Les Cahiers de Verkhnéouralsk, écrits de militants trotskystes soviétiques, 1932-1933 (tome 2)16/09/20242024Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/2024/09/une_242-c.jpg.484x700_q85_box-12%2C0%2C1372%2C1965_crop_detail.jpg

Les Cahiers de Verkhnéouralsk, écrits de militants trotskystes soviétiques, 1932-1933 (tome 2)

Malgré le poids de la dictature stalinienne et de la bureaucratie dans l’URSS des années 1930, par quels moyens les trotskystes pouvaient-ils s’y adresser à la classe ouvrière ? Et s’appuyant sur sa situation réelle et ses seuls intérêts, quelle direction offraient-ils à ses luttes ?

Comment interpréter le « virage à gauche » d’un Staline prônant en 1928-1929 ce qu’il rejetait la veille : l’industrialisation et la collectivisation des terres ? Face à cela, quelle attitude l’Opposition de gauche pouvait-elle adopter ? Et devant les illusions sur le revirement stalinien et les défections qui s’ensuivaient dans ses rangs, que devait-elle faire ?

Pourquoi le stalinisme opposait-il le drapeau du socialisme dans un seul pays à la théorie de la révolution permanente, élaborée par Marx en 1850, développée par Trotsky en 1905 et sur laquelle Lénine s’appuya en 1917 pour mener le prolétariat à la victoire d’Octobre ? Quel sens, quelles implications, concrètes et décisives dans la lutte de classes, avait en Russie et ailleurs ce qui ne relevait pas de la seule théorie ?

Quant à la NEP (Nouvelle politique économique), décidée par Lénine après la guerre civile afin de réanimer un pays exsangue en rétablissant le marché de façon temporaire et contrôlée, ne devait-on y voir qu’un recul imposé par la conjoncture ? Ne s’agissait-il pas plutôt, ce que suggérait l’expérience de la Russie des soviets, d’une étape inévitable après la prise du pouvoir par le prolétariat, même dans des pays développés ? En fait, exposent les Cahiers, la NEP préfigure ce que doivent être les relations du pouvoir ouvrier avec la petite bourgeoisie paysanne et commerçante, tant qu’une grande partie de la planète n’a pas fait sa révolution. Et, là où elle a triomphé, aussi longtemps que les progrès permis par l’étatisation et la planification de la production n’auront pas encore convaincu des avantages du collectivisme les producteurs individuels…

Ce sont là quelques-uns des nombreux sujets qui forment la matière des articles, débats, analyses et lettres des trotskystes de la prison d’isolement renforcé de Verkhnéouralsk. Les documents que l’on y a retrouvés en 2018 embrassent, d’un point de vue militant, tous les domaines de la vie sociale, en URSS et dans le monde, au début des années 1930.

Malgré une présentation et des notes indispensables, la lecture de certains textes peut sembler ardue à qui n’est pas familier de l’histoire de la révolution russe, du combat de ceux qui luttaient, aux côtés de Trotsky, pour sauver la révolution qu’ils avaient faite et régénérer le premier État ouvrier de l’histoire. Mais passé l’obstacle, on a sous les yeux un livre passionnant et fort enrichissant pour les révolutionnaires d’aujourd’hui.

Il montre de façon vivante ce que fut le seul parti trotskyste qui ait véritablement existé : ayant de larges sympathies parmi les travailleurs, il luttait sur le terrain de classe sans céder. On découvre de quelle trempe étaient les bolcheviks de l’après-Lénine : des militants souvent d’à peine 30 ans, combattant dans les conditions les plus dures, qui, ayant choisi le camp des travailleurs et de la révolution mondiale, en ont fait leur boussole. On les voit échanger en permanence avec Trotsky malgré la prison, la censure, la répression qui se durcit, et débattre entre eux sans concessions. Ils savent en effet, pour l’avoir appris de l’histoire de leur parti, le Parti bolchevique puis l’Opposition de gauche, que défendre ses positions jusqu’au bout est un moyen de les éprouver pour aller de l’avant. On le vérifie dans la polémique qui les oppose aux détenus qui prétendent que la révolution a dégénéré car elle aurait été prématurée, les conditions internationales n’étant pas assez mûres pour la révolution mondiale. Ce « fait », les chefs de la social-démocratie l’invoquaient depuis 1917 pour justifier qu’ils combattaient la révolution partout en Europe !

Les trotskystes internés par Staline avaient, eux, choisi de lutter pour la révolution socialiste mondiale. Ils avaient lié leur sort à la remontée des luttes et de la conscience de classe du prolétariat russe et international. La lutte à mort qu’ils menaient avec la réaction stalinienne, on la suit au jour le jour dans les Cahiers.

S’adressant à de jeunes militants à Moscou fin 1927, Trotsky affirma : « Notre génération a accumulé une expérience révolutionnaire qui pourrait suffire à toute l’humanité. » Aleksandr Boyartchikov, un des très rares trotskystes à avoir échappé à leur liquidation systématique en 1937-1938, rapporta ces propos dans les mémoires1 qu’il rédigea après un quart de siècle de déportation, de camps et de prisons tel Verkhnéouralsk. C’est une partie de l’expérience inestimable dont étaient porteurs Trotsky et ses camarades que restituent les Cahiers de Verkhnéouralsk.

2 septembre 2024

Les Cahiers de Verkhnéouralsk, Les Bons Caractères, 438 pages, 25 euros. (Paru en 2022, le tome 1 compte 246 pages et coûte 17 euros).

Vozpominanya (Souvenirs) d’A. Boyartchikov n’a pu paraître à Moscou qu’en 2003 et à un petit tirage.

 

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