disparu.
Par la même occasion, le gouvernement de la gauche plurielle a fragilisé comme jamais avant lui l'ensemble des finances locales.
Certes, les exonérations et allégements successifs opérés depuis la création de la taxe professionnelle avaient abouti, avant la dernière mesure, à faire que 1,7 million d'entreprises étaient exonérées, et seulement 2,2 millions la payaient. Si, comme pour le reste, le gouvernement avait promis que cet allégement fiscal serait compensé, le système de compensation mis en place fit que, dès le démarrage en 1999, une part non négligeable n'a pas été compensée. De plus, ce système a provoqué mécaniquement la baisse des compensations, car celles-ci ne concernaient que les entreprises existant à cette date, à condition qu'elles ne baissent pas en volume et ne disparaissent pas. Par ailleurs, l'histoire du précédent dégrèvement sur la taxe professionnelle, celui de 1986, avait montré justement que les gouvernements payaient ou pas les compensations dues, à leur guise, selon leurs besoins.
Cependant, la taxe professionnelle représentait encore plus de 50 % des rentrées fiscales des collectivités locales. Elle progressait quand même au rythme de l'amélioration des affaires. Alors, l'allégement fiscal supplémentaire sur la taxe professionnelle, décidé par Jospin et complètement mis en place cette année 2003, doit permettre aux employeurs du pays d'économiser plus de 10 milliards de francs d'impôts locaux par an. Ces rentrées financières en moins, non compensées totalement par l'État, vont cruellement manquer dans les différentes collectivités. Cela va entraîner à terme une augmentation considérable des impôts locaux pour le reste de la population ou la disparition de services existants. Dans les deux cas, c'est encore la partie la moins fortunée de la population qui fait les frais de cette politique.
Deux autres mesures phares ont été prises par le gouvernement Jospin, la régionalisation des transports ferrés et la transmission totale de l'aide aux personnes dépendantes, l'APA, aux départements.
La régionalisation des transports ferroviaires a transmis aux régions la gestion des TER, Trains express régionaux. Elle est effective depuis le 1er janvier 2002. C'est dans la suite de ce qui se faisait, depuis des années : l'État et la SNCF mettaient à contribution les régions, tant pour l'achat des matériels que pour l'entretien des lignes, leur modernisation, la rénovation des gares, et même le simple maintien en service d'une partie des lignes. Ce désengagement général de l'État de ses obligations vis-à-vis de ce service public se faisait soit par l'intermédiaire de contrats spécifiques, soit à travers les contrats de plan. Cette ponction sur les budgets régionaux était loin d'être négligeable car, entre 1990 et 1999, elle a été de 10 milliards de francs, soit un milliard par an.
Mais le transfert institué à partir de 2002 a une tout autre ampleur et de tout autres conséquences. Derrière tous les discours lénifiants sur la nécessité de développer le rail, un des objets de cette réforme est en effet de faciliter à l'avenir la privatisation des transports ferroviaires. La SNCF n'est dorénavant considérée que comme un prestataire de services comme un autre, à qui la région accepte de confier, pour le moment, une mission les lignes appartenant, elles, à une entité spécifique, le Réseau Ferré de France ou RFF. Rien n'empêche par la suite les régions de confier cette mission de service à des entreprises privées, comme cela s'est fait pour l'eau, ou une partie des services postaux. Ensuite, l'État se débarrasse, et va se débarrasser encore plus à l'avenir, d'une grosse charge financière : l'entretien et le renouvellement du matériel ferroviaire et à terme de l'ensemble du réseau, à l'exception du TGV, considéré comme " stratégique ", et pour lequel les mises de fonds sont trop importantes pour voir des sociétés privées en assumer les risques.
Les conditions financières de ce transfert de compétences sont catastrophiques pour les régions. Une partie du matériel ferroviaire est vieux de plusieurs dizaines d'années, les lignes sont à l'abandon, parfois c'est la sécurité qui peut même être en jeu. Dès le départ, le gouvernement Jospin, par l'intermédiaire du ministre des Transports Gayssot, a tout fait pour imposer ces charges supplémentaires aux régions qui se sont trouvées d'entrée en déficit. Voici ce qu'en disait le rapporteur au Sénat sur la décentralisation en 2000 : " Le montant de la compensation versée aux régions en contrepartie de la régionalisation de la compétence ferroviaire, généralisée par le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbain examiné au Parlement au printemps 2000, a été calculé à partir d'une étude réalisée six ans plus tôt par un cabinet privé et ne tient pas compte des besoins d'investissement que les régions devront satisfaire. Pour la première fois, une compensation ne sera donc même pas intégrale à la date du transfert ". Ces conditions de transfert imposées sont si mauvaises que deux régions ont annoncé leur intention d'attaquer le gouvernement et la SNCF devant le Conseil d'État.
Les sommes en jeu sont considérables. Le montant de la part de Dotation globale de décentralisation en 2002, se rapportant aux services régionaux de voyageurs, se monte à 1,508 milliard d'euros, 9,890 milliards de francs, soit exactement 10 % du montant des dépenses totales des régions. Ce sont donc les couches populaires qui vont faire les frais de ce nouveau transfert, soit par une augmentation considérable des impôts locaux, soit par une détérioration du service, soit par la disparition totale ou partielle d'autres services existants dans les régions. Soit plus vraisemblablement par les trois ensemble, car les choix de toutes les régions depuis près de dix ans sont la montée en puissance des aides directes au patronat, au détriment des lycées et collèges en particulier, et l'allégement fiscal pour les plus favorisés.
La loi du 20 juillet 2001 a créé l'Allocation personnalisée d'autonomie qui remplaçait la prestation spécifique dépendance. Elle en a confié la mise en place et la gestion aux départements. Le coût estimé par le gouvernement de ce dispositif était de 2,85 milliards d'euros, soit 18,7 milliards de francs, soit 9 % des dépenses totales des départements. Avant même sa mise en place, le gouvernement avait prévu de ne pas compenser totalement la mesure. D'autorité, il avait décidé que les départements devraient dégager sur leur budget normal 381 millions d'euros (2,5 milliards de francs) en plus de ce qu'ils consacraient à l'ancienne allocation dépendance. Mais la réalité fut encore pire car le nombre des bénéficiaires avait été volontairement sous-estimé. Le problème est d'une telle ampleur qu'il est question tout simplement de réduire de façon radicale le montant des allocations versées aux familles. Un président de conseil général a parlé du devoir " d'équité ", déclarant qu'il faudrait mettre à contribution les familles dont les revenus dépassent... l'équivalent de 7 000 francs par mois, qu'il considérait comme privilégiées.
Là aussi on peut être sûr que l'élargissement de cette mission sociale confiée aux départements par l'État va mal se terminer pour la population.
Raffarin reprend les conseils de Mauroy
A son tour, le gouvernement Raffarin a annoncé sa volonté de donner un nouvel élan à la décentralisation. Mais ce qu'il y a de paradoxal, et même de comique, dans la démarche du gouvernement de droite de Chirac-Raffarin, qui se donne l'air d'innover, c'est qu'il est allé copier la quasi-totalité de ce qu'il propose dans les propositions de l'ancienne majorité socialiste et tout particulièrement dans le rapport d'un expert parmi les experts, celui de Mauroy, fait en 2000 à la demande de Jospin.
Voici les principales recommandations que contenait ce rapport, remis le 17 octobre 2000. Celui-ci recommandait que l'État se désengage massivement de tous les services publics qu'il avait encore à sa charge :
- Transfert de toute la formation professionnelle encore entre les mains de l'État ;
- Transfert de tous les personnels d'État encore en fonction dans les collèges et transmission aux régions des personnels d'entretien des lycées, les ATOS ;
- Faire financer par les régions les investissements sanitaires, et leur confier la responsabilité des Schémas régionaux d'orientation sanitaire, qui supervisent les investissements des hôpitaux et établissements sociaux ;
- Faire superviser le RMI par les départements ;
- Transfert aux régions du logement social ;
- Renforcer le transfert des transports ferroviaires aux régions, hors TGV ;
-Transférer les équipements aéroportuaires et les plateformes multimodales aux régions ;
- Transférer toutes les routes nationales aux départements ;
- Transférer une part des aides aux entreprises aux régions, celles des PME-PMI ;
- Etendre les droits des Sociétés d'économie mixte mises en place par les collectivités locales en permettant une pénétration sans contrainte de tous les capitaux privés.
Et s'ajoutait à cela, " last but not least ", la demande expresse de réduire les contrôles existants qui, selon Mauroy, handicapaient les collectivités locales et leurs exécutifs. Ce n'est pas Chirac, ancien maire de Paris, qui pourrait être en désaccord là-dessus. Et Mauroy proposait également de réduire les pouvoirs d'investigation des chambres régionales des comptes, chargées de vérifier la régularité des opérations, et au moins " leur interdire de faire des lettres d'observations les six mois qui précèdent les périodes électorales " ; c'est-à-dire qu'en France, vu le calendrier des élections, cela reviendrait à une interdiction quasi permanente. Et vive la corruption libre et sans entrave, aurait pu ajouter Mauroy.
C'est dire que face à cela, les propositions du gouvernement Raffarin apparaissent encore comme modestes pour le moment. Celui-ci ne se sent pas capable d'enfourcher les bottes de Mauroy sans précautions préalables.
Les discours hypocrites sur la "démocratie"
L'affirmation la plus reprise par la droite, comme par la gauche, est que décentralisation rime automatiquement avec plus de démocratie. Tous, du RPR à l'UDF, du PS au PC en passant par les Verts, et jusqu'à l'ensemble des syndicats, affirment que la décentralisation permet de rapprocher la population des centres de décisions, et donc une meilleure association de celle-ci aux décisions et un meilleur contrôle. On irait donc vers des prises de décisions décentralisées prenant mieux en compte les attentes de la population.
C'est exactement le contraire et chacun le sait, mais tous mentent en choeur en espérant que ce concert de mensonges sera suffisant pour abuser la population qui reste plutôt sceptique. Un sondage concernant la décentralisation réalisé par la Sofres en 2000 a montré que la grande majorité de la population se prononçait pour le maintien des services publics aux mains de l'État ; seul un tiers souhaitait un pouvoir renforcé des collectivités locales dans ce domaine. Certes, la situation d'aujourd'hui n'est pas brillante mais, avec des hommes qui sont bien souvent les pantins des profiteurs locaux, ce serait encore pire. Et pour cause, la population laborieuse connaît son monde, le petit monde des notables et politiciens affairistes qui monopolise les exécutifs locaux et nationaux, maires de grandes villes, présidents de communautés, présidents de conseils généraux ou régionaux. Les milieux populaires sont confrontés tous les jours à la morgue et à l'arrogance d'une bonne partie de ces élus qui n'hésitent pas à s'attaquer sans prendre de gants à la population pour garantir les intérêts d'une ribambelle de grands trusts de l'eau ou du BTP. Ou simplement, à l'occasion, pour se servir eux-mêmes dans les caisses publiques. Alors, donner des pouvoirs étendus à ces gens-là n'est certainement pas un moyen de mieux satisfaire les besoins de la population. Le pouvoir de ces notables n'est contrôlé que quelques minutes, une fois tous les six ans, le jour où a lieu le vote qui leur confie leur poste de maire ou de président. Une fois l'élection faite, ceux-ci ont tous les pouvoirs pour les six ans qui suivent, même celui de se passer de majorité pour l'adoption de leur budget.
D'ailleurs la loi Chevènement de 1999 a limité les pouvoirs des conseils municipaux, afin d'empêcher encore plus qu'aujourd'hui les pressions éventuelles et toute velléité de contrôle venues de la population, en confiant une part décisive des décisions et des budgets aux structures intercommunales, rassemblant les seuls exécutifs des différentes collectivités.
Il faut remarquer que les confédérations syndicales, chaque fois qu'on leur a demandé leur avis, comme au sein des Conseils économiques et sociaux, ont approuvé sans réserve cette politique de décentralisation. Les structures confédérales, fédérales et régionales de la CGT se sont engagées à fond aux côtés de la direction de la SNCF et du gouvernement sur la régionalisation des transports ferroviaires. C'est sans doute dans l'espoir que la décentralisation leur permette de démultiplier les postes de sinécures existant aujourd'hui, des postes inutiles pour les travailleurs, mais qui offrent une utilité, voire une raison d'exister, et parfois des ressources, aux hommes et femmes de leur appareil. Et cela leur permet aussi de coexister avec patronat et politiciens bourgeois, en ayant ainsi l'impression de compter, ce qui veut dire une intégration plus poussée encore, en somme, dans l'appareil d'État.
Un contrôle accru de l'État, et des élus sans contrôle !
En réalité, jamais l'État n'a été aussi omnipotent par rapport aux collectivités locales. Comme chacun le sait, l'indépendance commence par l'indépendance financière. Ce fut par là que commença la lutte de la bourgeoisie naissante vis-à-vis du pouvoir féodal, à travers le mouvement pour la création des communes qui commença au XIème siècle.
Les chiffres actuels sont parlants ! 51 % des recettes des collectivités ne sont plus fiscales aujourd'hui, et dépendent de dotations que l'État peut faire varier à tout moment. Mais même sur les 49 % restants de recettes fiscales, en théorie sous le contrôle des collectivités, 20 % sont assurés par l'État par l'intermédiaire de reversements de compensation pour des dégrèvements divers. Ces règles de reversements sont sous son contrôle, comme la loi l'a institué depuis 1994. Et même les taux d'imposition, fixés par les collectivités, ne sont pas entièrement libres.
Les hommes politiques escomptent que les masses d'argent supplémentaire qui pourraient leur être confiées, à travers de nouveaux transferts de services publics existants, leur permettent de mieux servir leur propre clientèle de profiteurs, tout en sachant bien que cela se ferait au détriment des besoins de la grande majorité de la population. C'est d'ailleurs pourquoi les premières revendications de ces notables à ce sujet touchent les aides économiques ou les gros budgets débouchant sur des marchés d'investissements importants. Ces notables qui n'ont que les mots " intérêt général " à la bouche se sont retrouvés tous d'accord, de la droite à la gauche, pour ne demander la re-nationalisation que d'un seul service public parmi ceux qui ont été confiés aux collectivités locales : celle des services de protection et incendie dont sont chargés les départements. Il faut entendre ces apôtres de la sécurité à tout prix, tous partisans des polices locales et dépensant tous des sommes d'argent considérables pour les mettre en place et les entretenir, déclarer que la protection vitale de la population assurée par les pompiers ne devait pas être de leur ressort. Ces services dépendent des " missions régaliennes de l'État ", déclarent-ils. Ce qui signifie que ce serait à l'État de décider à Paris les effectifs de pompiers nécessaires dans les plus petites villes et villages reculés du pays. Pourtant, s'il y a une mesure de décentralisation qui pouvait se justifier, à condition que les crédits nécessaires y soient affectés, c'est bien celle-là. Seulement voilà, pour assurer ce service vital, il n'y a pas de marché juteux, il n'y a que des dépenses d'utilité publique. Alors, tous sont d'accord, il faut que l'État reprenne ce boulet.
D'ailleurs, hors le cas de l'Aide personnalisée autonomie, il est à noter que le seul domaine où les dépenses des départements égalent ou sont inférieures aux dotations d'État sont les dépenses à caractère social. Il n'est d'ailleurs pas rare que les crédits aux Rmistes ne soient pas consommés en fin d'année et qu'ils soient plus ou moins régulièrement réaffectés.
Pour illustrer la grandeur d'âme et l'élévation de nos hommes politiques, et juger de ce qu'ils appellent " intérêt général ", on ne peut résister au plaisir de rapporter le contenu des débats à l'Assemblée nationale il y a quelques mois concernant la taxe d'habitation. La taxe d'habitation est sans doute l'impôt direct le plus injuste. L'évaluation de la valeur locative réelle des logements n'a plus été révisée depuis 1980, ce qui fait que parfois un bel appartement dans un vieil immeuble bourgeois est moins imposé qu'un HLM construit en 1980, qui s'est transformé en taudis depuis. Donc, grand débat au Parlement pour enfin mettre fin à cette inégalité, et enfin promulguer la révision des valeurs fiscales de tous les logements du pays. Mais finalement, le porte-parole du Parti socialiste a expliqué pourquoi le PS s'opposait à cette révision : il y aurait deux villes qui se trouveraient lésées, Nantes et Tulle ! Pardon pour les Corréziens, mais leur département, outre le fait d'être connu pour être celui de Chirac, n'a d'autre spécificité, pour ce qui est de Tulle que d'être la terre d'élection de François Hollande, premier secrétaire du PS ; quant à Nantes, elle se trouve être celle de Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. Les voies de " l'intérêt général supérieur de la nation " sont vraiment impénétrables, et ce n'est pas demain qu'avec un tel personnel politique, on puisse attendre autre chose que des catastrophes pour l'ensemble de la population travailleuse.
Seul un pouvoir au service de la majorité des exploités peut concilier centralisation extrême des moyens et démocratie locale la plus large
Dans ce faux débat, où tout est truqué, les hommes politiques suivis par la presse ont pris l'habitude d'opposer " jacobins centralisateurs " et " girondins décentralisateurs ". Mais c'est une mascarade, car la seule question est en vérité de savoir au service de qui sont tous ces gens-là, prétendus décentralisateurs ou pas. Le vrai problème, c'est que tous sont au service des privilégiés, que tous sont d'accord pour aggraver la situation matérielle de l'immense majorité de la population, celle qui vit de son travail ou de ses pensions, afin de garantir et accroître les revenus des classes riches. Les travailleurs n'ont pas à choisir un de ces clans, mais ils ont l'impérieuse nécessité de s'opposer au pouvoir de la bourgeoisie dans son ensemble.
Le pillage des fonds publics, pour en transférer une part toujours plus grande entre les mains des capitalistes, est une politique menée, et bien menée par l'État " centralisateur ", depuis des décennies. Les plus optimistes estiment le montant des fonds publics détournés sous forme d'aides directes au patronat, de dégrèvements d'impôts ou d'allégements de charges, à 300 milliards de francs par an. L'essentiel de cet argent va dans les coffres des grands trusts de l'industrie et de la finance qui contrôlent l'État et son appareil, et dictent aux ministres, contre certains avantages à l'occasion, leurs volontés. Ils ne sont pas prêts à échanger ce contrôle central fait à leur profit et qui fonctionne au mieux, quelles que soient les majorités, contre une " décentralisation " où ils devraient arroser une multitude de commis locaux plus ou moins irresponsables ou gourmands. Et la " décentralisation " proposée n'envisage absolument pas de changer cet état de fait ni l'imbrication totale existant entre l'appareil d'État central et les états-majors centraux du grand patronat.
Cette fusion est une longue histoire, qui comme au temps de la féodalité, est passée souvent par des alliances de clans et familiales, à l'aide parfois de mariages. Jacques Chirac, jeune énarque, a été formé et dressé par Dassault qui en a fait son poulain, puis il est entré dans le beau monde en épousant une Chodron de Courcel. Ou, plus simplement, comme Martine Aubry, qui, sortie du même moule et recommandée par son père Jacques Delors, a été formée et dressée par le PDG de Péchiney, Gandois. Puis, une fois devenue apte, a quitté son poste à la direction générale de ce grand trust pour continuer son service auprès du grand patronat en tant que ministre.
Alors, faire croire qu'il y aurait des hommes politiques " centralisateurs " et " défenseurs de la République " face à d'autres plus réactionnaires et rétrogrades est une supercherie. Tous sont sur la même longueur d'onde et connaissent exactement leur rôle et leur place. La pantomime qu'ils jouent sur la décentralisation est d'ailleurs un moyen de cacher la réalité, peu avouable et sordide, de toutes ces opérations qui visent justement à réserver l'essentiel du gâteau des fonds publics au financement de la grande bourgeoisie par l'État central, qui n'a jamais été aussi omnipotent. On l'a vu, ce n'est pas vers les collectivités locales que l'essentiel des économies réalisées par la décentralisation sur la charge des services publics va aller.
Les petits potentats locaux n'auront que les miettes qui tomberont de l'assiette des grands prédateurs " républicains ". Mais ils pourront, sur ce qu'on leur donne, servir leur clientèle particulière de privilégiés locaux en aggravant la destruction des services publics et la pression fiscale sur leurs administrés. Ils y trouveront un rôle élargi par rapport à aujourd'hui et l'espoir d'être courtisés, avec les avantages très palpables que cela peut entraîner, par une cour de deuxième rang de profiteurs. Cela leur suffit pour peindre aux couleurs de " révolution de la démocratie locale " l'opération en cours.
Alors, bien sûr, il faut dénoncer toute cette opération. Mais pas au nom de " la défense de la République une et indivisible ", comme le fait jusqu'à une organisation qui se revendique il est vrai de plus en plus discrètement de l'héritage trotskyste. Reprendre le langage de Chevènement pour s'opposer à la " régionalisation ", en même temps d'ailleurs qu'au laborieux processus de " l'Union européenne " sous l'égide de la bourgeoisie, n'est certainement pas une façon d'éclairer politiquement les travailleurs. C'est une façon de les tromper, par opportunisme.
Ce n'est pas aux travailleurs de reprendre à leur compte la défense de la République bourgeoise centralisée, basée sur l'exploitation et au service des intérêts fondamentaux de la bourgeoisie.
La République centralisée a été en son temps un progrès historique considérable par rapport au morcellement antérieur, au provincialisme, aux lois particulières, aux privilèges régionaux, voire locaux. C'était à l'orée du XIXème siècle. Aujourd'hui, les républiques des nations impérialistes ne représentent pas le progrès, mais le passé. Le développement économique comme la vie sociale nécessitent depuis longtemps l'émergence de vastes ensembles à l'échelle continentale, voire au-delà, et la disparition des frontières.
Les tentatives des différentes bourgeoisies d'Europe d'unifier le continent ne sont qu'une expression caricaturale et limitée de cette nécessité profonde dont la réalisation attend que le prolétariat reprenne sa place sur la scène politique et soit en situation de jouer son rôle historique.
Lorsque ce sera le cas, la contradiction qu'on se plaît à souligner entre la centralisation et la décentralisation perdra sa raison d'être. Débarrassée du monopole des grands groupes industriels et financiers sur l'économie et de la bourgeoisie sur les appareils politiques, la société pourra démocratiquement concilier la plus vaste centralisation là où c'est nécessaire et la catastrophe engendrée par le naufrage du Prestige fournit une illustration de plus que certains problèmes ne peuvent être réglés qu'à l'échelle internationale avec la plus grande démocratie locale et régionale.
Débarrassée de la nécessité de rendre opaque le fonctionnement de l'économie simplement pour cacher qu'elle fonctionne en fonction des intérêts d'une petite minorité, la société pourra alors gérer démocratiquement les activités économiques et politiques à l'échelle où il est le plus judicieux de les gérer. Pour reprendre les exemples cités plus haut, rien ne s'opposera alors à ce que le service des pompiers soit géré localement sans en passer par des autorisations accordées par des centres de décision à plusieurs centaines de kilomètres alors qu'en même temps, les grandes ressources seront gérées à l'échelle internationale, voire à l'échelle mondiale, comme c'est à cette échelle que pourrait être préservé l'avenir écologique de la planète.
Dans les conditions particulièrement difficiles d'un pays arriéré sur le plan matériel comme culturel, la Russie des soviets des lendemains de la Révolution de 1917 a donné une illustration d'un pouvoir émanant du bas vers le haut, tout à la fois décentralisé dans certains domaines et centralisé dans d'autres. A certains égards d'ailleurs, la Révolution française elle-même, dans sa phase la plus révolutionnaire, jacobine justement, a concilié parfaitement une volonté unitaire à l'échelle du pays avec la démocratie locale la plus active possible pour cette époque. Si, malgré les différences entre les époques et les tâches à accomplir, il y a une certaine similitude sur ce plan entre la Révolution française de la période jacobine et la Révolution russe, c'est justement parce qu'il s'agit dans les deux cas de grandes révolutions avec la participation active et réelle de la grande masse de la population.
Mais il est évident qu'il n'y a rien de commun entre ces événements majeurs et la minable discussion d'aujourd'hui entre " défenseurs de la République unifiée " et " décentralisateurs ", dont le débat ne sert qu'à masquer le fait que le véritable problème est la mainmise de la bourgeoisie sur la société et tous les gaspillages et dilapidations qui en découlent.